Il se souvenait de l'annonce quotidienne de l'extinction de nouvelles espèces dans les journaux quand il était enfant. Un matin c'était les renards, le lendemain les blaireaux. Jusqu'à ce que les gens aient fini par se lasser. Alors on avait cessé de lire ces faire-part zoologiques.
(Blade Runner. Philip K Dick. Champ libre 1976)
Chacun avait le droit d'honorer ses « dieux ancestraux », selon les « rituels ancestraux », la religion étant conçue comme l'élément fondamental de l'identité ethnique en même temps qu'on lui reconnaissait la fonction essentielle de créer du lien social. Les croyances personnelles n'étaient pas en cause (elles relevaient du for intime), si bien que la liberté religieuse ne fut jamais revendiquée jusqu'à une date tardive comme un droit personnel, mais comme une liberté collective, celle d'un peuple ou d'une communauté d'immigrés (…). En créant du lien social, les cultes et la pratique rituelle assuraient la cohésion du groupe au sein de la famille, de la tribu, du quartier, de la profession, de la cité, tandis que le culte de Rome et celui du souverain, de portée universelle, devait favoriser l'intégration des non-Romains à l'Empire. Le polythéisme permettait la juxtaposition d'appartenances cultuelles variées.
(Comment notre monde est devenu chrétien. Marie-Françoise Baslez. CLD 2008)
… l'empreinte de l'océan primitif flottant éternellement à l'intérieur de chacun de nous (…) malheur à celui qui néglige l'océan sauvage qu'il porte en lui car c'est la seule chose qui lui reste de deux créatures imbriquées : celle du monde et celle de l'enfant.
(Christophe et son œuf. Carlos Fuentes. Gallimard 1990)
Nous continuerons à faire danser les images des ancêtres animaux pour soigner les nôtres tant que nous serons en vie car nous sommes les habitants de la forêt. Nous ne restons pas, comme les missionnaires, enfermés à longueur de temps dans nos petites maisons à feindre de parler de Teosi et à manger seuls !
(La chute du ciel. Davi Kopenawa. Plon 2010)
« Quand un Nez-percé marchait dans la forêt, les arbres mouvants murmuraient pour lui, et le chant des pins qui se balançaient gonflait son cœur. En regardant entre les branches vertes, il voyait les nuages flotter à travers le dôme bleu, et il sentait le chant des nuages. Chaque oiseau pépiant dans les branches, chaque oiseau aquatique dans les roseaux ou à la surface du lac transmettait à son cœur un message intelligible, et lorsque, haut dans le ciel, il voyait les oiseaux de passage, il savait que leur vol était soutenu par les voix de six mille oiseaux des champs, des forêts et des lacs, et son cœur accordé à l'ensemble vibrait des chants de cette plénitude. » (Joseph le Jeune)
« Sais-tu que les arbres parlent ? Oui, ils parlent. Ils se parlent entre eux et ils te parleront si tu prêtes l'oreille. Le problème des Blancs, c'est qu'ils n'écoutent pas. Ils n'ont jamais appris à écouter les Indiens, alors je doute qu'ils écoutent les voix de la nature. »
(Tatanga Mani, Nakoda)
Images de mon pays quand seuls les Indiens l'habitaient. De tipis le long des courbes de la rivière. Du lac clair et bleu, des grands prés avec les troupeaux de chevaux et de bétail. Depuis les forêts de montagne, des voix semblaient appeler. » (Yellow Wolf)
(Ne vends jamais les os de ton père. Brian Schofield. Albin Michel 2013)
Toujours levé avant l'aube, il aimait mouiller ses pieds nus de la rosée du matin. Il disait souvent « Des pieds sains permettent de sentir battre le cœur de notre Terre sacrée.
(Sitting Bull. Stanley Vestal. Editions du Rocher 1992)
… l'eau, l'air, la terre et tout ce qu'il y a dessous n'appartient à personne en particulier. C'est la propriété de tous, et si l'homme veut survivre, il ferait mieux d'adopter ce point de vue. Le plus tôt sera le mieux, car il ne reste plus trop de temps pour y penser !
(De mémoire indienne. Lame Deer et Jean-Jacques Roudière. 2009)
[Les Comanches] sont un peuple si vaste et arrogant que lorsqu'on leur demande leur nombre, ils n'hésitent pas à le comparer à celui des étoiles. Ce sont des cavaliers si talentueux qu'ils n'ont pas d'égal, si audacieux qu'ils ne demandent et n'accordent jamais de trêve, et en possession d'un tel territoire – où abondent les pâturages pour les chevaux et les [bisons] qui leur fournissent tous les habits, la nourriture et les matériaux nécessaires – qu'ils possèdent presque toutes les commodités de la terre. » (Athanase de Mézières)
(L'empire de la lune d'été. SC Gwynne. Albin Michel 2012)
« … la guerre est présente à tous les moments de la vie sociale : loin d'être cette grande confrontation par laquelle se constituent des collectifs dans des moments d'exception, elle traverse la vie ordinaire comme une possibilité latente qui déchire le tissu social. » (Kech)
(L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs. Lucien Lévy-Bruhl. Dunod 2014)
On y marche pendant des heures sans arriver au bout, car à une lande en succède une autre sans interruption, (…) on pressent que, dans quelques siècles, il pourrait bien n'en plus être ainsi.
… un clair murmure auquel ne se mêle aucun bruit ni fracas humain. Cà et là sur les bords, des rochers percent le sol, et montrent sous une pellicule de lichens grisâtres les teintes vigoureuses du schiste rouge. Reposons-nous un instant près du ruisseau à l'ombre des grands pins de la forêt ; la marche déjà longue, l'ardeur d'un soleil de juillet à midi, le site, la solitude, tout nous y invite ; et à la jouissance d'un calme complet ajoutons le plaisir de humer à pleines mains, comme nos ancêtres des premiers jours, sans aucun engin fabriqué, l'onde fraîche, pure, agréablement sapide (…).
(La forêt de Brocéliande. Félix Bellamy. EDR 2016)
… avec les années, bien des choses cessaient de l'intéresser et s'éloignaient en douceur, quittaient sa vie, mais cette attirance-là ne faisait que croître. Dans la forêt, il se sentait toujours bien. Mieux qu'ailleurs, avec qui que ce soit.
… mais une fois seul au milieu de la forêt, il se sentait bien comme nulle part ailleurs.
Rêver pourrait donc bien être une sorte de pensée ensauvagée – une forme humaine de pensée qui va bien au-delà de l'humain. Rêver est une sorte de « pensée sauvage » : une forme de pensée libérée des entraves de ses propres intentions …
(Comment pensent les forêts. Eduardo Kohn. Zones sensibles 2017)
… autochtones et Français de souche populaire partagent une sensibilité commune envers les forces invisibles qui régissent le monde. Imprégné de magie, le catholicisme de l’époque classique peut aisément se brancher sur l’univers animiste des Amérindiens pour créer un semblant de continuité. Brûlé, comme ses compatriotes du XVIIème siècle, croit aux pouvoirs des sorcières, des démons, des revenants et des loups-garous. Les Français, s’ils n’observent chez les « Sauvages » ni credo officiel, ni clergé, ni véritables lieux de culte, ne se trouvent guère décontenancés par l’omniprésence du sacré et de la magie.
La distinction entre nature et culture, si elle fait partie aujourd'hui de notre sens commun, n’allait absolument pas de soi pour un Français du XVIIème siècle, a fortiori pour un chasseur…
(L’Amérique fantôme. Gilles Havard. Flammarion 2019)
Fantomatique du désir propre aux forêts, aux prédateurs solitaires, à leur rage, leur fierté et à leur veille. Tension de leurs rencontres inattendues, inavouables, improbables, en devenir, pourtant. Puisque seuls ils se perdent, puisque seuls ils s'enferment, puisque seuls ils oublient. Le croisement de leurs regards les sauve d'eux-mêmes en les projetant dans l'altérité de celui qui fait face. Le croisement de leurs regards les maintient en vie.
(Croire aux fauves. Nastassja Martin. Verticales 2019)
On dansait pour faire venir le bison, pour faire venir l'ours ou le caribou (...) on dansait pour faire venir la pluie (...). On dansait pour guérir, des maladies de l'âme, de la folie, du mal qui est de s'accomplir en dehors de la beauté.
(Partition rouge. Points 1988)
Troublante présence des arbres, et insistante, avec leurs feuilles, "folia", folio. Vies insistantes de la forêt, la "silva", le sylvestre comme le chat, "silva" qui donne aussi sauvage, la "forest" ou "foresta" qui vient de "foris", dehors, en dehors de la société, et donne aussi forum, espace de pouvoir, territoire. Dehors et dedans, une forêt.
(Vies de forêts. Karine Miermont. L'atelier contemporain)
Ces sites expriment hydrologiquement plusieurs correspondances entre la pluie et l’eau du lac, l’eau verticale et l’eau horizontale, l’eau intérieure et l’eau extérieure, l’eau chaude et l’eau froide, l’eau dormante et l’eau courante, l’eau douce et l’eau salée, l’eau en relation avec la mort, l’eau indispensable à la vie.
(Pratiques religieuses et divinatoires des Aztèques. Jacqueline de Durand Forest. Les Belles Lettres 2020)
Entièrement composée et formée
Grâce à la caresse du Dieu de la Rosée;
Achevée et portée à maturité
Grâce à la caresse du Dieu du Temps;
Parfaitement mûrie, pour être mangée,
Grâce à la caresse du Dieu du Feu!
C'étaient des êtres merveilleux, plus que ne l'est l'ordinaire des hommes d'aujourd'hui, car ils étaient au temps de la création et de la nouveauté du monde (...). Comme tous les êtres supérieurs, ils étaient 'hlimnawiho capables de se transformer à volonté; d'ailleurs, toutes choses étaient k'yaiyuna, plastiques, quand le monde était neuf, tandis que maintenant…
... la logique de compartiments sociaux propres aux Pueblo. Comme dans une fractale, chaque partie est une miniature du tout, assurant ainsi la possibilité d'une régénération complète de la société à partir de l'un de ses segments. Cette mise en abîme concerne autant la structure des clans que le savoir religieux, les dits mythologiques, voire les emblèmes et attributs sacrés.
Cette capacité infinie à s'approprier les figures de l'altérité et à les caser dans une configuration mythologique préexistante explique en bonne partie l'habileté bricoleuse des sociétés amérindiennes à préserver un équilibre symbolique, en dépit des aléas de l'histoire.
(Tenatsali ou l'ethnologue qui fut transformé en Indien. CNRS Editions 2022)
Lorsque l'on effectue une mesure, ce n'est pas tant que le monde cesse d'être déterministe, mais qu'on découvre dans quelle branche on se trouve au sein d'une pluralité de mondes.
(Baptiste le Bihan. La Recherche octobre 2022)
"Progressivement, on passe d'un monde où l'homme avait, avec les animaux, un rapport participatif (il était présent au monde avec eux, sans avoir soi à se représenter) à un monde en lequel il affirme sa présence en les soumettant et en en prenant possession." (Bourdier)
(La caverne originelle. Jean-Loïc le Quellec. La Découverte 2022)
... dans la plaine s'élèvent des bosquets de grands arbres, où une multitude de gens passent leur temps en été et où nichent une multitude d'oiseaux de toutes espèces et de diverses couleurs, qui charment beaucoup par leurs chants; et il y a aussi toutes sortes de jardins et de prairies nombreuses avec diverses herbes et fleurs, tant et si bien que le lieu paraît digne des dieux indigènes tant son aspect est en accord avec la divinité. (Diodore de Sicile)
(Utopia. Jean-Louis Poirier. Les belles lettres septembre 2022)
... le caractère extrêmement labile d'un système de rapport sociaux (...) la solidarité entre proches parents ne prend jamais l'allure d'une identité segmentaire se perpétuant dans le temps (...) un réseau fluide de solidarités affinales et d'alliances militaires qu'un incident mineur suffit parfois à démailler.
Le quadrillage général de la biosphère n'existe que comme une possibilité synthétique d'intelligibilité, jamais réalisée dans un discours effectif sur le monde. En effet, les Achuar ne glosent pas spontanément sur l'organisation du cosmos (...) si l'espace et le temps sont pour nous deux catégories bien distinctes de l'expérience, il n'en est pas de même pour les Ashuar qui mêlent constamment les deux ordres dans un système de références empiriques d'une grande diversité.
Tout au long de l'année, dans l'amont et dans l'aval, vers le haut et vers le bas, sous la terre et sous les eaux, la nature forme un grand continuum de socialité. Ainsi ces lieux périphériques inaccessibles à la sphère du domestique sont-ils idéalement annexés par la praxis humaine comme les sources probables où s'alimente sa condition de possibilité.
... chaque plante et chaque animal se voit également doté par les Achuar d'une vie autonome aux affects très humains. Tous les êtres de la nature ont ainsi une personnalité singulière qui les distingue de leurs congénères et qui permet aux hommes d'établir avec eux un commerce individualisé.
La surnature n'existe pas pour les Achuar comme un niveau de réalité distincte de celui de la nature, car tous les êtres de la nature possèdent quelques attributs de l'humanité, et les lois qui les régissent sont à peu près identiques à celles de la société civile. Les hommes et la plupart des plantes, des animaux et des météores sont des personnes dotées d'une âme et d'une vie autonome. (...) le peuple des êtres de la nature forme conceptuellement un tout dont les parties sont homologues par leurs propriétés. Toutefois, seuls les humains sont des "personnes complètes", en ce sens que leur apparence est pleinement conforme à leur essence.
Si les animaux d'apparence humaine possédaient déjà en puissance dans leur nom le destin de leur animalité future, c'est parce que le référentiel commun à tous les êtres de la nature n'est pas l'homme en tant qu'espèce, mais l'humanité en tant que condition.
C'est selon la possibilité ou l'impossibilité qu'ils ont d'instaurer une relation d'échange de messages que tous les êtres de la nature, y compris les hommes, se trouvent répartis en catégories étanches.
L'intersubjectivité s'exprime en effet par le discours de l'âme, qui transcende toutes les barrières linguistiques et convertit chaque plante et chaque animal en un sujet producteur de sens.
Entre la maisonnée et le groupe tribal, il n'existe, en effet, aucune forme intermédiaire de groupement social et territorial qui soit fondé sur un principe d'affiliation explicite, univoque et permanent. (...) la maisonnée représente ainsi l'unité fondamentale d'un univers social en forme de nébuleuse, d'où sont absents les découpages en "corporate groups", en villages ou en groupes d'unifiliation.
... le mélange d'espèces ayant des besoins différents en éléments nutritifs permet de réduire la compétition entre plants et de faire le meilleur usage possible de l'éventail des nutriments accessibles. (...) la ressemblance avec la structure trophique de la forêt primaire constituait un important avantage adaptatif de la polyculture sur brûlis par rapport à la monoculture.
Ces liens étroits de dépendance réciproque qui se tissent entre les plantes cultivées et ceux qui les font exister pour les consommer permettent de comprendre pourquoi le jardin est plus et autre chose que le lieu indistinct où l'on vient ramasser la pitance quotidienne.
Là où s'abolissent les distinctions entre nature et surnature, là où la sociabilité universelle s'adjoint les plantes et les animaux, pourrait-on imaginer que les Achuar soient suffisamment schizophréniques pour se penser simultanément comme "homo faber" exploitant un environnement muet et comme une espèce particulière d'êtres de la nature en sympathie avec toutes les autres?
Si la forêt est un grand jardin sauvage, elle est aussi le lieu de conjonction par excellence, où se mêlent les sexes et s'affrontent les ennemis.
La chasse et la guerre sont des entreprises prédatrices, mais les protocoles symboliques de mise à mort les distinguent dans leur essence. Extension de la sphère domestique au gibier, la chasse se vit sur le mode de la commensalité littérale, comme une forme affectueuse d'endo-cannibalisme. Par l'expulsion de l'ennemi dans l'anomie animale, par son renvoi périodique dans l'altérité de la nature, la guerre se pense comme le paradigme idéal d'un entre-soi délié des contraintes de l'alliance. Espace de conjonction entre les hommes et les femmes et entre les hommes et les animaux, la forêt est un monde affinal où sont sans cesse remis en jeu les principes mêmes qui fondent la société.
On ne trouve donc pas chez les Achuar cette antinomie entre deux mondes clos et irréductiblement opposés: le monde culturel de la société humaine et le monde naturel de la société animale.
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)
… une pure affaire de relations denses et enchevêtrées entre les hommes et les forces surnaturelles, entre vivants et morts dans une configuration en carrefour ! Il ne percevait pas du tout le site comme moi, dans une dimension individuelle, physique, esthétique et émotionnelle, mais tout à l’opposé, dans sa dimension historique, collective et surnaturelle.
… l’humain, compris dans son intégrité corporelle et sa relation à l’entourage, se trouve au centre d’un faisceau d’influences et de forces naturelles ou surnaturelles.
(Les gens de l’or. Michèle Baj Strobel. Terre humaine 2020)
Ces nomades semblent concevoir l'univers à la manière d'un gruyère, non comme un tout homogène, mais plutôt comme une multitude de mondes parallèles, séparés par des brèches, des vides et des chemins. Ils considèrent que certains de ces mondes doivent être tenus à distance par un effort soutenu de ne pas voir ce qui aurait autrement pu être vu.
(Corps rituels. Agnieszka Kedierska Manzon. Maison des sciences de l'homme 2023)
Je revois encore un homme nu dans sa barque un trident à la main, des huttes de roseaux construites sur l'eau, des buffles noirs ruisselants qui semblaient avoir surgi de l'onde à l'instant même où paraissait le premier arpent de terre ferme. Je continue à rêver à ces étoiles qui se reflètent dans le miroir de l'eau sombre, au coassement des grenouilles, à ces canots rentrant à la tombée du soir. Je songe à la paix du jour et à la durée, à un monde encore jamais troublé par le bruit d'une machine.
(Les Arabes des marais. Wilfred Thesiger. Plon 1983)
"Ce qui différencie les païens de nous, c'est qu'à l'origine de toutes leurs croyances, il y a un terrible effort pour ne pas penser en hommes, pour garder le contact avec la création entière, c'est-à-dire avec la divinité."
(Antonin Artaud)
Tels sont les effets du bayja: il fournit à l'homme qu'il affecte les moyens de réaffirmer son humanité en lui conférant le pouvoir d'attirer les animaux, mais du même coup il multiplie pour lui les risques représentés par les nombreux jaguars qui ne manquent pas d'accourir. Etre bayja, c'est donc exister dans l'ambiguïté, c'est être ensemble chasseur et proie, c'est en somme se trouver entre nature et culture.
... attentif à ne pas succomber aux appels de la forêt et vaillant comme à l'ordinaire, il avance d'un bon pas en un monde dangereusement vivant. Il marche en réalité au-devant de lui-même, il est en quête de son propre soi, de sa propre substance. (...) La possibilité d'une mort réelle dans la jungle traduit en mode lyrique une mise en question de son être, une mise à mort effective, quoique symbolique, telle qu'elle l'ébranle jusqu'au coeur de son exister.
Apparemment donc, la force mauvaise du bayja n'est libérée que dans les circonstances où la féminité fait irruption à la fois en sa vie biologique individuelle et en la vie sociale du groupe. (...) c'est dans et par l'espace du rituel que l'ordre naturel se convertit en ordre culturel.
Une naissance d'enfant porte en soi un germe mortel, elle met en question l'existence des autres: nous assiège ici le sage et cruel constat que les hommes ne sont pas des dieux et que toute position de vie fait pour eux signe vers leur mort.
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)
... hommes de la nature, ces primitifs suivent et interrogent le vol des oiseaux migrateurs, le mouvement et la forme des nuages, la lune et ses halos, les étoiles plus ou moins brillantes selon la brume, les moindres nuances des avant-saisons, la fonte de la toundra glacée, les mouvements relatifs du littoral et de la mer à partir des repères naturels, blocs d'éboulis ou caches de pierres. La profondeur du dégel, les glissements de boue, les itinéraires fluctuants des lièvres et des renards, le retard ou la précocité des vols de guillemots, signes de froid ou de chaud, sont soigneusement relevés dans leur esprit. (...) Les itinéraires des caribous et des bœufs musqués sont examinés avec le plus grand soin.
Les chasseurs savaient alors parler aux bêtes et les filles des Inuit étaient engrossées par les chiens pour donner naissance aux peuples du monde.
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)
Les dieux étaient partout et ils se mêlaient à tous les actes de la vie quotidienne. (...) Les étoiles qui brillaient au ciel, le vent qui agitait le feuillage, la source ou le torrent qui coulaient de la montagne, la terre même qu'il foulait aux pieds, tout était divin à ses yeux, et la nature entière qui l'entourait, provoquait en lui la crainte respectueuse des forces infinies agissant dans l'univers.
(Les Mystères de Mithra. Franz Cumont. WW 2023)
Mais ceux qui dans la forêt vivent
par l'ardeur d'ascèse et la confiance,
(...)
par la porte du soleil, libres de passion, ils vont
là où est l'Homme immortel, le Soi inaltérable.
(Les Upanisad. Alyette Degrâces. Fayard 2014)
(...) les corrélations magiques étaient le cadre naturel des correspondances entre macrocosme et microcosme: ainsi le motif de la distribution des membres ou des organes du corps entre les entités du monde extérieur…
(Hymnes spéculatifs du Véda. Louis Renou. Gallimard 1956)
« Ne vous croyez pas maître de votre corps, car l’âge ne peut être repoussé et le temps ne peut être retenu. Croître et décroître, s’emplir et se vider, finir et recommencer, voilà le cycle du monde. »
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)


… les chemins que l’on parcourt traversent des territoires profondément imprégnés de la mémoire collective, où les humains ne sont qu’un des composants actifs, en interaction permanente avec le reste de l’univers.
(Les Incas. Peter Eeckhout. Taillandier 2024)


C’est à la guerre aussi bien qu’à la protection de cette double fécondité, de la nature féminine et de la nature végétale extérieure à l’homme, que les Fravashis entre autres se consacrent.
« L’homme n’a pas tissé la toile de la vie, il n’est qu’un fil de tissu. Tout ce qu’il fait à la toile, il le fait à lui-même. » (Seattle, chef des tribus Suquamish et Duwamish, 1854)
(Le matin des dieux. Salvatore D’Onofrio. Editions Mimésis 2018)


[Les Abron] envisagent la communauté humaine au sein d’un plus vaste ensemble de relations. L’être humain est un élément d’un système global qui comprend le monde entier, naturel (et surnaturel). (…) Au cours des siècles, les Abron ont appris à comprendre leur environnement et à l’exploiter sans fausser l’équilibre fragile qui régit les espèces.
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)


Ainsi, ce fruit d’un arbre forestier modeste (…) intervient en tant que moyen de communication entre les êtres au plan des relations fastes ou efficaces. Il « accroche » une diversité de sens et de fonctions, comme il advient de chaque produit de la nature et de l’industrie humaine, dans des sociétés où la technique n’a pas encore dévalorisé les objets en les multipliant massivement.
Si la forêt avec sa frange de savanes, et la rivière, sont au centre des activités économiques, elles demeurent aussi au cœur de la vie religieuse. Elles sont le support du sacré (…). A leur contact se trouvent, ou se renforcent, puissance et fécondité.
Les œuvres [que la négritude] inspire glorifient l’accord presque sexuel avec la nature. Elle une invitation à voir au-delà des murs de nos villes et de nos usines, une incitation à être, selon la formule de J.-P. Sartre, « en amour avec toutes les formes de la vie ».
Plus que l’Inde, le monde nègre est celui de la diversité. (…) Une carte des populations de l’Ouest africain, incorporant l’ancienne A.E.F. et le Congo, fait figurer plus de 1500 ethnies conscientes de leurs particularités, jalouses de leur identité. Les langues africaines dépassent le nombre de 600 (…). Et les systèmes sociaux, bien que présentant des affinités, restent multiples.
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)


… ces diverses techniques [visant à affaiblir ou à atténuer la présence unitaire] peuvent alterner et se combiner de diverses façons, avec un art consommé du fonctionnement psychique. Art qui s’est formé à travers l’expérience de plusieurs générations, en fixant dans des schèmes traditionnels les inventions individuelles mûries dans l’infinie variété des innombrables drames existentiels.
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)


La définition même de « patrimoine » est loin de faire l’unanimité, les sociétés occidentales l’attribuant de préférence à des constructions et des œuvres humaines. En se fondant sur des concepts bien loin de la matérialité, les autochtones ont plutôt tendance à entendre ce mot en désignant des lieux chargés de sens spirituel, magique, mémoriel, mythologique, etc. Ainsi, les endroits patrimoniaux peuvent être un cours d’eau, une cascade, une montagne, un arbre, voire un espace de prime abord anodin, mais porteur de puissantes forces.
La carte autochtone est donc polymorphe et métamorphe puisque fondée sur le parcours. Le chemin arpenté, et non pas la barrière ethnique, dessine la patrie. (…) Loin du concept occidental focalisé sur les marqueurs immobiliers, leur science cartographique conçoit un paysage dynamique bouillonnant de vie. Leurs cartes indiquent ainsi les espaces de terres noires fertiles utiles à l’agriculture, les coins à poissons, lieu d’abreuvement des animaux, les plantes utiles, les sources de sel, gisement d’argile colorante ou pour la poterie, etc.
Darell Posey (1985) a précisément inventorié les espèces autour d’un grand village kayapo d’Amazonie méridionale et, sur une section de 3 km de chemin, il a repéré 185 arbres de 15 espèces différentes, près de 1500 plantes médicinales et 5500 plantes comestibles.
(Archéologie de l’Amazonie. S. Rostain C. J. Betancourt. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme 2025)


… le dieu (…) est l’Un antérieur à la création, qui se manifeste sous la multitude des aspects de la création (…). Cette profusion exprime à l’époque amarnienne des aspects du dieu de la lumière alors que par la suite cette multitude infinie d’énergies divines, qui se manifestent à l’intérieur de la création, sera considérée comme constituant autant de divinités. 
(Le papyrus des sept propos de Mehet Ouret. Yvan Koening. Institut français d’archéologie orientale 2024)


Dans la représentation du corps des dieux se mêlent donc (…) des symboles de l’homme, de l’animal et de la nature, tous partiels, tronqués et associés les uns aux autres, comme appelant par leur seule forme la nécessité d’un achèvement dont seul l’exercice rituel peut préfigurer la réalisation.
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)