… nombre d'entre eux moururent de plaisir à sentir la griffe sur le dos, la morsure à la nuque et tout ce nopal hérissé du spasme qui coupe le sang dans l'agonie… (ils allaient au combat pour le désir d'être maltraités…)
(Légendes du Guatemala. Miguel Angel Asturias. Folio 1953)


… la réécriture du mythe antique offre « le moyen d'écrire ce qui ne peut s'écrire », « comme si les mythes antiques étaient seuls capables d'exprimer la filiation et la mort, le lien de la filiation et de la mort. »
( J. le Brun. Fénelon : un fils tué. Droz 2004)


Quand j'aurai à sentir la trahison de mon corps, la vieillesse qui se rit de moi, la mort dans mes muscles, dans ma chair, dans mon haleine, dans mes pets et tremblements, (…) j'aurai à disparaître, j'aurai à me finir enfin…
(Les cauchemars du gecko. Raharimanana. Vents d'ailleurs 2011)


Beaucoup de maladies dont le nom est attesté en i.e. sont des maladies de peau qui révèlent une inquiétude étroitement associée à l'espoir religieux de changer de peau, c'est-à-dire de pouvoir se régénérer, comme le serpent qui mue, et, à partir de là, de devenir immortel.
… racine *gwelh « souffrance, mort ». Le terme pourrait avoir un sens initiatique et désigner l'initié qui meurt symboliquement pour renaître avec son statut profond d'homme (cf le nom Ate-gnatos : « Re-né »).
(Dictionnaire français-gaulois. Jean-Paul Savignac. La Différence. 2004)


Notre réalité finit toujours par devenir un spectre : tout d'abord pour les autres, presque aussitôt après, pour nous-mêmes. Il n'y a pas moyen d'éviter cela et je n'ai jamais compris pourquoi "apparition" est synonyme de "fantôme" alors qu'un "fantôme" est un "disparu", une âme en peine condamnée à demeurer hors du temps et des lieux, une présence inopportune.
(Mantra. Rodrigo Fresan. Passage du Nord-Ouest 2006)


… que faire quand on vient d'enterrer son père, sinon mourir soi-même dans son cœur, en sachant que ce ne sera pas la dernière fois qu'on mourra avant la mort définitive de son pauvre corps mortel…
(Sur la route. Jack Kerouac. Folio 2010)


… il se sentait si incroyablement bien qu'il se mit soudain à avoir peur de la mort.
(Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire. Jonas Jonasson. Presses de la Cité 2011)


… il mourrait sans dire un mot, ce qui était la preuve qu'il était devenu un homme…
Nos ancêtres meurent avant que nous soyons prêts à vivre sans eux. Ils reviennent alors sous forme de fantômes, parce que les dieux nous ont quittés.
(Christophe et son œuf. Carlos Fuentes. Gallimard 1990)


La mort est le remède à toutes les maladies. La médication de toutes les souffrances. La vraie, la suprême.
(Requiem pour un autre temps. Krishna Baldev Vaïd. Infolio 2012)


Les Taulipang (…) pensaient que chaque homme possédait cinq âmes, « pareilles aux hommes mais sans corps, l'une dont le départ pouvait provoquer la maladie et la mort, une autre plus légère et une troisième plus légère encore, la quatrième très légère mais encore une ombre. La cinquième âme est la seule douée de parole. » (…) Seule « l'âme qui parle » rejoignait l'autre monde après la mort ; une autre restait avec le cadavre et une troisième se transformait en oiseau de proie.
… une manifestation de la terreur qu'inspire le revenant – aussitôt que l'âme quitte le corps du défunt, le revenant veut emporter avec lui l'âme d'une personne proche vivante.
(Ecrits d'Amazonie. Alfred Métraux. CNRS Editions 2013)


Dans leur esprit, il n'y a qu'une obsession : la peur panique de la mort, de leur propre anéantissement. Cette angoisse est une souffrance qui ne les lâche jamais, les met au supplice chaque seconde de leur vie. C'est le moteur infatigable de leur action qui ne vise rien d'autre que la destruction de tout ce qui est vivant. Car le raisonnement est imparable pour un cerveau malade : la meilleure façon de supprimer la mort, c'est de détruire la vie. (…) ces dingues (…) sont au pouvoir. Là-bas mais ici aussi…
(Les transhumanistes sont lâchés. Dominique Lachosme. La Décroissance novembre 2015)


Tout ce qui subsiste de l'existence physique et sociale des morts doit être détruit ou oblitéré : leurs possessions, leurs traces, l'usage de leur nom et les cendres de leurs ossements. Ce travail (…) constitue ainsi un effort, toujours précaire, pour garantir la séparation entre le monde des morts et celui des vivants. (…) Contrevenir à ce devoir primordial aurait condamné les revenants de leurs proches à errer entre deux mondes et les vivants à souffrir les affres d'une mélancolie infinie bien pire que la mort elle-même.
(La chute du ciel. Davi Kopenawa. Plon 2010)


« Je suis venu en ce monde pour mourir. Mon corps n'est que le récipient d'une vie spirituelle. »
(Toohoolhoolzote)


Aucun de nous n'est éternel. Quand on a compris ça, on comprend l'importance de savoir qui on est et d'où on vient.
(Ne vends jamais les os de ton père. Brian Schofield. Albin Michel 2013)


J'arriverai à un endroit (…) ; je n'aurai pas le temps de m'y habituer, de m'y attacher, j'irai plus loin. Et j'irai ainsi jusqu'à ce que mes jambes se dérobent, et je m'étendrai et je mourrai quelque part, et j'arriverai enfin à ce port paisible, éternel, où il n'y a ni tristesse, ni soupir.
(La guerre et la paix I. Tolstoï. Folio 1972)


Cet aspect compulsif des croyances en la continuité de la vie s'est manifesté dans la plupart des cultures et des civilisations, dès la période néolithique où furent creusées les premières tombes (…). Il a fallu l'arrivée de la religion chrétienne pour qu'il y ait une rupture dans l'idée de la continuité, la mort et le temps post mortem étant considérés comme une étape transitoire (un « sas ») dans l'attente de la résurrection à venir…
(Le premier empire des steppes en Mongolie. Pierre Henri Giscard. Faton 2013)


On naît seul, et on meurt seul.
(L'arc-en-ciel de verre. James Lee Burke. Payot et Rivages 2015)


… la blanche biche qui, dans les lais féeriques médiévaux, entraîne le héros dans l'Autre Monde (…). Le lien entre le cerf et l'Autre Monde est évident depuis la Préhistoire, et notamment le Mésolithique durant lequel on enterre bien souvent les morts avec des bois de cerf.
(L'arbre du monde. Patrice Lajoye. CNRS Editions 2016)


… un esprit qui torturait les vivants si l'une des composantes immatérielles (…) n'atteignait pas le monde des morts.
… un tuktuyè, boîte où les Iakoutes enfermaient l'esprit des morts décédés de façon non naturelle, car ils craignaient le retour des esprits malins… 
(Vainqueurs ou vaincus ? Crubézy – Nikolaeva. Odile Jacob 2017)


Selon les gens d'Avila, lorsque « les morts » vont « ucuta », à l'intérieur du domaine des esprits maîtres, ils deviennent « libres ». (…) A l'intérieur du domaine perpétuellement toujours déjà des maîtres de la forêt, les morts continuent à exister – libres.
Le futur vivant (…) ne peut se comprendre sans réfléchir aux liens particuliers que la vie entretient avec tous les morts qui la rendent possible. C'est en ce sens qu'une forêt vivante est aussi une forêt hantée.
(Comment pensent les forêts. Eduardo Kohn. Zones sensibles 2017)


... il avait eu la sensation soudaine et très nette que s'il y avait un endroit où mourir, cet endroit se trouvait précisément sous ses pieds en cet instant, et c'était une sensation étrange, cruellement insolite, que de sentir sous la semelle de ses chaussures que s'il y avait un endroit où mourir, eh bien, cet endroit était exactement sous ses pieds, qui sait pourquoi.
(Malacqua. Nicola Pugliese. Do 2018)


Si je m'étais laissé aller contre la terre, au milieu des centaines de pousses et de plantes minuscules, chacune différente des autres, chacune modelée autrement par le temps et les intempéries, si j'avais laissé mon corps inerte balayé par le soleil et les ombres, si j'avais laissé se pencher sur moi les grappes de baies rouges et noires d'un arbuste vénéneux, rien ne m'aurait plus différencié de la forêt? Je serais mort à cet endroit, je serais devenu une charogne aux sucs intérieurs coagulés, aux yeux voilés et à la peau craquelée, un fourmillement d'insectes, un sol fertile pour les champignons, une carcasse toujours plus décomposée, léchée par le vent et la solitude. (...) J'aurais enfin appartenu à un autre monde, uni à lui, uni à son air vert et humide, à son tapis de feuillage transparent, à ses arômes sucrés et amers. Je serais mort et je serais né à nouveau, là, dans l'absence complète de toute conscience, connaissance et doute, simple motif de la tapisserie sans limite de la forêt.
(Solénoïde. Mircea Cartarescu. Noir sur Blanc 2019)


La fête des morts, qui réunit finalement des bandes siouses, saulteuses et cries, au total plus de 2000 Amérindiens, s’étale sur deux semaines. Elle dessine un espace social de paix qui repose sur l’établissement d’alliances personnelles, sur des festins…
La danse a en effet pour eux une forte affinité symbolique avec la mort. Ils ont l’habitude de la pratiquer jusqu’à l’épuisement, répétant encore et encore des gestes qui ne semblent avoir d’autre finalité que l’extinction de leur vigueur corporelle.
(L’Amérique fantôme. Gilles Havard. Flammarion 2019)


Le dernier échelon de la hiérarchie des êtres de langage est occupé par les solitaires: leur mise à l'écart de toute vie sociale les confine à la jointure de la culture et de la nature. Incarnations de l'âme des morts les esprits "iwianch" sont condamnés à une solitude désespérante qu'ils cherchent à combler en enlevant des enfants.
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)


« Une vie complète est peut-être celle qui se termine par une identification si totale avec le non-moi qu’il ne reste aucun moi pour mourir. » (Bernard Berenson)
(La passion selon G.H. Clarice Lispector. des femmes 2020)


Au XIIIème siècle, Gervaise de Tilbury constatait la coutume de confier au courant du Rhône les cercueils eux-mêmes.
Les habitants voisins de la Montagne de Mané Guen prétendaient, vers 1845, que les vieillards lassés de la vie se rendaient jadis sur son sommet afin que l'un des druides qui y résidaient les en débarrassât en les frappant avec sa massue sacrée.
(Croyances, mythes et légendes des pays de France. Paul Sébillot. Omnibus août 2002)


… la culture celte, « celle des druides qui possèdent les secrets de la philosophie nordique, sait que les hommes descendent du Dieu de la Mort Dispaler et que l'humanité doit disparaître par l'eau et par le feu". »
(Antonin Artaud)


"Nous les avons trouvés là en grosses masses, entassés les uns sur les autres - les femmes, avec les enfants dans les bras, jeunes et vieilles, les chevaux et les mules dans des positions diverses, les chariots brisés, les vêtements en pièces. (...) Il y avait là toute une famille, sauf le père, sous la caisse d'un chariot retourné, avec les chevaux encore dans les brancards, leurs jambes écrasées, se tordant d'agonie. Ici un papoose pleure sur le sein de sa mère qui, froide et insensible, ne peut plus le nourrir; là, est couchée une jeune fille avec sa longue chevelure poissée de sang, cachant son visage mutilé. Ils sont tous étendus dans la beauté incommunicable de la mort."
Le clou du spectacle est le corps d'un "papoose indien momifié", qui pourrait provenir de Wounded Knee. Cette "merveille des merveilles", dit un prospectus publicitaire spécialement imprimé pour l'occasion, est "complète dans tous ses membres et ses moindres détails, de sa forme extérieure jusqu'à son minuscule cœur".
L'extermination des Sioux, que fixe et symbolise Wounded Knee, exerce une fascination morbide sur le public américain.
(Ce qui est arrivé à Wounded Knee. Laurent Olivier. Flammarion 2021)


... un certain tabou de l'Inde ancienne qui interdisait aux rois de marcher pieds nus, pour que leur puissance ne se disperse pas dans la terre. (...) on trouve un autre exemple dans une statuette de bronze représentant Mercure, dont le pied gauche est chaussé tandis que le droit reste à nu. S'il s'agit, comme cela a été dit, d'une représentation de Mercure en dieu psychopompe "guide des âmes" conduisant les morts vers l'Au-delà, le lien avec l'Autre Monde est évident.
Cet Autre Monde était également perçu comme un pays de prospérité et d'harmonie. (...) Laegaire (...) fait un voyage à Mag Mell ou la "Plaine des délices", Un nom qu'on retrouve dans d'autres récits et qui désigne le monde païen de l'Au-delà. Son voyage le mène sous le "lac des oiseaux" (...), un "lieu féerique de douces musiques lancinantes, où l'on peut boire de l'hydromel dans des vases clairs, en conversant avec l'être aimé".
(L'archéologie et la mythologie celtique. John Waddell. Sidestone 2022)


Mais le créateur dut vite admettre que tous les Hommes devaient dormir (...). Il vint donc un matin et poussa d'abord un cri de vie. Personne ne lui répondit. Puis il cria: "Mourez! Mourez!" Ce fut le moment que choisirent les êtres humains pour se réveiller et lui répondre par l'affirmative. C'est pourquoi, depuis ce jour-là, les Hommes meurent.
... certains masques de Colombie Britannique présentaient des affinités avec les séismes, les poissons et le cuivre. (...) L'assimilation du métal à des excréments, attestée au Japon, existe aussi chez les Athapaskan (qui l'appellent "excréments d'ours" ou "de castor") (...) les tremblements de terre et l'obtention du cuivre sont parfois liés aux morts. (...) les âmes des morts rejoignent les esprits surnaturels, et le maître des richesses. Son palais et son mobilier sont ainsi entièrement faits de cuivre.
... "la loi générale de la croissance et de la mort des êtres vivants définit le mot vie en une sorte de pléonasme. Alors tout est clair, tout est identifié. Mais, à notre avis, plus court est le procédé d'identification, plus pauvre est la pensée expérimentale." (Bachelard)
(L'aube des mythes. Julien d'Huy. La Découverte 2023)


Les morts deviennent une source de vitalité non seulement pour le monde végétal, mais également pour les vivants...
Cette relation triangulaire est la source d'un nouveau rapport aux défunts bien plus serein et bénéfique pour la communauté que celui connu chez les chasseurs-cueilleurs...
Plutôt qu'une promesse d'une vie éternelle ou de transmigration des âmes (...), la sérénité semble ici émaner du transfert de vitalité du défunt vers le blé. (...) Cette sérénité se fonde sur un transfert de vitalité du défunt vers la nature, sur sa métamorphose en un être immortel fusionnant avec les puissances cosmiques (...).
... la conservation de ces graines, et leur transport à distance, peuvent désormais se substituer à la sépulture et son ancrage en un lieu précis. Cette mobilité potentielle des défunts via les graines qui en recèlent la substance ouvre l'opportunité d'un mode d'être itinérant…
(Les graines de l'au-delà. Nissim Amzallag. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2023)


Dans la pensée otomi, l'entrée du défunt au "nitu", l'"endroit des morts", représente l'issue d'un long cheminement avant même l'apparition des stigmates de la mort. C'est pourquoi, d'une certaine façon, les vieillards font figure d'incarnation vivante des ancêtres.
... la bonne marche de l'univers appelle inexorablement l'anéantissement du sexe masculin, une "coupure" au contact de l'élément féminin qu'il fécondera. C'est en cela que les morts sont des êtres impuissants, émasculés, tels ces vieux ridés que nous dépeint la geste carnavalesque. Mais "coupure", dans l'acceptation otomi du terme, ne signifie pas disparition définitive. (...) les défunts, une fois revitalisés par l'absorption de nourriture, fertiliseront à nouveau l'univers.
(La moitié du monde. Jacques Galinier. PUF 1997)


"Le fugitif instant où l'on reçoit les rayons du soleil vaut plus que l'éternité où l'on domine sur l'empire des morts", lit-on sur une stèle égyptienne.
En assimilant la vraie mort d'une personne à la disparition de son souvenir de la mémoire des vivants, les Batammariba ont fait reculer la frontière de la mort sur une distance prodigieuse, introduisant un espace de liberté où (presque) tout devient possible. A condition de se souvenir. De se souvenir de ses morts.
Un défunt a besoin que son nom, en lequel s'incarne désormais son "diyuani", continue à être invoqué par une voix humaine.
... "lorsqu'un vieux sent l'odeur de son corps", appelle-t-il son fils préféré, le benjamin, héritier de la "takyènta". Sinon, il s'en remet à l'aînée de ses filles…
Le jour où l'on célèbre le "tibènti" de son père, un benjamin, malgré son âge, accède brusquement à la maturité. (...) il grandit (mûrit) plus vite que ses frères.
En conduisant le "tibènti", les Vrais Hommes contribuent à quelque chose de puissant, qui rythme la respiration d'un clan. Chaque fois qu'un père rend le dernier souffle, tous les membres du clan croient contempler les décombres d'une "maison détruite". Ils semblent perdre leurs forces comme le défunt, se taisent. Seuls les "Onitido" qui ont bravé la mort et l'ont vaincue, qui savent le malheur qu'elle représente, ont la capacité de sortir le clan de sa torpeur. Grâce à leur action, le "tibènti" insuffle périodiquement de l'énergie aux vivants qui perdent espoir. Dans un silence de fin du monde, ils renaissent dans un sursaut.
Après la mort, un Otammari n'attend ni punition ni récompense dans un vague au-delà pour les actes accomplis de son vivant. L'essentiel pour lui est d'avoir réalisé ses tinènti: d'être allé jusqu'au bout de son destin. En cela, l'opinion des Batammariba est proche de celle d'un Samuel Butler: "Pour moi, disait l'auteur d'Ainsi va toute chair, le bien n'est jamais récompensé, ni le mal puni dans une existence future…"
... la manière dont ils se taisent pendant la nuit d'un "tibènti". C'est alors qu'ils redeviennent ce qu'ils sont, peuple du vent et de la nuit, à l'écoute des voix de leurs morts et de "ceux de sous terre", ces esprits qui s'incarnent dans certains arbres, sources ou pierres.
(Le souffle du mort. Dominique Sewane. Plon 2020)


Tels sont les effets du bayja: il fournit à l'homme qu'il affecte les moyens de réaffirmer son humanité en lui conférant le pouvoir d'attirer les animaux, mais du même coup il multiplie pour lui les risques représentés par les nombreux jaguars qui ne manquent pas d'accourir. Etre bayja, c'est donc exister dans l'ambiguïté, c'est être ensemble chasseur et proie, c'est en somme se trouver entre nature et culture.
... attentif à ne pas succomber aux appels de la forêt et vaillant comme à l'ordinaire, il avance d'un bon pas en un monde dangereusement vivant. Il marche en réalité au-devant de lui-même, il est en quête de son propre soi, de sa propre substance. (...) La possibilité d'une mort réelle dans la jungle traduit en mode lyrique une mise en question de son être, une mise à mort effective, quoique symbolique, telle qu'elle l'ébranle jusqu'au cœur de son exister.
Apparemment donc, la force mauvaise du bayja n'est libérée que dans les circonstances où la féminité fait irruption à la fois en sa vie biologique individuelle et en la vie sociale du groupe. (...) c'est dans et par l'espace du rituel que l'ordre naturel se convertit en ordre culturel.
Une naissance d'enfant porte en soi un germe mortel, elle met en question l'existence des autres: nous assiège ici le sage et cruel constat que les hommes ne sont pas des dieux et que toute position de vie fait pour eux signe vers leur mort.
Mais le Tö kybairu? N'est-ce point justement, fête de ceux d'en bas, le défi assuré à la mort, la certitude proclamée qu'elle n'a plus de prise sur les Aché? Le Tö kybairu est contre la Mort.
Tel est certainement le résultat de la mort: un dédoublement du manove en fantôme ennemi d'une part, en "esprit" neutre de l'autre, lequel s'en va innocemment habiter, du côté du soleil couchant, la demeure des morts, que les Aché décrivent soit comme une grande savane, soit comme la Forêt Invisible.
... la mort libère l'âme du corps qui jusque là la retenait comme "prisonnière" incapable de nuire; mais elle refuse sa nouvelle liberté, elle cherche tout de suite à y échapper en essayant de trouver un autre corps, en tentant d'envahir celui d'un vivant. (...) Lorsque la mort a brisé l'unité vivante corps-âme, chacun des termes composants subsiste désormais pour soi, extérieur à l'autre, ils sont définitivement séparés.
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)


"J'ai fait mon temps! Allez-vous-en, vous autres." (...) Le père a choisi l'heure et de sa mort et de son recommencement en son fils.
... les tabous [se rattachant à l'ensevelissement des morts]: (...) les femmes ne doivent pas coudre...
L'enfant porteur du nom d'un mort est bien le mort réincarné: l'esprit de ce mort aide l'enfant dans son adolescence. L'enfant a donc deux personnalités (...). Ce n'est qu'à douze-treize ans que l'enfant est jugé adulte: on pense que l'esprit du mort se désincarne alors...
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)


"Il y a quelque chose de sacré dans l'horreur que suscite en nous la pensée des camps nazis." (Jacques Rivette)
Singularité absolue, horreur absolue, qui font dire à l'auteur que "l'holocauste, cela ne se regarde pas en face". En reprenant presque littéralement la formule biblique (Exode 33, 20), Lanzmann se situe donc dans la droite ligne des spéculations nord-américaines (..): Auschwitz ne se regarde pas plus en face que l'Eternel. (...) Il y a un reste d'inintelligibilité, auquel Lanzmann, comme Wiesel, tient comme à une certitude et un dogme au sens propre du mot.
Auschwitz est "un mystère qui nous dépasse et nous subjugue".
(Du héros à la victime: la métamorphose contemporaine du sacré. François Azouvi. Gallimard 2024)


... ce qui est terrifiant, ce n'est pas la mort. C'est la manière de mourir.
Les Ibos allaient volontiers jusqu'au suicide pour être libres (...). Mourir était pour eux l'occasion de mettre fin à leurs peines mais aussi de retourner auprès de leurs ancêtres.
... ce vide insipide qui vous englue dans un ennui épais, comme une antichambre de la mort dont on ne sait si elle est le néant définitif...
(Cinq tambours pour deux serpents. Mireille Aïn. Plon 2022)


La parole en vérité est un preneur. Elle est saisie par le nom, c'est le repreneur, car on prononce les noms par la parole. (...)
Le mental en vérité est un preneur. Il est saisi par le désir, c'est le repreneur, car on désire des désirs par le mental. (...)
... quand un homme meurt, qu'est-ce qui ne le quitte pas? Son nom, dit-il, un nom est sans-fin, et les-tous-les-dieux sont sans-fin.
Emporter quelqu'un qui est mort dans la forêt, c'est en vérité la suprême ascèse.
(Les Upanisad. Alyette Degrâces. Fayard 214)


"Timakana s'en alla. C'est seulement quand on s'adresse à lui en vociférant grossièrement, quand on l'insulte ou qu'on lui tire dessus à coups de flèches qu'il se fâche et mange ton âme."
(...) Mais un sort bien pire guette parfois le malheureux: son âme mangée, il peut rester en vie comme une espèce de zombie. C'est la spécialité d'Anyang (...) C'est l'esprit des morts (...) parfois il prend la forme d'une multitude de personnages, tant mâles que femelles. Ceux-ci se promènent parfaitement nus (...) [ils] dansent des rondes qui consistent en de répugnantes cabrioles…
Il faut toutefois que le héros soit tué, d'abord pour prouver qu'il est en vie, et surtout pour permettre à celui qui l'a tué d'entrer en possession des attributs du héros afin de devenir lui-même un héros. (...) L'ogre est un corps sans coeur; le héros est un coeur sans corps. Pour pouvoir le tuer, il faut se procurer un corps que le coeur, rituellement appelé, viendra habiter.
Les récits relatifs à l'anthropophagie tupinamba nous sont d'une grande utilité, ils nous apprennent comment on procurait un corps au héros et comment on le tuait ensuite. "Les guerriers vraiment braves meurent dans le pays de leurs ennemis", disaient avec orgueil les Tupinamba…
Ennemi adopté, il prend la place de l'homme en l'honneur duquel il sera tué; allié par mariage, il est aussi un paria; il est à la fois honoré et injurié, bouc émissaire et héros. On cherche à l'effrayer, mais, s'il a peur, il sera jugé indigne du sort qui l'attend. En se prêtant à ces rôles sociaux avant tout, il devient un être humain dans toute l'acceptation du terme, un vivant exemple de contradictions inhérentes à la société: situation impossible à laquelle seule la mort peut mettre un terme, et que viennent encore aggraver les pouvoirs et les attributs propres au héros culturel, dont le rituel dote le prisonnier. Celui-ci devient un représentant de l'autre monde installé en plein milieu du nôtre, une sorte de Janus trop sacré pour qu'on puisse vivre avec lui.
En remplissant son office, le bourreau a obtenu du prisonnier ce degré de conscience qui est l'apanage du héros et qu'illustre, à sa façon, le soleil au cours de son voyage souterrain.
(Aimables sauvages. Francis Huxley. Plon 1980)


... l'Inde ancienne a produit des mythes et des spéculations qui enseignent que la mort est en quelque sorte à la base de la structuration humaine de la vie.
... il faut donc qu'ils aient des fils qualifiés pour exécuter les rites funéraires qui seuls rendent possible la transformation des défunts en ancêtres. C'est de cette machinerie que Yama a la charge: les descendants sont un "tissu qui se tisse sur le métier tendu par Yama".
Les institutions de la vie n'ont de sens que si on les rapporte à la mort. La pure inéluctabilité de la mort est retravaillée, repensée, dans la mythologie et la spéculation védiques, de manière à former un cadre juridique et social qui la rende intelligible.
... l'aube et le crépuscule sont comme deux interstices par où nous pouvons nous dégager. C'est-à-dire: l'homme qui célèbre l'oblation au Feu pendant que le soleil se lève et pendant qu'il se couche et qui, donc, sait donner une certaine durée à ces moments de la journée échappe à la mort vers laquelle le conduit la succession alternée des jours et des nuits.
Les obsèques sont un sacrifice, le sacrifice qui permet aux vivants d'expédier le mort dans l'au-delà, ce qui ne peut s'accomplir que parce que le cadavre reçoit le statut de victime sacrificielle.
Il ne faut pas que le mort d'un élément du groupe soit un obstacle (...) le mort a besoin des survivants, mais les survivants ont besoin du mort. C'est-à-dire que le mort, en tant que participant au sacrifice, aura lui-même, jusqu'à ce que le sacrifice soit achevé, une sorte de survie sur le terrain du sacrifice...
... la mélodie est caractéristique du dieu de la mort Yama, car le but est d'aider le mort à parvenir au royaume de Yama (...). Ce poème, traditionnellement attribué à la Reine des serpents est pour l'essentiel une invocation au Soleil (...) le serpent mythique Arbuda s'est débarrassé de sa peau morte grâce à ses strophes...
La formule brahmanique serait: il n'est pas nécessaire que l'individu soit vivant; ce qui importe, c'est que vivant ou mort il puisse demeurer à bord, afin que le bateau du sacrifice aille jusqu'au bout de son itinéraire.
(Le jumeau solaire. Charles Malamoud. Seuil 2002)


Si chacun de nous saisit vraiment sa mort, disputera-t-il encore âprement avec un rival pour une parcelle d’intérêt matériel, ou pour un grain de renom social ?
La terre m’a donné un corps, la vie m’a fatigué, la vieillesse a relâché mon activité, la mort me reposera. Bénie soit la vie et par cela même bénie soit également ma mort !
… [des Anciens] estimaient qu’il existait quelque chose à l’origine de l’univers, que la vie provoque la destruction de ce quelque chose et que la mort est le retour à lui...
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)


… il est intéressant de mentionner une pratique courante des embaumeurs sur la côte centrale du Pérou, une coutume pré-inca qui se poursuit sous l’Empire et qui consiste à glisser de petites feuilles de tumbaga à des endroits choisis du corps de la momie : à ses pieds, au niveau du pelvis, des mains, des épaules et du visage.
(Les Incas. Peter Eeckhout. Taillandier 2024)


« Le mort, donc, revivait comme Osiris et c’est ce que voulaient exprimer – et, sans doute, magiquement exprimer – le lit d’orge germé dressé près de son sarcophage, ou la jardinière placée à l’entrée de sa tombe. Osiris est devenu le dieu des morts parce qu’en sa qualité de dieu de la végétation il ne mourrait jamais tout à fait et que les hommes ont voulu, en s’assurant sa protection, partager son sort ». (Roland de Vaux)
(Le matin des dieux. Salvatore D’Onofrio. Editions Mimésis 2018)


… survint la femme du prêtre qui, dansant avec frénésie, se dirigea vers le corps. Elle tenait entre ses lèvres une petite tresse d’herbes que, pendant les quarante-trois jours de deuil, elle ne retirerait de sa bouche que pour se nourrir – cette tresse apportant, tout à la fois, la garantie de son silence et la preuve de son chagrin.
La tombe demeura ouverte pendant sept jours, au cours desquels les danses se poursuivirent sans discontinuer. (…) Les funérailles sont les grands moments de la vie sociale chez les Abron, la clé de voûte de leur civilisation. (…) Face à la séparation, les funérailles réaffirment les liens sociaux.
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)


Je hais les objets, surtout ceux que l’on regarde comme le produit des arts, exilés des relations humaines qui leur donnaient une pleine signification ; les objets en vitrine, aussi impuissants que les morts devant les foules de la Toussaint.
… il restera toujours quelque chose d’inquiétant dans ces « expositions » d’humanités étrangères ; cette fixité, cette composition qui semble définitive et laisse échapper l’insaisissable, à mes yeux l’essentiel : les changements divers par lesquels une civilisation manifeste sa vitalité et son histoire.
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)


… les soins apportés aux morts nous définissent, en partie, en tant qu’humains, tout comme la vie que nous menons construit notre propre corps.
… le monde des morts ne parle pas seulement des morts, il parle de la société qui prend soin de ses proches, il parle des pressions sociales et de la recherche de la survie, c’est pourquoi « les efforts missionnaires et l’influence des régions semblent s’être concentrés sur deux champs de bataille, le lieu d’inhumation et l’inhumation secondaire. Aujourd’hui, nous savons (ou comprenons enfin) que cette insistance à modifier les pratiques funéraires est, en plus d’être raciste, une forme de génocide culturel.
(Archéologie de l’Amazonie. S. Rostain C. J. Betancourt. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme 2025)


La permanence d’une beauté immortelle, la stabilité d’une gloire impérissable, c’est la culture qui a seule le pouvoir de les édifier, dans ses institutions, en conférant à des créatures éphémères, disparues d’ici-bas, le statut de « beaux morts », de morts illustres.
… l’apôtre Paul enseigne que les chrétiens doivent se « conformer » à ce corps mis à mort pour être plus tard rendus « semblables » par la résurrection à son « corps glorieux ».
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)