Tout l'effort de la pensée chrétienne et démocratique moderne a été entièrement dirigé vers un élargissement constant des limites du groupe humain, jusqu'à rendre la notion d'humanité coextensive à l'ensemble des êtres humains qui peuplent la surface du globe.
Mais, dans la mesure où nous avons réussi (…),nous avons perdu (…) la possibilité de penser cette humanité indéfiniment élargie comme un ensemble de groupes concrets entre lesquels doit s'établir un équilibre constant entre la compétition et l'agression (…) Nous serions ainsi amenés à rechercher si nos préoccupations actuelles, qui nous font penser les problèmes humains en termes de sociétés ouvertes (…) ne laissent pas échapper un certain aspect de la réalité qui ne soit pas moins essentiel, et si l'aptitude de chaque groupe à se penser comme groupe, par rapport et par opposition à d'autres groupes ne constituent pas un facteur d'équilibre entre l'idéal d'une paix totale qui relève de l'utopie et la guerre également totale qui résulte du système unilatéral où notre civilisation s'est aveuglément engagée.
(La politique étrangère d'une société primitive. Claude Lévi-Strauss. Mai 1949)
Chacun avait le droit d'honorer ses « dieux ancestraux », selon les « rituels ancestraux », la religion étant conçue comme l'élément fondamental de l'identité ethnique en même temps qu'on lui reconnaissait la fonction essentielle de créer du lien social. Les croyances personnelles n'étaient pas en cause (elles relevaient du for intime), si bien que la liberté religieuse ne fut jamais revendiquée jusqu'à une date tardive comme un droit personnel, mais comme une liberté collective, celle d'un peuple ou d'une communauté d'immigrés (…). En créant du lien social, les cultes et la pratique rituelle assuraient la cohésion du groupe au sein de la famille, de la tribu, du quartier, de la profession, de la cité, tandis que le culte de Rome et celui du souverain, de portée universelle, devait favoriser l'intégration des non-Romains à l'Empire. Le polythéisme permettait la juxtaposition d'appartenances cultuelles variées.
(Comment notre monde est devenu chrétien. Marie-Françoise Baslez. CLD 2008)
Il n'y avait aucune brutalité entre les enfants et on ne prenait avantage de la faiblesse de personne.
(Souvenirs d'un chef sioux. Ours debout. Payot 1931)
C'était le sorcier guaharibo qui chantait, accroupi près du foyer de son village. Tout autour de lui et de nous, tout autour de ces deux petits et précaires oasis humains, l'obscur inconnu était déchaîné. Alors entre les hamacs des gens endormis, près du petit foyer qui ne doit pas s'éteindre, le sorcier guaharibo s'était accroupi et chantait. (…) Mais je fus saisi et me souviens encore de l'urgente nécessité qui jetait dans la nuit ces mots que je ne pouvais comprendre (…) Tandis qu'autour de lui dormaient les femmes, les hommes et les enfants, le sorcier guaharibo, accroupi près du foyer rouge, ouvrait la bouche et crispait ses entrailles. Il y avait un petit soleil dans son ventre. Il s'identifiait au feu. Il était le réceptacle et le gardien de la flamme par laquelle grandissent les siens. Il exorcisait. Il travaillait. Il luttait contre toutes les monstrueuses forces de l'obscur, qui se pressaient à un mètre, à cinquante centimètres de lui et s'entrechoquaient. Le petit soleil dans son ventre, était sa seule arme. Il animait la vie. Le sorcier chantait pour que s'affermisse l'aube humaine. Son souffle rayonnait autour de lui comme à partir du centre d'une étoile. Au début des bras de cette étoile son peuple dormait, le corps traversé par ce souffle. (…) Sur les milliers et les milliers de kilomètres de la vaste terre, entre la détresse et le rire, c'est ainsi que, tout de même, avance, microscopique et lente, la vie de l'homme nu, entre le chaud et le froid, entre le mal et le bien, autour des hommes qui chantent, au coeur de leurs étoiles.
(L'expédition Orénoque Amazone. Alain Gheerbrant. Gallimard 1952)
Les marchandises ne meurent pas. C'est pourquoi nous ne les accumulons pas de notre vivant et nous ne les refusons jamais à ceux qui les demandent. Si nous ne les donnions pas, elles (…) ne serviraient alors qu'à faire peine à ceux qui nous survivent et pleurent notre mort.
(La chute du ciel. Davi Kopenawa. Plon 2010)
... l'identité est relationnelle par principe...
(Pierre Legendre. Argumenta et Dogmatica. Mille et une nuits 2012)
… connaître, (…) aimer et (…) appartenir à un seul lieu. D'échapper aux inquiétudes et à l'égocentrisme individuels, d'être guéri du besoin de toujours regarder vers l'horizon, grâce à une communauté humaine et géographique qui explique votre rôle dans une histoire plus vaste et qui donne à votre vie le sens qu'il vous faudrait sans cela chercher à travers le monde. Du droit à rien de moins que l'enviable simplicité d'un lieu à aimer, d'un passé dont se montrer digne et d'un avenir à protéger. (…) c'était apparemment là ce qui motivaient les Nez-percés, pas après pas, bivouac après bivouac.
« Je sentais venir la fin. La perte de tout ce pour quoi nous avions souffert !
Des images de la Walowa où j'avais grandi emplirent mes pensées. Images de mon pays quand seuls les Indiens l'habitaient. De tipis le long des courbes de la rivière.
(Ne vends jamais les os de ton père. Brian Schofield. Albin Michel 2013)
[Le Comanche] aimait chanter (…) Il aimait tous les jeux (…). Il dansait des heures, voire des jours entiers. Il adorait sa famille, en particulier ses fils, et passait des hivers indolents blotti dans d'épaisses fourrures de bison autour du feu de son tipi (une vraie prouesse architecturale, qui conservait tellement bien la chaleur qu'une petite flambée suffisait à tenir ses occupants au chaud, y compris quand soufflait le vent cinglant et glacial des Plaines).
… l'immense village comanche dont les tipis, les feux de camp et les séchoirs de viande serpentaient sur des kilomètres le long du cours d'eau.
(L'empire de la lune d'été. SC Gwynne. Albin Michel 2012)
« C'est une vie de cérémonies et de mythologie, de rites et d'objets sacrés. C'est la vie qui fait que l'homme trouve sa vraie place dans la société et dans la nature, qui le met en contact avec les choses invisibles du monde passé, présent et à venir. » (AP Elkin)
… l'opposition nettement tranchée que nous établissons entre expérience et croyance ne vaut pas pour la mentalité primitive comme pour la nôtre. L'expérience personnelle de chaque individu se modèle bien plus étroitement sur les croyances collectives de son groupe.
« … les indigènes sentent que le bien-être de ce qui reste de la tribu (…) demande que ces sanctuaires soient conservés et maintenus en bon état… Quand tout le reste a disparu, ces tribus s'attachent désespérément à l'interprétation mystique du monde, de l'homme et de la nature. Grâce à elle, ils se sentent chez eux dans leur milieu. » (AP Elkin)
C'est que, sans la participation, sans la communion avec les ancêtres mythiques de la tribu, ils savent qu'elle ne pourra plus vivre.
(L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs. Lucien Lévy-Bruhl. Dunod 2014)
… les enfants riaient avec lui. Aucun d'entre eux ne savait lire, mais ils savaient tous rire.
(Le chasseur d'histoires. Eduardo Galeano. Lux 2017)
... le spectacle de la nature féconde, la fébrilité d'avant la fête, les déplacements répétés, les jeux et les chants des jeunes, les retrouvailles entre parents, les conversations avec des amis de jeunesse venus de loin pour manifester leur compassion, le brassage des meilleurs souvenirs, tout cela combiné aux sacrifices consentis pour le plaisir des festivités ne peut que remonter le moral, redonner l'appétit et rendre goût à la vie...
(Gavriil Ksenofontov. Les chamanes de Sibérie et leur tradition orale. Albin Michel 1998)
La fête des morts, qui réunit finalement des bandes siouses, saulteuses et cries, au total plus de 2000 Amérindiens, s’étale sur deux semaines. Elle dessine un espace social de paix qui repose sur l’établissement d’alliances personnelles, sur des festins…
(Loti en Amérique. Bleu autour. Mai 2018)
L’étude génétique de plusieurs restes humains découverts à Sunghir (…) et datant d’il y a 34000 ans, suggère également une structure sociale avec un faible niveau de parenté à l’intérieur de chaque groupe, des modèles complexes de résidence familiale, une mobilité individuelle relativement élevée et des réseaux sociaux à plusieurs niveaux (Sikora, 2017).
(Cosmogonies. Julien d’Huy. La Découverte 2020)
C'était au plus profond de l'hiver. Nous avons été éblouis lorsque nous les avons vus apparaître dans leurs habits de peau de daim et de bison, parés comme des princes de plumes et d'ornements de cuivre et de turquoise. Les ambassadeurs de la Nation du Bœuf nous ont conduits auprès de leur conseil et nous ont débarrassés de nos vêtements sales et mouillés, jusqu'à ce que nous soyons tout nus, puis ils nous ont enduit les jambes de graisse, qu'ils ont peintes en rouge. Alors, ils ont pleuré sur nos têtes, nous mouillant la figure de leurs larmes, comme si nous étions des revenants.
Ensuite, ils nous ont habillés de douces fourrures de castor, ils nous ont fait fumer de leur pipe de guerre et de paix. (...) ils nous ont offert un festin extraordinaire, qui a duré sept jours entiers. (...) Cela s'est passé à l'hiver 1660.
(Ce qui est arrivé à Wounded Knee. Laurent Olivier. Flammarion 2021)
Ecole d’un authentique sens du bien commun et d’un véritable esprit du vivre ensemble, dans le fondement tribal de la Danse du Soleil, seul le « nous » compte. Et la communauté.
(Maurice Rebeix. Natives automne 2021)
... la magie des Indiens repose sur des croyances et une efficacité symbolique homologues à celles que les civilisés entretiennent avec la religion chrétienne.
... la puissance symbolique et politique des bouffons rituels qui, sous leur apparence de monstres facétieux, dont le comportement transgresse toutes les normes sociales, jouent en réalité un rôle de médecins, de gardiens des traditions et d'éducateurs des enfants, auxquels ils apprennent les chants sacrés et les mythes.
(Tenatsali ou l'ethnologue qui fut transformé en Indien. CNRS Editions 2022)
Avant les monothéismes, tous les hommes avaient le "sentiment d'accomplir les rites avec leurs dieux et leurs ancêtres" (Godelier).
(La caverne originelle. Jean-Loïc le Quellec. La Découverte 2022)
Les Espagnols descendant pour la première fois le fleuve en 1541 furent les derniers témoins de la grandeur d'avant. Ils rencontrèrent des milliers d'Amérindiens et longèrent d'immenses agglomérations pourvues de puissants systèmes défensifs, des greniers débordant de maïs, des enclos remplis de tortues, un urbanisme organisé avec des rues et des places, parfois même des temples. Quelques décennies plus tard, tout avait disparu.
(Marcher en Amazonie. Rostain - de Saulieu. Dossiers d'archéologie janvier 2023)
Nous donnons aux amis nos récoltes (...) nous, nous cherchons les déserts, l'absence de civilisation, plutôt que les villes et les campagnes opulentes. (...) Ainsi parla le Barbare [à Alexandre]. (Quinte Curce)
... la propriété et la culture étant communes, en partager les fruits entre les individus, espèce de communauté qui existe aussi assure-t-on chez quelques peuples barbares? (Aristote)
(Utopia. Jean-Louis Poirier. Les belles lettres septembre 2022)
La société qui nous intéresse a su développer des valeurs, des interdits et des recommandations qui lui ont permis de maintenir un équilibre social sans besoin des religions dites révélées. Les comportements de solidarité développés par cette société, par exemple, dépassent dans leur efficacité et leur perfection de très loin les recommandations de ces religions proche-orientales qui lui ont été imposées par ses conquérants.
(Une mythologie berbère. Hassane Benamara. L'Harmattan 2022)
En définitive, les hommes achuar consacrent environ cinq heures de leur temps moyen quotidien à assurer l'existence matérielle de la maisonnée, contre à peu près six heures pour les femmes. Le reste du temps est libre et les Achuar l'emploient aux repas, aux conversations, au sommeil, aux baignades, aux visites, aux danses, aux expéditions guerrières et aux jeux amoureux.
En vouant une partie de leurs aliments au rebut, les Achuar se donnent le même luxe que les sociétés hyperindustrialisées, offrant ainsi un démenti éclatant à l'image traditionnelle de la société primitive tout entière mobilisée dans sa lutte contre la faim.
En cas d'interruption accidentelle du travail, il faudra alors compter sur la solidarité des parents dans une société primitive ou sur un système étatique de prestations sociales dans une société industrielle avancée.
L'espèce d'anarchie politique dans laquelle vivent les Achuar porte amplement témoignage de ce qu'une économie agricole efficiente n'a aucunement besoin de la chefferie ou d'une aliénation du libre-arbitre de chacun pour fonctionner adéquatement.
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)
… une pure affaire de relations denses et enchevêtrées entre les hommes et les forces surnaturelles, entre vivants et morts dans une configuration en carrefour ! Il ne percevait pas du tout le site comme moi, dans une dimension individuelle, physique, esthétique et émotionnelle, mais tout à l’opposé, dans sa dimension historique, collective et surnaturelle.
(Les gens de l’or. Michèle Baj Strobel. Terre humaine 2020)
"Lorsqu'ils arrivèrent dans la baie de Guinée et abordèrent à Vaïda, les capitaines furent étonnés de trouver des rues bien aménagées bordées sur une longueur de plusieurs lieues de deux rangées d'arbres: ils traversèrent pendant de longs jours une campagne couverte de champs magnifiques..." (Leo Frobenius)
(Le souffle du mort. Dominique Sewane. Plon 2020)
Je détestais les voitures, les avions, la radio et la télévision (...), et j'étais toujours heureux, en Irak ou ailleurs, de partager une masure remplie de fumée avec un berger, sa famille et ses bêtes. Auprès de tels êtres, tout était étrange et différent, leur confiance en eux-mêmes me mettait à l'aise, et j'étais fasciné par le sentiment de continuité avec le passé.
(Les Arabes des marais. Wilfred Thesiger. Plon 1983)
Les chefs sont empêchés d'utiliser leur fonction à des fins personnelles; ils doivent veiller à ce que leurs desseins ne débordent jamais les intérêts de la communauté, ils sont au service du groupe, ils en sont les instruments. Soumis à son contrôle permanent, les leaders ne peuvent transgresser les normes qui fondent et sous-tendent toute la vie sociale.
On voit se dérouler ici une opposition, humblement exprimée, par la cuisine, entre nourriture riche, carnée et familièrement consommée, et nourriture pauvre, végétale et socialement absorbée. Se dissimulent là une éthique personnelle et une philosophie de la société, selon lesquelles est proclamé que le destin des hommes dessine sa figure seulement sur l'horizon du collectif et exige de chacun le renoncement à la solitude de son soi, le sacrifice de la jouissance privée.
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)
Le groupe, ne l'oublions pas, est aussi un instrument de lutte contre les forces d'inertie qui, dans le cadre d'une histoire close, menacent toute collectivité…
Je songe aux atypiques - souvent des inhibés sexuels -, expression permanente de l'opposition, toujours en marge du groupe et pourtant - comme les fous du roi - infiniment respectés par lui, comme s'ils étaient l'envers de sa propre image.
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)
Tous ces plaisirs naissaient au hasard des saisons, des êtres ou des dieux, d'eux-mêmes; s'épandaient sans effort; s'étendaient sans mesure: sève dans les muscles; fraîcheur dans l'eau vive; moelleux des chevelures luisantes; paix du sommeil alangui de ava; ivresse, enfin, des parlers admirables…
(Les Immémoriaux. Victor Segalen. Points 1985)
... je finissais par me sentir aussi à l'aise que dans un village anglais - et peut-être même davantage puisque je n'avais pas le souci d'être respectable.
(Aimables sauvages. Francis Huxley. Plon 1980)
L'originalité du système kalash défie l'exploitation politique du sermon des Béatitudes par l'Occident chrétien. Au "Bienheureux les pauvres", car ils seront récompensés au ciel des souffrances et servitudes entretenues par les maîtres, répond le principe kalash: Bienheureux les riches car ils gagneront l'immortalité en échange de leur générosité répétée au profit de toute la communauté. (...) Il n'y a pas de laissés-pour-compte.
(Solstice païen. Loude, Lièvre, Nègre. Editions Findakly 2007)
... cette pensée brahmanique qui, à tant d'égards, est tout le contraire d'un humanisme, "parce que par l'homme toute chose est mesurée ici": ici, c'est-à-dire dans l'espace construit du rite.
(Le jumeau solaire. Charles Malamoud. Seuil 2002)
Gilgamesh régresse à l’état sauvage. Il erre dans la steppe, couvert seulement d’une peau de lion, puis il pleure encore « six jours et sept nuits » son ami Enkidu redevenu argile.
(Le matin des dieux. Salvatore D’Onofrio. Editions Mimésis 2018)
La culture abron est pénétrée du sentiment que chacun doit assumer une juste part dans la vie du village. Ce sens de la participation est adapté aux capacités de l’individu, les quelles sont largement déterminées par son âge et son expérience.
Un jour, j’expérimentai mon magnétisme social en allant m’asseoir de l’une à l’autre des places du village. Un par un, sans nullement se donner le mot et même lorsqu’ils étaient occupés à autre chose, les hommes se levèrent et se transportèrent lentement là où j’avais choisi de m’asseoir. Ce comportement envahissant est courant en Afrique occidentale, et, d’après des collègues, en bien d’autres régions du globe. Il est clair que c’est nous qui sommes asociaux !
Les nuits de pleine lune, le village bourdonne de conversations, de jeux d’enfants, de « bagarres pour rire » entre adolescents, ou de danses, s’il y en a prétexte.
Les multiples contacts d’un enfant avec divers parents plus ou moins proches lui évitent de dépendre d’un couple parental, tel que cela se produit dans nos familles nucléaires. (…) Cet aspect de l’éducation est aussi positif pour les parents que pour les enfants. (…) On peut affirmer, par comparaison avec notre système, que les Abron vénèrent la vie humaine. Enfants et vieillards ne sont pas soumis au bon vouloir des adultes, et les parents ne sont pas, pendant des années, esclaves de leurs enfants. Chaque famille élargie dessine un cercle d’amour et de confiance autour de ses membres.
Les Abron n’ont pas de « vie privée ». Ils sont constamment dehors, en compagnie des autres. Tout se passe à l’extérieur des maisons et dans les cours : l’intérieur des pièces est neutre et même négligé. (…) En revanche, les lieux publics sont décorés…
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)
La circoncision ritualisée donnait, à un moment précis, accès à la vie sexuelle normale ; elle entraînait des contraintes qui domestiquaient la puissance du jeune mâle alors intégré au groupe des hommes.
Dans le village lébou, ce sont les « sociétés d’âge », associations rassemblant tous les garçons ou filles ayant approximativement le même âge, qui établissaient les premiers ajustements entre sexes. Chaque année, vers la fin de la saison sèche, une réunion mixte permettait de former des couples pour lesquels une sorte de jeu, qui ne restait pas toujours platonique, constituait un apprentissage des relations de coopération devant prévaloir entre hommes et femmes.
Toutes les épreuves d’exaltation auxquelles se soumet l’Africain, qu’il s’agisse de rythmiques ou de cérémonies recourant au « drogage », sont collectives.
La danse et les festivités gastronomiques entraînent une large participation de la communauté. (…) Liens sociaux et relations de bon voisinage retrouvent dans l’allégresse une nouvelle vigueur. Ainsi en advenait-il à ces fêtes campagnardes, dominant les obligations religieuses, qui caractérisaient les premières communions dans les villages de la province natale et pendant lesquelles les familles apaisaient d’anciennes querelles. Il semble qu’en ces moments privilégiés où les adultes accueillent, grâce à un rituel particulier, une nouvelle génération, les hommes soient conduits à refaire provisoirement une unité dégradée.
La cérémonie polarise les forces collectives, réanime les circuits d’échange, réactive les obligations réciproques – si bien que les invités ne viennent jamais sans un chargement de cadeaux, moutons, poulets, riz, huile rouge, argent ou noix de cola soigneusement serrés dans de petits paquets de feuillage.
Si elle a le souci de se conformer à des obligations anciennes, la jeune fille kono voit surtout dans l’excision le moyen de se faire reconnaître par tous comme membre « de plein exercice » de la communauté. Elle s’émancipe de l’enfance, sans les expédients par quoi les jeunes de nos sociétés essayent d’arracher cette reconnaissance de leur état d’adulte, qu’on leur concède seulement du bout des lèvres.
L’initiation régit d’abord les rapports entre sexes. Une période de liberté la précède, durant laquelle la jeune fille se complaît aux intrigues amoureuses et recherche le succès dus aux seuls jeux de la coquetterie. (…) Les expériences honteuses, les enseignements hasardeux ni les rencontres de fortune n ‘accompagnent ici la naissance de la vie sexuelle : le développement des instincts se soumet au contraire à un plan dont on ne peut contester l’efficacité.
Dans les ruelles exiguës et malaisées, où nous dévalons sur la caillasse, il nous arrive de croiser un des habitants simplement vêtu d’un cache-sexe ; il s’efface, se détourne, fuit le regard. Il défend sa dignité d’homme devant le déclenchement des appareils photographiques, les assauts zélés de visiteurs pressés de consigner leurs remarques et d’esquisser quelques croquis. (…) Les commandos ethnologiques n’ont jamais été de mon goût. Ces assauts des villages, considérés comme de véritables réserves culturelles, laissent toujours échapper ce qu’ils s’étaient donné pour but de saisir – une certaine qualité des sociétés et des rapports humains.
Autour de nous et des vieillards toujours muets et imperturbables, quelques jeunes hommes s’agitent, tentent d’attirer l’attention. (…) Ils font étalage de leurs vêtements, de leurs écharpes de couleurs vives, de leurs lunettes noires, au milieu de cette humanité nue, mais culturellement mieux équipée qu’ils ne le sont. (…) Ils renouent les contacts protecteurs avec les divinités et les génies locaux en venant se conformer aux anciens usages. Ils ne croient plus de la même manière que leurs pères, mais ils ne disposent pour l’instant d’aucune autre source de confiance, d’aucun autre réservoir d’énergie.
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)
Le risque et le rétablissement vécus par le magicien ne constituent pas un drame strictement individuel. A travers lui, à travers son drame existentiel, c’est la communauté dans son ensemble, ou du moins un ou plusieurs de ses membres, qui s’ouvrent à l’aventure de l’être-là que l’on perd et que l’on retrouve.
Au centre du monde magique, il y a le magicien, vivante synthèse d’initiative et de tradition, qui (…) remporte sur le risque existentiel une victoire pleine de sens, pour lui-même comme pour les autres.
Heinz Werner écrit : « Dans les sociétés primitives prédominent généralement des formes de vie réglées par le culte, et auxquelles l’individu doit s’adapter graduellement : naissance, puberté, mariage, entrée dans la société des guerriers ou dans la société secrète magique. Toutes ces formes de vie ne désignent pas simplement des transformations extérieures de l’individu, elles expriment aussi les transformations de forces magiques personnelles. Si, par exemple, un jeune Australien devient pubère, des cérémonies d’initiation le transforment en un membre de la société : il modifie d’une certaine manière sa force magique, parce qu’il passe d’une phase où il était assimilé aux femmes à une autre dont l’essence est la virilité (…) à chaque âge de la vie, la continuité et la constance du Moi se renforcent par rapport aux autres âges de la vie ; cette stabilisation circonscrite dans le temps les rendant conscientes et claires. »
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)
Qui a assisté comme moi à vos réjouissances à l’heure mélancolique du crépuscule ; qui vous a écouté dire que la vie est « belle » ; (…) que celui-là vous dédie comme moi un souvenir affectueux.
(Une race qui disparaît. Ramon Lista. Interfolio 2019)
On ne peut donc parler du corps des dieux qu’en distinguant d’abord les différents plans où il se laisse percevoir : celui des discours qui le racontent, celui du rituel (…), celui de l’anthropologie locale (…). Mais le fétiche (le dieu-objet) est précisément le lieu où ces différents plans viennent se confondre : objet de récits, de pratiques, de contemplation et de spéculation, objet social total aussi (…) en ce que (…) s’y expriment, s’y mettent en œuvre et s’y jouent aussi bien la loi de tous que le sort de chacun.
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)