… du moment (…) où quelqu'un découvre qu'il cesse d'être un touriste pour devenir autre chose, une espèce de satellite neuf et prisonnier d'une orbite autour d'une ville qui n'est pas la sienne mais ne lui est pas non plus étrangère (…) Le centre exact du voyage est la seconde fugace où tu n'es ni en train de débarquer ni en train de partir, mais simplement « là ». Tu te prolonges soudain, sans limites temporelles.
(Mantra. Rodrigo Fresan. Passage du Nord-Ouest 2006)
Nous ne saurons jamais combien il nous en a coûté d'arriver à ce moment d'harmonie qui nous a un jour possédés. Nous ne saurons même pas comment nous avons fait pour y arriver. (…) La connaissance est le grand châtiment. L'esprit veut comprendre et finit seulement par savoir.
(L'écrivain et l'autre. Carlos Liscano. Belfond 2010)
[Les Romains] ont dégagé très tôt la notion de personne et c'est sur elle, sur l'autonomie, sur la stabilité, sur la dignité des personnes qu'ils ont construit leur idéal des rapports humains, les dieux n'y intervenant guère que comme témoins. L'Inde s'est au contraire persuadée que les individus ne sont qu'apparences trompeuses et que seul existe l'Un profond ; que par conséquent les rapports entre les êtres humains ou autres, sont plutôt des rapports de participation, d'interpénétration que des rapports d'opposition ; que dans toute affaire, même la plus temporelle, le principal partenaire est le grand invisible dans lequel, à vrai dire, se rejoignent, se fondent les partenaires visibles.
(Mythes et dieux des Indo-Européens. Georges Dumézil. Flammarion)
Un jeu des essences se livrait à l'intérieur de chaque individu, où l'influence des dieux convertis en temps venait s'ajouter ou se soustraire à l'unité animique.
La force froide qu[e le nouveau-né] possède est aussi associée à l'abondance du maïs et du haricot. Cette force se manifeste par une tache verte qui restera un certain temps visible sur le corps de l'enfant. Il s'agit de la marque appelée « tache mongolique ».
D'autres personnes ayant exercé de leur vivant une profession aimable aux dieux n'ont pas besoin de purgation. Il s'agit des prêtres, des sages-femmes, des musiciens rituels, des danseurs, c'est-à-dire – si l'on veut donner une interprétation plus conforme à la pensée indigène – de tous ceux qui se sont laissés posséder par les dieux à travers leur métier et imprégner du divin au cours de leurs tâches quotidiennes.
La chaleur peut croître avec les charges que l'individu accomplit à l'âge mûr. Elle peut devenir si grande chez certains qu'ils peuvent être identifiés aux ancêtres (…) par « co-essence ». Cette acquisition de chaleur implique la perte de la sexualité.
Les prêtres donnaient les offrandes à consommer à certains hommes (…). Les malades recevaient ainsi dans leur propre corps la matière de l'offrande (…). Il s'agissait d'hommes contaminés par la force des déesses (…). Etre possédés par l'une de ces maladies signifiait en effet devenir le dépositaire des substances divines.
(Les paradis de brume. Alfredo Lopez-Austin. Maisonneuve et Larose 1997)
Si une seule fois tu te débarrasses de toi-même, tu pénètres le secret du secret.
Peut-être la possibilité du bonheur est-elle fonction de la possibilité de rythmer, de drainer l'énergie psychique. Ce qui se passe dans l'amour physique, dans la transe (…) dans la musique, dans le sport (…) Peut-être le bonheur passe-t-il par le fait de lancer ses forces au point qu'elles se développent seules. L'effet de libération que cela entraîne (et la perte de conscience).
(Il y a des dieux. Frédérique Ildefonse. PUF 2012)
Et l'espace d'un instant, j'ai atteint le point d'extase que j'avais toujours appelé de mes vœux, le saut absolu par-dessus le temps des pendules…
(Sur la route. Jack Kerouac. Folio 2010)
C'était le sorcier guaharibo qui chantait, accroupi près du foyer de son village. Tout autour de lui et de nous, tout autour de ces deux petits et précaires oasis humains, l'obscur inconnu était déchaîné. Alors entre les hamacs des gens endormis, près du petit foyer qui ne doit pas s'éteindre, le sorcier guaharibo s'était accroupi et chantait. (…) Mais je fus saisi et me souviens encore de l'urgente nécessité qui jetait dans la nuit ces mots que je ne pouvais comprendre (…) Tandis qu'autour de lui dormaient les femmes, les hommes et les enfants, le sorcier guaharibo, accroupi près du foyer rouge, ouvrait la bouche et crispait ses entrailles. Il y avait un petit soleil dans son ventre. Il s'identifiait au feu. Il était le réceptacle et le gardien de la flamme par laquelle grandissent les siens. Il exorcisait. Il travaillait. Il luttait contre toutes les monstrueuses forces de l'obscur, qui se pressaient à un mètre, à cinquante centimètres de lui et s'entrechoquaient. Le petit soleil dans son ventre, était sa seule arme. Il animait la vie. Le sorcier chantait pour que s'affermisse l'aube humaine. Son souffle rayonnait autour de lui comme à partir du centre d'une étoile. Au début des bras de cette étoile son peuple dormait, le corps traversé par ce souffle. (…) Sur les milliers et les milliers de kilomètres de la vaste terre, entre la détresse et le rire, c'est ainsi que, tout de même, avance, microscopique et lente, la vie de l'homme nu, entre le chaud et le froid, entre le mal et le bien, autour des hommes qui chantent, au cœur de leurs étoiles.
(L'expédition Orénoque Amazone. Alain Gheerbrant. Gallimard 1952)
… l'empreinte de l'océan primitif flottant éternellement à l'intérieur de chacun de nous (…) malheur à celui qui néglige l'océan sauvage qu'il porte en lui car c'est la seule chose qui lui reste de deux créatures imbriquées : celle du monde et celle de l'enfant.
… l'énergie qu'il avait en réserve et qui était restée jusque-là obscure, aveugle ; énergie prête à s'épanouir à condition qu'il croie à ce qu'il disait…
(Christophe et son œuf. Carlos Fuentes. Gallimard 1990)
… nous, chamans, nous n'avons que faire de tels papiers de chants. Nous préférons garder la voix des esprits dans notre pensée. (…) j'ai vu moi-même, après nos anciens, les innombrables lèvres mouvantes des arbres à chants et la multitude des xapiri qui s'en approchaient ! Je les ai vus de très près, en état de revenant (…). J'ai vraiment entendu s'entrelacer leurs mélodies infinies !
Sans devenir autre, en restant vigoureux et préoccupé par ce qui nous entoure, il serait impossible de voir les choses comme les voient les esprits !
… chaque fois que de nouveaux esprits arrivent auprès de nous, ils nous blessent avec la même violence. C'est ce qui, à force, rend les reins et la nuque des chamans aussi douloureux ! Ce sont ces parties du corps que les esprits préfèrent atteindre et les souffrances qu'ils nous imposent sont intenses.
Il rapporte des propos venus d'autres terres qui nous sont inconnues (…) Ils voient des choses que nous ne connaissons pas !
Cet homme est vraiment devenu esprit ! Les paroles de ses chants nous sont inconnues !
Ses esprits m'ont frappé de terreur. Ils m'ont fait traverser la poitrine du ciel de part en part, enveloppé dans une clarté aveuglante. (…) je suis parvenu si haut que j'ai eu peur de mourir !
Les chamans yanomami ne travaillent pas, comme les médecins des Blancs, pour de l'argent. Ils travaillent simplement pour que le ciel et la forêt demeurent en place … L'argent ne nous protège pas, il ne nous remplit pas le ventre, il ne crée pas notre joie. Pour les Blancs, c'est différent. Ils ne savent pas comme nous, rêver avec les esprits.
(La chute du ciel. Davi Kopenawa. Plon 2010)
Toujours levé avant l'aube, il aimait mouiller ses pieds nus de la rosée du matin. Il disait souvent « Des pieds sains permettent de sentir battre le cœur de notre Terre sacrée.
(Sitting Bull. Stanley Vestal. Editions du Rocher 1992)
Les tableaux pittoresques que nous ont tracés les anciens chroniqueurs des scènes auxquelles donnaient lieu ces fêtes rendent bien l'exaltation sauvage dont étaient possédés ces Indiens ordinairement si calmes. Il n'y a rien de surprenant à ce que cet état fût considéré par les Tupinamba comme une sorte de crise mystique collective dans laquelle tous s'élevaient en quelque sorte au-dessus d'eux-mêmes.
(La religion des Tupinamba. Alfred Métraux Puf 2014)
« Les chansons (…) sont des pensées chantées et portées par le souffle, quand on est mu par de grandes forces et que les discours ordinaires ne suffisent plus. » (Orpingalik)
« Au centre du cercle, au point de rencontre de la croix des quatre directions et de tous les autres quaternaires de l'univers, est l'homme. Sans la conscience de porter ce centre sacré en lui-même, un homme n'est pas tout à fait un homme. » (Joseph Epes Brown)
(Pieds nus sur la terre sacrée. TC Mac Luhan. Denoël 1974)
Le rêve, expérience mystique, lui procure beaucoup moins des représentations qu'une communion immédiate et intime avec la réalité spirituelle où il sent que sa propre existence se fonde.
… le sens profond, la fonction vitale essentielle des mythes restent inconnus de qui n'a fait que les entendre, et ne sait que les répéter. Il y faut davantage : une expérience réelle, un contact immédiat, une participation avec la réalité transcendante (…) dont ils sont l'expression et le véhicule.
(L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs. Lucien Lévy-Bruhl. Dunod 2014)
… l'axe de l'univers, autour duquel tourne le ciel et les étoiles (…) est aussi, « de l'autre côté du miroir », le centre de l'image de l'homme qui s'y reflète : macrocosme et microcosme sont les deux faces d'une même réalité.
(Le premier empire des steppes en Mongolie. Pierre Henri Giscard. Faton 2013)
A un certain stade, peut-être nous rendons-nous compte que, pendant toute notre vie, nous avons été entourés de connexions entre le monde matériel et le monde invisible, mais que, pour des raisons diverses, nous avons choisi de ne pas les voir.
Avec un peu de chance, à un certain âge, on finit par apprendre à ne pas lutter avec le monde, à ne pas tenter d'expliquer que la raison ne s'applique pas, ou très peu, aux réalités qui existent de l'autre côté.
(L'arc-en-ciel de verre. James Lee Burke. Payot et Rivages 2015)
Rêver pourrait donc bien être une sorte de pensée ensauvagée – une forme humaine de pensée qui va bien au-delà de l'humain. Rêver est une sorte de « pensée sauvage » : une forme de pensée libérée des entraves de ses propres intentions …
Celui que l'on pourrait être est intimement lié à tous ceux-là que l'on n'est pas ; nous nous donnons pour toujours à ces nombreux autres qui font de nous ce que « nous » sommes, et nous sommes éternellement en dette vis-à-vis d'eux.
Les vivants, en un sens, (…) sont ceux qui ne se sont pas faits remarquer. Ce sont eux qui continuent à potentiellement perdurer dans la forme et hors du temps, grâce aux relations qu'ils entretiennent avec ce qu'ils ne sont pas.
(Comment pensent les forêts. Eduardo Kohn. Zones sensibles 2017)
... la création traverse l'artiste et lui permet de créer parfois des splendeurs...
... les poètes peuvent écrire des choses indicibles...
... l'homme authentiquement religieux, c'est-à-dire revenu à son naturel, à "sa passivité d'enfant", ne s'extrait pas de l'Univers et de l'Infini dont il fait partie intégrante, pour les penser ou agir sur eux, ou sur lui-même à partir d'eux. Il se reçoit lui-même comme "une partie de ce Tout et comme quelque chose de sacré".
(...) le sens du sacré est le trait dominant de la nature humaine, tant qu'elle se définit comme liberté spirituelle attachée à découvrir et sans cesse redécouvrir et admirer la grandeur de l'infinité à travers toute finitude.
(Le symbolique, le Sacré et l’Homme. Henri de Lumley. CNRS Editions 2019)
... cet arbre mythologique apparaît comme la représentation symbolique de l'arbre généalogique du chamane qui en tire ses propriétés héréditaires - troubles nerveux et faculté d'improvisation poétique - …
De façon générale, les Yakoutes attribuent au verbe et à la prosodie chantées des vertus miraculeuses. La parole humaine à leurs yeux possède une force intérieure propre à attirer l'attention des esprits.
(Gavriil Ksenofontov. Les chamanes de Sibérie et leur tradition orale. Albin Michel 1998)
A l'époque, les dieux du monde où j'évoluais résidaient dans les arbres, les feuilles, les fruits, la terre. En cet instant, ils habitaient le son.
(Une forêt de laine et d'acier. Natsu Miyashita. Stock 2018)
... le délire n'est pas un déchet de la réalité, (...) c'en est une partie et parfois la plus précieuse.
... l'art inhumain, désordonné, (...) qui ne connaît pas de limite dans le mouvement des doigts sur les cordes, l'art venu d'un autre monde (...) applique au creux de la main le tranchant d'une lame de canif, elle l'entaille sur la ligne de vie et tu en portes ensuite, et pour toujours, la cicatrice.
Pour un petit enfant, rien n'est étrange, parce qu'il vit dans l'étrange, et c'est pourquoi les rêves et les souvenirs primaires nous semblent faits de la même substance.
Les rêves sont des plans d'évasion, comme la musique, la métaphysique et la trigonométrie sphérique. Tout ce qui nous parle en ce monde nous dit la même chose: sors de là! Pars! Ta place n'est pas ici!
(Solénoïde. Mircea Cartarescu. Noir sur Blanc 2019)
A l’instar des hommes âgés et des chamanes, les Européens ont la réputation de transmettre leurs pouvoirs aux jeunes hommes en couchant avec leurs épouses, qui sont les médiatrices de la puissance spirituelle.
(L’Amérique fantôme. Gilles Havard. Flammarion 2019)
D’après l’anthropologue Roberte Hamayon, il existe « une similitude et (…) une interdépendance de structure entre la chasse, l’alliance matrimoniale et le chamanisme dans leurs relations respectives avec les êtres naturels, sociaux et surnaturels » (Hamayon, 1990).
(Cosmogonies. Julien d’Huy. La Découverte 2020)
Comme un oiseau attaché à un fil vole dans chaque direction et ne trouve nulle part un lieu de repos, il (re)prend appui à son lien ; il en est de même, très cher, [pour] le mental : il vole dans chaque direction, ne trouve nulle part un lieu de repos, il prend appui dans le souffle lui-même, car le mental, très cher, est lié au souffle.
Qui vénère l’espace comme brahman gagne de vastes mondes faits de lumière, non limités, grands ouverts.
Si quelqu’un a le désir du monde des mères, par sa seule intention les mères surgissent. Et associé au monde des mères, il se réjouit.
Si quelqu’un a le désir du monde du chant et de la musique, par sa seule intention chant et musique surgissent. Et associé au monde du chant et de la musique, il se réjouit.
Si quelqu’un a le désir du monde des femmes, par sa seule intention surgissent les femmes. Et associé au monde des femmes, il se réjouit.
Ce monde en vérité est une triade: nom, forme et acte. La parole est l'uktha, la récitation (...). Elle est le saman, la mélodie, parmi eux car elle est égale à tous les noms (...). Ainsi est pointée la nature du monde comme flux de transmigration dont la sphère est l'ignorance.
[L'upanisad] pose les articulations à partir desquelles l'être humain et le monde entier se déploient sans cesser d'être reliés à l'Un sans forme. Ces formes sont ainsi des métaphores d'un tissage interne qui permet à la fois le déploiement vers l'extérieur et la remontée vers l'Un.
"Seigneur, combien de dieux supportent la créature? Lesquels l'illuminent? Lequel d'entre eux est le meilleur?"
Pippalada lui dit: "L'espace en vérité est ce dieu - l'air, le feu, l'eau, la terre, la parole, le mental ...
(Les Upanisad. Alyette Degrâces. Fayard 2014)
« N’y a-t-il pas des hommes qui chahutent en eux des jungles, là où d’autres sécrètent des prés ? » (Edouard Glissant. L’intention poétique 1969)
Les contacts de civilisations sont d’abord des contacts d’humains et évidemment aussi de germes microbiens.
« Toute culture est en elle-même « multiculturelle », non pas seulement parce qu’il y a toujours eu une acculturation antérieure, et qu’il n’y a pas de provenance simple et pure, mais plus profondément parce que le geste de la culture est lui-même un geste de mêlée : c’est affronter, confronter, transformer, détourner, développer, recomposer, combiner, bricoler. » (Jean-Luc Nancy. Etre singulier pluriel 1996)
… une pure affaire de relations denses et enchevêtrées entre les hommes et les forces surnaturelles, entre vivants et morts dans une configuration en carrefour ! Il ne percevait pas du tout le site comme moi, dans une dimension individuelle, physique, esthétique et émotionnelle, mais tout à l’opposé, dans sa dimension historique, collective et surnaturelle.
… l’humain, compris dans son intégrité corporelle et sa relation à l’entourage, se trouve au centre d’un faisceau d’influences et de forces naturelles ou surnaturelles.
(Les gens de l’or. Michèle Baj Strobel. Terre humaine 2020)
Qui peindra jamais avec fidélité ces moments si rares dans la vie, où le bien-être physique vous prépare à la tranquillité morale, et où il s’établit devant vos yeux comme un équilibre parfait dans l’univers ; alors que l’âme, à moitié endormie, se balance entre le présent et l’avenir, entre le réel et le possible...
(Quinze jours au désert. Alexis de Tocqueville. Le passager clandestin 2011)
L’âme avait été bousculée. C’est pourquoi le corps est tombé très malade. Car lorsque l’âme est atteinte, perturbée, celle-ci s’éloigne un peu du corps pour se réfugier dans les énergies du cosmos. Elle est une force naturelle qui peut, par exemple, aller se ressourcer dans les énergies de la forêt pour ramener de la vitalité à la personne. Mais heureusement, l’âme ne peut pas partir totalement avant la mort, elle va errer un peu partout, dans l’air, dans la forêt, dans les eaux… (…) Les danses et les chants sacrés te donnent le choix d’exclure le mauvais.
(Assossa Soumouna. Natives automne 2021)
Puis le monde a retrouvé sa cohérence, (…) la conscience m’est revenue, et mon premier acte raisonnable a été de chercher partout cet être merveilleux. La transition était délicate. (…) Ce retour à une conscience froide et objective a été pour moi un choc violent. J’avais oublié que j’étais un homme ! Cette situation inévitable m’a rempli d’une telle tristesse que j’ai éclaté en sanglots.
(L’herbe du diable et la petite fumée. Carlos Castaneda. 10/18 1985)
Quelque chose manque, quelque chose qu’on ne définit pas et qui est peut-être tout simplement l’âme d’un passé. (…) ce personnage toujours un peu ailleurs, jamais en adéquation avec le lieu où il se trouve, laissant son imagination le transporter là où il n’est pas, là où il rêverait d’être magiquement transporté.
(Loti en Amérique. Bleu autour. Mai 2018)
Nous sommes l'Univers. Qui se pense lui-même, comprend qu'il existe, médite sur ses origines. Partie pure de l'abîme. Intimement connecté aux lois qui gouvernent le macrocosme et le microcosme. Poussière d'étoiles.
(Entre deux infinis. Gianfranco Bertone. Quanto 2023)
... cette force incarnait le pouvoir illuminant de la sagesse. (...) un texte où figure la description d'un noisetier qui pousse au-dessus des eaux de Segais. Les noisettes qui tombent dans l'eau y infusent la maîtrise de l'art poétique, transmise à quiconque la boit.
... des rites prophétiques étaient autrefois pratiqués dans la grotte. Il s'agit d'une pratique bien connue dans le monde gréco-romain, où les cavernes étaient le lieu des états altérés de la conscience.
... un certain tabou de l'Inde ancienne qui interdisait aux rois de marcher pieds nus, pour que leur puissance ne se disperse pas dans la terre. (...) on trouve un autre exemple dans une statuette de bronze représentant Mercure, dont le pied gauche est chaussé tandis que le droit reste à nu. S'il s'agit, comme cela a été dit, d'une représentation de Mercure en dieu psychopompe "guide des âmes" conduisant les morts vers l'Au-delà, le lien avec l'Autre Monde est évident.
(L'archéologie et la mythologie celtique. John Waddell. Sidestone 2022)
La fête est célébrée dans l'espace-temps du mythe et assume la fonction de régénérer le monde réel. (...) Ces fêtes et ces célébrations obéissent au principe de la générosité et du partage. Il faut que la substance vitale, la nourriture, circule avec générosité et toute avarice est jugée négativement et considérée comme nocive à la régénérescence de la nature et à la vie de la communauté.
Pendant les fêtes saisonnières, on se repose, on se réjouit; le travail est interdit (...) on laisse des régimes de dattes dans les palmiers ou on offre gracieusement à ceux qui n'en ont pas, on laisse des abricots tomber dans le sol, du blé dans la glèbe, des fils de laine sur le dos des moutons lors de la tonte tlasa, des cheveux dans la tête de l'enfant lors de sa première coiffure... On donne un poussin de la couvée (...) un agneau, du colostrum, du lait, etc. (...) C'est ainsi qu'on vit rituellement les rythmes cosmiques.
Après la cérémonie de l'eau, avant le coucher du soleil, des femmes mariées se réunissent dans un lieu, forment sept petits tas de foin ou de gerbes de blé et de harmal, les alignent et les brûlent. (...) Parfois toutes déshabillées, elles sautent en travers de ces touffes en répétant certains chants liés à la fécondité afin d'avoir des enfants. (...) La mort du champ qu'incarnent ces gerbes de blé qu'on brûle et qui représente le principe de la fécondité ressuscitera dans un corps de femme. Le feu qui peut être symbole de destruction est utilisé ici comme élément fécondant…
Ce jour est donc réservé à se libérer des carcans, des prohibitions de la morale contraignante, des interdits et des tabous notamment sexuels (...). C'est une sorte d'orgie collective où les règles sociales sont suspendues et la foule se déchaîne, abuse sans retenue, s'exacerbe et porte au maximum les forces de reproduction et de création de la nature entière.
(Une mythologie berbère. Hassane Benamara. L'Harmattan 2022)
Les représentations théâtrales se déroulaient en plein air, dan un lieu qui n'était pas coupé de la végétation environnante et de la faune aviaire qu'elle abritait. On ignore dans quelle mesure cela pouvait interférer avec le contenu même des pièces et si les poètes allaient jusqu'à jouer avec ce cadre naturel.
Le débat révèle surtout la difficulté que nous avons aujourd'hui, dans un monde laïcisé où prime la raison, à admettre qu'une expérience de haute intensité de communication avec des entités invisibles puisse avoir lieu sans prise de produits hallucinogènes.
(Au plaisir des dieux. Adeline Grand Clément. Anacharsis 2023)
"Des milliards de bactéries réalisent des réactions chimiques importantes, qui influent sur notre système immunitaire mais aussi sur notre réponse au stress, entre autres (...) Cela renvoie à la définition de l'individu, ce qui n'est pas simple! Biologiquement parlant, il n'existe pas de moment précis où se produit un changement brutal. Les processus sont continus et progressifs. (...) Certaines choses, comme notre prénom, nous donnent l'impression d'avoir un début, alors que du point de vue de la biologie, il n'y a pas vraiment de début à chaque être vivant. Nous sommes les extrémités d'une longue chaîne qui vit depuis des milliards d'années!"
(Virginie Courtier. Sciences et Avenir octobre 2023)
... une forme de vie reposerait sur différents types cellulaires, non pas associés dans un organisme, mais libres dans l'environnement. De quoi à nouveau remettre en cause notre vision de la complexité!
(Agnès Vernet. Sciences et Avenir octobre 2023)
Cette essence des mystères d'Osiris peut se résumer par la conjonction de deux réalités, la captation par les plantes de l'énergie vitale du défunt, et l'identification de cette énergie vitale avec la puissance suprême permettant au monde tout entier d'exister.
Ce monde religieux s'articule bien plus autour d'une force vitale cosmique et impersonnelle qu'autour de divinités distinctes exerçant leur pouvoir sur les hommes.
(Les graines de l'au-delà. Nissim Amzallag. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2023)
... n'importe quel individu, homme, femme ou enfant, est capable dans certaines circonstances de faire franchir à son âme les limites étroites de la corporéité, afin de se mettre en relation dialogique directe avec le double d'un autre être de la nature, qu'il soit homme, plante, animal ou esprit surnaturel.
... les "anent" sont des trésors personnels jalousement thésaurisés et transmis seulement par des proches parents du même sexe (...). Il arrive parfois qu'on puisse les acquérir d'un esprit au cours d'un des "voyages" de l’âme, par exemple lors des rêves ou des transes induites par des hallucinogènes.
(...) les Achuar ne conçoivent pas le travail comme nous le faisons, c'est-à-dire sous la forme du prélèvement et de la transformation des entités naturelles qui sont nécessaires à la satisfaction des besoins naturels, mais comme un commerce permanent avec un monde dominé par les esprits qu'il faut séduire, contraindre ou apitoyer par des techniques symboliques appropriées.
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)
... le seuil fait office de "limes", de zone transitionnelle (...). C'est un lieu de circulation de forces (...) la "porte de la montagne", cette limite critique découvrant à intervalles réguliers un éden tropical, royaume incontesté du Diable.
Naguère, à l'intérieur des maisons, on procédait à l'érection d'un arbre sur lequel des figures anthropomorphes marquaient la présence de l'"âme du bois". Cet acte, à caractère apotropaïque, répondait à sa manière au courroux de l'"arbre mort", censé dégager une énergie pathogène considérable. (...) Cet acte programmé fondait la relation ombilicale reliant l'habitation à son environnement, et surtout à la terre, divinité tyrannique exigeant une sorte de redevance périodique de la part des vivants.
(La moitié du monde. Jacques Galinier. PUF 1997)
Le masque est une personnification de l'esprit. La personne masquée ne s'identifie pas, elle est possédée jusqu'à entrer en transe. A partir de cet instant, la personne devient l'instrument de l'esprit. Le porteur du masque perd son identité pour que s'exprime le temps de la cérémonie, la divinité ou l'esprit qu'il incarne.
(Ethnosociologie du corps dans les pratiques et les rituels chez les Bandjoun de l'ouest-Cameroun. Raymond Charlie Tamoufe Simo. Connaissances et savoirs 2017)
Quand un vieux entend le chant qu'improvise un jeune, vous savez, pendant les joutes d'un "tibènti", il se dit: "owon", "il a vu".
Le brusque "redressement" du mort déclenche une réaction en chaîne comparable à celle d'une explosion. Battements de tambours, femmes qui tombent, délire de l'assemblée... de tous côtés jaillissent des courants d'énergie dégagés par le défunt.
"Layani! C'est sorti!" évoque l'élan d'un arbre vers les nuées, l'envol d'un oiseau, la trajectoire du Soleil sortant le matin de la Terre, sa mère et sa compagne. Le saut d'un Voyant vers le firmament.
En conduisant le "tibènti", les Vrais Hommes contribuent à quelque chose de puissant, qui rythme la respiration d'un clan. Chaque fois qu'un père rend le dernier souffle, tous les membres du clan croient contempler les décombres d'une "maison détruite". Ils semblent perdre leurs forces comme le défunt, se taisent. Seuls les "Onitido" qui ont bravé la mort et l'ont vaincue, qui savent le malheur qu'elle représente, ont la capacité de sortir le clan de sa torpeur. Grâce à leur action, le "tibènti" insuffle périodiquement de l'énergie aux vivants qui perdent espoir. Dans un silence de fin du monde, ils renaissent dans un sursaut.
... à sa façon de parler des forces de la brousse en ce qu'elles impliquent de destructeur et d'exaltant, on comprend que pour un Otammari, liberté et vie en brousse ne font qu'un.
Qu'apprend un enfant-opon auprès de ses amis les arbres? A rebours des initiés, il s'initie seul, avant d'avoir atteint l'âge du "difwani", aux forces de la terre. De retour au village, il ne dit rien du lien qui les unit, ni leur manière de communiquer. Mais quand ses parents le voient revenir l'air calme et heureux, ayant "tout oublié de sa folie", ils se doutent que dans la brousse, quelque chose a renouvelé ses forces.
(Le souffle du mort. Dominique Sewane. Plon 2020)
"Ce qui est mangé, c'est la lumière du soleil. L'excrément, c'est la nuit. Les souffles de la vie sont les nuages, et le sang est la pluie qui tombe sur le monde."
Dans l'union, l'homme ensemence. Il est comme un génie de l'eau qui fait pleuvoir l'eau fécondante sur la terre et la femme, sur les graines des semailles. Ainsi se trouvent liés l'acte agricole et l'acte conjugal.
C'est que jeter un nom, c'est jeter une forme, un support, la forme la meilleure, le support le plus apte à recevoir la force vitale de l'être. En jetant la parole, l'orateur projette certes une force qui provient de lui, que porte la buée sortie de sa bouche, qui se confond avec la buée. Mais cette force ne fait que préfigurer celle de l'invoqué, elle l'informe, elle la met en voix. Et cette forme, qui sera la meilleure pour l'appelé, va comme piéger sa force vitale, va l'obliger à comparaître, va surgir à la voix.
(Dieu d'eau. Marcel Griaule. Fayard 1966)
Ce n'est pas que les dieux sont faillibles, c'est qu'ils sont soumis, eux aussi, aux forces circulantes que certains esprits préparés arrivent à maîtriser. Mais il faut se méfier, car le vent tourne, et les vodouns peuvent alors prendre leur revanche sur les humains qui se sont joués d'eux.
... rien, dans l'énergie vitale propre à la religion vaudoue, ne se perd ni ne se crée, mais elle se capture, se détourne, s'annihile, s'amoindrit ou s'amplifie en fonction des connaissances qu'on met en pratique.
(Vaudou. Philippe Charlier. Plon 2022)
... intime croyance que le "dire" fait perdre de sa force à la pensée et à l'énergie qui la sous-tend. Le regard ou l'éloquence du silence suffit.
... la belle amante de Neqi (...) chantera en 1971, lors de son agonie à l'hôpital de Thulé, les vieux ayayak, appelant désespérément à son aide les chers esprits familiers.
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)
Les Indiens pensent à l'amour (et aux fonctions physiologiques qui s'y rapportent) non seulement comme à un divertissement agréable mais encore comme à une force de nature spirituelle et contagieuse qui, si on en fait mauvais usage, peut avoir les mêmes effets qu'un poison. (...) pour les Indiens, les fruits sont le résultat d'une activité sexuelle, (...) [et] d'une transformation, qui procède en réalité d'un acte continu, et non d'un acte unique. L'activité sexuelle est ce qui fait pousser les choses; elle est magie. La vraie magie n'est pas l'acte sexuel lui-même, mais le désir de transformer qui se cache derrière: ce qui, pendant l'acte, le déborde jusqu'à contaminer le monde environnant. Faire l'amour avec une femme sous un arbre fruitier équivaut à charger excessivement cet arbre d'une magie de croissance qui nuira aux fruits en train de mûrir...
(Aimables sauvages. Francis Huxley. Plon 1980)
Comment se fait-il que le vent ne s'arrête,
que la pensée ne se repose pas?
Pourquoi les eaux, qui veulent atteindre la vérité,
ne s'arrêtent-elles jamais?
(Hymnes spéculatifs du Veda. Louis Renou. Gallimard 1956)
... Yama a manifesté la force poétique qui était en lui: le chemin est aussi bien découvert que créé, comparable en cela au poème védique qui résulte simultanément d'une révélation (le poète a "vu" le poème et l'a traduit en paroles), d'une inspiration (le poète a l'enthousiasme et la présence d'esprit nécessaire au travail poétique) et d'une construction (le poète "tisse", "charpente" son oeuvre). (...) le chemin vers l'au-delà est aussi oeuvre de langage; il est fait des paroles que les survivants doivent prononcer pour que le défunt accomplisse sa transformation en Père et parvienne à sa destination.
(Le jumeau solaire. Charles Malamoud. Seuil 2002)
Ce qui fait lever le soleil, ce qui à chaque instant crée à nouveau l'univers tout entier, et le perpétue en chacune de ses parties, c'est l'énergie mise en oeuvre dans le sacrifice, c'est le brahman. (...) Le brahman n'est donc pas à proprement parler présent partout pour le bénéfice de tous: il entre dans tel objet, tel animal, tel homme lorsqu'est prononcée la parole de consécration…
L’Âme prend les formes qu'elle veut; elle est aussi rapide que l'esprit, véridique lorsqu'elle conçoit, douée de toutes les odeurs, de toutes les saveurs; elle emplit tous les orients, elle pénètre toutes choses, et cependant reste muette, indifférente.
... lorsque la vie quitte quelqu'un, il meurt mais la vie, elle, ne meurt pas qui est identique à l'essence subtile. L'univers tout entier s'identifie à cette essence subtile, qui n'est autre que l’Âme! Et toi aussi tu es Cela...
(Mythes et légendes extrait des Brâhmanas. Jean Varenne. Gallimard 1967)
Lorsque nous scrutons le ciel en tant que ciel et la terre en tant que terre, lorsque nous fixons notre attention sur le principe de la création cosmique sous toutes ses formes, nous nous sentons envahis soudain d’une sorte d’ondulation ontologique formidable et impétueuse. Du coup, le sujet et l’objet s’effacent ; du coup, la nature et l’homme fusionnent ; plus rien au monde à part quelque chose d’invisible et d’impalpable ; quelque chose circule partout et toujours ; quelque chose opère efficacement en tout…
(…) la figure de l’homme n’est qu’un aspect de milliers de métamorphoses de la nature.
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)
Les prêtres du Soleil (…) et ceux dédiés aux autres divinités (…) étaient des personnes âgés (…) dont l’enfance avait été marquée par un évènement hors du commun, par exemple, celles qui avaient été touchées par la foudre…
… d’autres (…) avaient le pouvoir de changer de forme et de voyager dans les airs, faisant sans doute allusion par là à ce qu’en anthropologie on appelle des chamans.
… l’emplacement a été délibérément choisi dans une zone où la foudre frappe régulièrement ; les corps des victimes du Misti en montrent d’ailleurs de nombreux stigmates. (…) la divinité à laquelle les offrandes de Capacocha étaient dédiées à titre principal était Illapa, le dieu de la foudre et du tonnerre.
(Les Incas. Peter Eeckhout. Taillandier 2024)
Autrefois, le jour de la Chandeleur, il revenait aux jeunes couples de fiancés de déposer (ou planter) les coupelles de « blé de la Sainte Barbe » dans les coins des champs où les germes de blé commençaient à germer. Cela avait lieu au crépuscule afin qu’ils puissent se soustraire à la vue des autres et pour que la lune éclaire leurs échanges amoureux. D’où la belle expression provençale : « faire du blad de luno essen », « faire du blé de lune ensemble », c’est-à-dire « faire l’amour ». (…) le rapprochement biologique des corps – et notamment de leurs fluides vitaux – s’établit par-delà l’éveil de la nature que le rituel met en scène. (…) Le passage de l’obscurité au clair de lune encadre ces processus dans les rythmes du cosmos, véritable épiphanie des puissances non-humaines qui agissent dans le monde.
A travers l’exemple des pousses, c’est la force symbolique des processus vitaux et des êtres naturels qui s’impose : la mémoire de la terre, le retour des saisons, l’enchaînement biologique des générations...
(Le matin des dieux. Salvatore D’Onofrio. Editions Mimésis 2018)
Les sorciers se chargent ainsi de l’agressivité et incarnent le mal dont les Abron sont délivrés par eux-mêmes. Ce sont des déviants investis de pouvoirs maléfiques surnaturels, dont ils ne sont pas responsables.
Pendant la première partie de la danse, il se transforma en mime. Tel un sorcier, il prenait tour à tour des formes animales et humaines.
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)
(…) pour une mentalité noire traditionnelle, les comportements humains dépendent tous des puissances extérieures à l’homme et (…) les responsabilités de l’individu, par conséquent, sont toutes relatives.
Par moments, je voyais s’écrouler sur le sol l’un des processionnaires, sa bougie projetée au hasard comme une étincelle ; il se débattait dans la poussière de la rue, envahi par cette frénésie sacrée qui assure une liberté d’expression plusieurs fois millénaire.
Les aventures que le paysan noir accepte de courir sont celles de l’esprit, mais par des voies que je me trouvais incapable d’emprunter. La passion des connaissances révélées, à l’occasion d’épreuves exigeant une abdication totale du corps et de la pensée, ne pouvait se substituer en moi à la passion de la rigueur et de la lucidité.
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)
« Alors seulement commence son activité magique lorsqu’après un certain temps, comme [le chamane] le dit lui-même, ce n’est plus lui qui chante, mais sa personnalité seconde, laquelle entonne le chant et le continue, si bien que le sorcier ne fait plus que lui prêter sa voix. » (Gusinde)
Par les orifices naturels (narines, bouche, oreilles, etc.), la force de l’individu peut fuir et quelque influence maligne peut entrer. (…) Les soi-disant « ornements » du nez, des oreilles, des lèvres, etc., sont en réalité des moyens magiques de surveiller, à l’entrée des orifices naturels, le flux ou le reflux de la force, et ils constituent ainsi une compensation à l’angoisse existentielle.
En régime magique, la pudeur s’exprime par la nécessité de protéger les organes génitaux du mauvais œil ; le coït est représenté comme un acte « fort » qui libère de dangereuses énergies, dont il faut se garantir ; la puissance génitrice est une force qu’il faut maîtriser, consolider et libérer par des pratiques adéquates (d’où la circoncision et la subincision) ; enfin le coït est un rite de fécondité : ce sont là autant de formes, plus ou moins médiatisées, de délivrance et de libération du risque de dissolution qui menace la présence à soi, auquel la tempête émotionnelle de la sexualité donne un relief particulier.
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)
« Après que le disque solaire s’est levé dans le firmament, puisse son charme imprégner ton cœur. (…) Puisses-tu être oint de ses rayons, car il est la vie qui traverse ton corps dans la santé. »
(Lettres égyptiennes. Michel Dessoudeix. Actes sud 2025)
… les matériaux qui peuplent toute intersection de temps et d’espace sont à tout moment merveilleux, en dehors de l’état de conscience : et quoi qu’il en soit et dans tous les cas nous ferions bien de nous demander s’il y a quoi que ce soit de plus émerveillant ou de plus précieux dans cet état de l’être dans lequel nous distinguons la « vie », que dans l’état d’être une pierre, ou dans l’énergie sans cerveau d’une étoile, dans l’existence diffuse de l’espace.
(Louons maintenant les grands hommes. Agee/Evans. Plon 2017)
… ils croient aux fantaisies des rêves et affirment que « quand le cœur est endormi, l’on aperçoit les lueurs des évènements futurs. »
(Une race qui disparaît. Ramon Lista. Interfolio 2019)
Tant que l’homme est vivant, c’est-à-dire habité de force et d’énergie, traversé de pulsions qui le meuvent et l’émeuvent, son corps est pluriel. C’est la multiplicité qui caractérise le vocabulaire grec du corporel même quand il s’agit de l’exprimer dans sa totalité.
Les dieux qui animent l’individu sont donc des figures que leur valeur abstraite, par les correspondances qu’elle suscite, rend plus réelles que le corps réel.
« Ton vaudou se trouve dans ton propre rein. la vie ne chuchote pas à l’oreille des gens : c’est dans ton rein même qu’elle parle. »
Le vieux terme chinois ganying (…), fait de deux éléments signifiant respectivement « émouvoir, exciter, influer sur » et « répondre », (…) exprime bien la nature d’une telle relation créatrice d’une sorte de réalité momentanée, analogue à celle d’un courant qui s’établit entre deux pôles. (…) Il est tout à fait remarquable que, dans le vocabulaire scientifique moderne, ce terme ait été repris pour rendre celui d’« induction ».
L’omniscience et la pensée créatrice du dieu suprême sont humaines, tout comme Maât, sa fille, qui incarne l’ordre cosmique.
Les images dérobent ce qu’elles représentent, tout en introduisant chez la voyante de l’étranger et de l’étrange, de l’incontrôlable.
La force de l’image est, s’inscrivant dans le corps, de retourner le regard : la religieuse est regardée et pénétrée par l’image qu’elle contemple et qui suscite en elle une vision, non imaginaire mais intellectuelle, et qui fait sortir du plus profond l’avoué et l’inavouable. La vision n’est pas spectacle, mais « visite »…
Car les corps divins, offerts ou refusés, regardent de leurs yeux creux ou peints celles qui les contemplent, ils émeuvent le désir et engagent sur toutes les dérives. Les théoriciens l’avaient pressenti.
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)
André Breton disait qu’il ne faut pas confondre les livres qu’on lit en voyage et ceux qui font voyager.
Certains messages essentiels se trouvent retransmis par les êtres fragiles qui échappent en raison même de leur effacement, aux grands tourbillons qui emportent les autres.
Être devin, être mantis, c’est être possédé, c’est être l’instrument et le canal du dieu parlant à travers l’homme, comme il parle aussi à travers les oiseaux, les arbres, les cailloux ou les vents. Langage émis en cet état second où le divin affleure en l’homme, où la Pythie devient cri disloqué, phrases broyées, émiettées.
(L’été grec. Jacques Lacarrière. Plon 1975)
Car distinguer entre bon et mauvais, sale et propre, etc. relève d’une attitude que le bouddhisme, insistant sur l’ainsité des choses, considère comme source d’illusions.
… parler de kami ou de hotoke, est-ce que cela envoie finalement à autre chose qu’une émanation du cœur humain ? L’esprit, le cœur, poussé à l’extrême, est kami ou hotoke. Si telle est l’activité de notre cœur, il ne peut y avoir (…) une épidémie, dont le danger se trouve de la sorte neutralisé.
Rappelons que pour le bouddhisme tout phénomène est émanation de notre cœur, source d’illusions et de vues particularisantes. Sans aller jusqu’à lire [ce proverbe] à la seule lumière du bouddhisme, ne pourrait-on pas y déceler une certaine affinité avec la psychothérapie moderne ?
(La sieste sous l’aile du cormoran. H.O. Rotermund. L’harmattan 1998)