En 1499, à Grenade, l'archevêque Cisneros jeta aux flammes les livres musulmans ; huit siècles d'histoire écrite de culture islamique en Espagne réduits en cendres.
En 1562, à Mani de Yucatan, le frère Diego de Landa jeta aux flammes les livres mayas ; huit siècles d'histoire écrite de la culture indienne en Amérique réduits en cendres.
En 1888, à Rio de Janeiro, l'empereur Pedro II jeta aux flammes les documents relatant l'esclavage au Brésil ; trois siècles et demi d'histoire écrite de l'infamie négrière réduits en cendres.
En 1983, à Buenos Aires, le général Reynaldo Bignone jeta aux flammes les documents sur la « sale guerre » de la dictature militaire en Argentine ; huit ans d'histoire écrite de l'infamie militaire réduits en cendres.
En 1995, à Ciudad de Guatemala, l'armée jeta aux flammes les documents sur la « sale guerre » de la dictature militaire guatémaltèque ; quarante ans d'histoire écrite de l'infamie militaire réduits en cendres.
(Mémoires et malmémoires. Eduardo Galeano. Manière de voir)
Dans le futur, nous serons tous des metteurs en scène de cinéma, nous tournerons tous le film de nos vies. (…) l'Histoire aura pris la texture d'un Film Absolu. (…) L'existence sera conçue comme un long-métrage. Je ne peux garantir que nous serons plus heureux mais en tout cas, nous serons plus sages car nous n'aurons nul besoin de nous souvenir. Nous oublierons l'oubli, nous gommerons la mémoire et ses déformations qui viennent tout compliquer. Nous n'évoquerons plus notre passé comme un film puisqu'il sera un film dont nous serons tout d'abord les acteurs pour en devenir ensuite les spectateurs.
(Mantra. Rodrigo Fresan. Passage du Nord-Ouest 2006)
… il s'agit aussi de canaliser la ferveur ardente des Indiens en substituant les fêtes chrétiennes aux fêtes anciennes…
… il convient de détruire toute trace de l'ancienne religion. (…) Cette façon de procéder s'inscrit dans la tradition de l’Église, elle s'observe dans les débuts du christianisme…
Ce ne sont pas seulement des statues et des objets qui sont détruits par les religieux mais aussi de nombreux manuscrits…
Mais les religieux suivent peut-être d'autres buts en détruisant les manuscrits indigènes. Ils pourraient vouloir faire disparaître toute trace de l'ancienne culture.
Il ne nous paraît pas juste que les cérémonies et les coutumes que nos ancêtres nous ont laissés (…) nous les abandonnions avec légèreté et acceptions de les détruire.
(L'évangélisation des Indiens du Mexique. Eric Roulet. Presses Universitaires de Rennes 2008)
Il y a au Pérou quantité d'autres plantes, qui ont tant de vertus médicinales (…) Mais les médecins espagnols s'en soucient si peu, que même de celles que les Indiens connaissaient autrefois, on ne sait en général plus rien.
(Les Incas Peuple du soleil. Carmen Bernand. Gallimard)
C'est là que, dissimulés dans un repli du grandiose canyon de l'Urubamba, protégées par la nature et la main de l'homme, les « Vierges du Soleil » quittèrent l'une après l'autre ce monde, sans laisser derrière elles de descendants susceptibles de révéler l'importance ou d'expliquer l'origine des ruines qui couronnent les précipices vertigineux de Machu Picchu.
(La fabuleuse découverte de la cité perdue des Incas. Hiram Bingham. Pygmalion 2008)
« … il y avait des soldats qui, ayant été en beaucoup d'endroits du monde, et à Constantinople et dans toute l'Italie et à Rome, dirent que place si bien alignée et ordonnée, de telle dimension et de si nombreux peuple, ils ne l'avaient onques vue. »
Une telle description qui se fonde sur l'observation directe faite du haut du temple de Tlatelolco est d'autant plus précieuse que, deux ans plus tard, il ne subsistera rien de ce spectacle qu'avaient eu le privilège de voir les conquistadores.
(Mexica. Henri Stierlin. Imprimerie nationale)
Un pays qui n'a plus de légendes, dit le poète, est condamné à mourir de froid. (…) Mais un peuple qui n'aurait pas de mythes serait déjà mort.
(Mythes et dieux des Indo-Européens. Georges Dumézil. Flammarion)
Personne ne saura jamais que Saudi est un Guaharibo. Ils descendront à Ayacucho lorsqu'ils auront assez travaillé pour le mériter. Ils auront alors plusieurs chemises et plusieurs pantalons à eux. Ils sauront tout à fait se tenir dans le monde. Ils apprendront à boire de la bière glacée, sortant du frigidaire à pétrole et cela remplacera vite dans leur mémoire le temps où ils chantaient l'histoire des premiers fils du soleil, buvaient des calebasses de yaraké et se peignaient le corps de la cendre de leur père… Quelqu'un connaîtra-t-il jamais, réellement, les Indiens que l'on nomme sauvages? Ces hommes nous éviteront s'ils nous rencontrent chez les civilisés.
(L'expédition Orénoque Amazone. Alain Gheerbrant. Gallimard 1952)
Les vies se résument désormais à éviter de parler des vieilles guerres, si lointaines qu'elles ont perdu tout lien avec le présent.
(De mémoire (2). Jan-Marc Rouillan. Agone 2009)
… cet Occident qui n'a plus rien à dire au monde à force de s'être menti à lui-même.
(Vladivostok. Cédric Gras. Phébus 2011)
Ce qui nous lie n'est pas la mémoire mais bien l'oubli noir que personne n'ose enjamber de peur de rencontrer l'innommable, est-ce histoire que d'oublier ce qui n'est pas à retenir, la honte et le scandale de soi, l'inhumanité.
Le silence ne peut être oubli. L'absence de mots ne peut être éradication de la mémoire. (…) La langue du présent, comme éternelle soumise, se donne bien trop souvent aux désirs des dominants. Prendre pause alors et distance instaurer. Prendre silence et se laisser dépouiller de la possibilité immédiate de dire. (…) L'oubli nous unit dans cette peur vague du passé…
(Les cauchemars du gecko. Raharimanana. Vents d'ailleurs 2011)
Horrifié, il vit les idoles d'argile et de bois, des livres portant des caractères semblables à ceux que Stephens trouvera gravés dans la pierre, des chroniques, des calendriers, des tables d'astronomie et d'astrologie (…). Ces livres, qui avaient jusque là échappé au zèle des missionnaires, contenaient l'essentiel de la science maya. Landa les rassembla et d'autorité en fit un autodafé. (…) Un savoir de 2000 ans disparut ainsi à Mani dans les flammes. Le coup de grâce était ainsi donné à la culture maya.
(A la recherche des mayas. Victor W von Hagen. Lux 2011)
Nous avons vu les Blancs disséminer leurs épidémies et nous tuer avec leurs fusils. Nous les avons vu détruire la forêt et les rivières. Nous savons qu'ils peuvent être avares et mauvais et que leur pensée est souvent pleine d'obscurité. (…) Ils ont perdu les paroles de leurs anciens. Ils ont oublié ce qu'ils étaient au premier temps, lorsqu'ils avaient, eux aussi, une culture.
… la pensée des Blancs est pleine d'oubli. Ils ne savent pas rêver et ignorent comment faire danser les images de leurs ancêtres. (…) le territoire des Blancs qui nous entoure n'est fait que de terres blessées d'où viennent toutes les fumées d'épidémie.
Peut-être les Blancs réussiront-ils à obscurcir la pensée de nos enfants et de nos petits-enfants au point qu'ils cesseront de voir les esprits et d'entendre leurs chants ? Alors, sans chamans, ils vivront désemparés et leur pensée se perdra. Ils passeront leur temps à vagabonder sur les routes et dans les villes. Ils y seront contaminés par des maladies qu'ils transmettront à leurs femmes et à leurs enfants. Ils ne songeront même plus à défendre leur terre.
(La chute du ciel. Davi Kopenawa. Plon 2010)
… il fallait exalter les cultures anciennes qu'il idolâtrait pour le salut moral de la nation : « Elles possédaient ce que le monde a perdu. Elles le possèdent encore aujourd'hui. Ce que le monde a perdu, il doit le retrouver, faute de quoi il mourra. »
(Ne vends jamais les os de ton père. Brian Schofield. Albin Michel 2013)
Les Anciens disaient qu'autrefois nous avions vécu loin vers le Sud-Ouest (…). Ils connaissaient encore les pistes qui menaient aux lieux de nos origines…
Je me demande pourquoi (…) aujourd'hui nul ne sait plus tuer un bison – disparus eux aussi – ou confectionner un tambour, ou chanter les étoiles.
(Pawnee (vie de Fils de l'Ours). Giovanni Michel des Franco. Le chant des hommes 2012)
J'étais comme un énorme puzzle. Année après année, de nouvelles pièces se rajoutaient pour compléter l'image. Aujourd'hui, certaines pièces manquent encore…
(De mémoire indienne. Lame Deer et Jean-Jacques Roudière. 2009)
« La civilisation occidentale, en choisissant de détruire toutes les cultures minoritaires qui pouvaient la menacer, a par là même choisi d'abattre toutes les valeurs face auxquelles elle aurait pu se poser ou s'imposer. » Elle en est « réduite à regarder dans un miroir les vestiges de son passé. » (Robert Jaulin)
(Les abandonnés de la république. Gery, Mathieu, Gruner. Albin Michel 2014)
Selon l'expression d'Edson Best, leur esprit suit des chemins par où nous ne pouvons plus passer.
(L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs. Lucien Lévy-Bruhl. Dunod 2014)
Les chrétiens, qu'ils soient d'origine juive ou gentils (païens), sont accusés d'avoir abandonné les traditions de leurs ancêtres (…) « votre impiété mêle l'audace des Juifs à l'indifférence, à la veulerie des gentils. Des deux vous avez tiré non pas le meilleur mais bien le pire et vous en avez fait un tissu de maux » (Julien, Contre les Galiléens, 238A et B)
(L'empereur Julien l'Apostat. Histoire antique et médiévale novembre 2014)
Cet aspect compulsif des croyances en la continuité de la vie s'est manifesté dans la plupart des cultures et des civilisations, dès la période néolithique où furent creusées les premières tombes (…). Il a fallu l'arrivée de la religion chrétienne pour qu'il y ait une rupture dans l'idée de la continuité, la mort et le temps post mortem étant considérés comme une étape transitoire (un « sas ») dans l'attente de la résurrection à venir…
(Le premier empire des steppes en Mongolie. Pierre Henri Giscard. Faton 2013)
Cela suffit, en effet, pour constituer un crime énorme que de (…) divulguer des secrets cachés… (édit du 8 novembre 392 promouvant le christianisme nicéen comme religion d’État) … une vague de destruction est ordonnée par le patriarche d'Alexandrie Théophile (384-412) qui fait appliquer l'édit dans toute sa rigueur, en abattant les temples ou en les transformant en églises, et surtout en détruisant les signes les plus manifestes de la culture païenne : le temple de Sarapis et la bibliothèque du Sérapeum d'Alexandrie.
(« Dieu » et « dieux » : paradigme naturaliste et septicisme ? Le « faucon » des dieux et le « cobra » des déesses. Sydney H Aufrère. Deus Unicus. Brepols 2014)
Ainsi, Lucain signale et décrit un bois sacré abattu par les troupes de César lors du siège de Marseille ; Tacite mentionne des bois sacrés sur l'île de Mona, coupés eux aussi par les Romains.
(L'arbre du monde. Patrice Lajoye. CNRS Editions 2016)
On ne dénoncera jamais assez le rôle joué par l’Église catholique romaine, et par le clergé francophone au service de la noblesse en Bretagne. (…) on peut dire que le christianisme (…) s'est livré au génocide culturel de la Bretagne en faisant le vide et en détruisant tout ce qui pouvait rattacher les Bretons à leurs racines authentiques. Heureusement que la tradition populaire a le sens du camouflage…
(La tradition celtique. Jean Markale. Payot 1975)
… nous passons notre vie à chercher le souffle perdu. Nous le cherchons au fond de la mer et sur les plus hautes cimes des montagnes.
Du lointain où il se trouve, Brahma sourit.
(Le chasseur d'histoires. Eduardo Galeano. Lux 2017)
Les arbres sont devenus une ressource moderne, et la manière de gérer une ressource est d’arrêter son action historique autonome. Tant que les arbres font histoire, ils menacent la gouvernance industrielle. Nettoyer une forêt fait partie de l’effort soutenu pour arrêter l’histoire.
(Le champignon de la fin du monde. Anna Lowenhaupt Tsing. La Découverte 2017)
Ce n'est pas que ces sorciers fussent méchants et fissent du mal ; mais ils en auraient pu faire beaucoup avec leur savoir s'ils avaient voulu. C'est pourquoi on s'efforçait de détruire leurs livres. Il y a (…) un puits où on en a jeté un grand nombre et qu'on a comblé, et aujourd'hui on ne sait même pas où il est.
(La forêt de Brocéliande. Félix Bellamy. EDR 2016)
Certains médicaments traditionnels risquent d’être perdus, soit parce que les pratiques traditionnelles sont oubliées, soit parce que les espèces de plantes utilisées sont menacées (…). Il y a une course contre la montre pour éviter que cette incroyable ressource ne soit perdue à jamais.
(Epilepsie : une plante médicinale décryptée. Mathias Germain. La recherche décembre 2018)
... nous avons perdu la conscience rituelle, le sens de ce qui fait de l'humain l'animal cérémoniel, et de la vie en société une réalité portée par les artifices institutionnels.
(Pierre Legendre. Argumenta et Dogmatica. Mille et une nuits 2012)
Si le christianisme est, comme le pense Schleiermacher, la religion de l'Esprit et de la liberté, (...) n'est-il pas insensiblement conduit à se dissoudre lui-même, à perdre son Sens, sa nature sacrée? Ne peut-on simplement voir que le christianisme, en se voulant la religion accomplie, la "religion des religions", devient, ce faisant, la religion sans culte, sans mémoire et finalement sans Dieu?
(Le symbolique, le Sacré et l’Homme. Henri de Lumley. CNRS Editions 2019)
Cette population dégradée par des décennies d’abandon progressif à la Mère-machine a perdu jusqu’au souvenir de ses anciennes capacités. Tout le monde trouve plus pratique d’obéir au GPS, cette laisse électronique.
(Pièces et main d’œuvre. La décroissance juillet 2020)
… le souvenir des ancêtres s’est estompé, le peuple décimé par l’esclavage et les épidémies n’a reçu d’éducation que de deux missionnaires. Ceux qui restent se contentent de survivre.
(Frédéric Lontcho. L’archéologue septembre 2020)
Un œil surveillait ma vie. Cet œil, tantôt je l’appelais vérité, tantôt morale, tantôt loi humaine, tantôt Dieu, tantôt moi. Je vivais davantage dans un miroir (…) j’avais déjà perdu mes origines.
Et cela me semblait l’enfer, pareille destruction de couches et de couches archéologiques d’humanité. (…) Et sans cette humanisation et sentimentation du monde – je m’épouvante.
Cette peur que j’eus toujours du silence au sein duquel se fait la vie. (…) j’avais depuis longtemps abandonné l’être pour le personnage, le masque humain. En m’étant humanisée, je m’étais affranchie du désert (…) mais je l’avais aussi perdu ! Et j’avais aussi perdu les forêts, et j’avais perdu l’air…
(La passion selon G.H. Clarice Lispector. des femmes 2020)
… avec le temps, l’esclave capitula devant l’amnésie, et c’est cette amnésie qui constitue la véritable histoire du Nouveau Monde.
(Les gens de l’or. Michèle Baj Strobel. Terre humaine 2020)
Pendant les premiers siècles qui suivirent l'établissement du christianisme en Gaule, les conciles (...) se sont maintes fois élevés contre le culte des pierres, et ont ordonné de renverser celles auxquelles on rendait hommage, et de les enfouir de façon à ce que leurs fidèles ne pussent les retrouver.
... "on est parvenu à détruire cette ridicule superstition". Le clergé y contribua sans doute en les employant à la construction des édifices sacrés...
Les traditions sur l’origine de notre globe, qui existent chez nombre de populations primitives, et en Europe même, paraissent ignorées en France. Il semble que le christianisme les a fait disparaître, et que l’on se contente de l’explication biblique de la Création, sans l’accompagner de circonstances accessoires et merveilleuses. (…) Ainsi qu’on le voit, les idées qui s’attachent à la terre considérée dans son ensemble sont effacées et d’un médiocre intérêt…
C’était près de la fontaine de Bodine, dans l’ancienne lande de Thélin en Plélan (Ille et Vilaine) que les Thélandais élisaient les deux préfets qui administraient leur petite république. (…) Le culte des fontaines était solidement établi et très populaire dans les Gaules, lorsque les apôtres commencèrent à y prêcher l’évangile ; ils essayèrent de le détruire en comblant les sources ou en démolissant les petits monuments que les païens avaient élevés au-dessus.
(Croyances, mythes et légendes des pays de France. Paul Sébillot. Omnibus août 2002)
En près de trente ans, le nombre de restes rendus aux tribus atteint le chiffre faramineux de 32000 individus. On estime néanmoins à 600000 le nombres de sujets amérindiens dont les restes seraient conservés dans les musées, les sociétés historiques et les universités, ou encore chez les collectionneurs privés aux Etats-Unis.
... dès lors que l'on fait de ces restes des objets de collection, on les dépersonnalise. On ne les reconnaît plus comme des possessions individuelles, ayant appartenu à des gens dont les descendants sont encore vivants et en seraient par conséquent les héritiers légitimes (...). Ainsi, continue à se transmettre, sous une forme passive, à bas bruit, la déshumanisation génocidaire des Lakotas.
Nous aussi avons été sauvages et libres, ignorant la folie destructrice de l'argent, sans villes ni usines. Nous aussi avons été envahis et soumis, perdant jusqu'à notre langue…
(Ce qui est arrivé à Wounded Knee. Laurent Olivier. Flammarion 2021)
... nombre de récits mythiques (le Déluge, l'Atlantide...), de récits des savants, des philosophes comme Platon et des textes sacrés (la Bible, le Coran) ont cherché à faire comprendre que le niveau de développement des peuples du passé était supérieur à celui de l'humanité actuelle.
(Les incroyables erreurs sur l'histoire de l'humanité. Ibrahima Mbengue. L'Harmattan 2022)
Cosmas de Prague indique que sous Vratislav 1er (début du Xème siècle), de nombreux bosquets et arbres sacrés furent brûlés.
(Mythologies et religions des slaves païens. Patrice Lajoie. Les belles lettres 2022)
Même la musique destinée à ce jour n'est plus celle produite par des groupes musicaux locaux mais elle est importée sous forme de chansons enregistrées et diffusées avec du matériel acoustique japonais…
"Vous abolirez tous les lieux où les peuples que vous dépossédez auront servi leurs dieux, sur les hautes montagnes,, sur les collines, sous tout arbre verdoyant.
Vous démolirez leurs autels, briserez leurs stèles; leurs pieux sacrés, vous les brûlerez, et vous abolirez leur nom en ce lieu." (La Bible. Ancien Testament Deutéronome)
Notre région (...) évolue dans deux sens qui peuvent être considérés, selon les cas, opposés ou très divergents, d'un côté les mentalités et comportements évoluent dans le sens d'une modernité à l'occidentale de l'autre, on navigue et on avance vers un passé mythifié.
(Une mythologie berbère. Hassane Benamara. L'Harmattan 2022)
"... arrivèrent l'admirable Kynégios avec le consulaire et le duc et des forces importantes, militaires et civiles. Beaucoup d'idolâtres, avertis de son arrivée, étaient sortis de la ville et s'étaient rendus les uns dans des villages, les autres dans d'autres villes. [...] Le susdit Kynégios réquisitionna les maisons des fugitifs. Le lendemain, ayant convoqué les habitants de la ville, en présence du duc et du consulaire, il leur notifia la lettre impériale qui ordonnait que les temples des idoles fussent détruits et livrés au feu. Ce qu'ayant entendu, les idolâtres se lamentèrent à grands cris, de sorte que les représentants de l'autorité, indignés, les menacèrent et leur envoyèrent des soldats pour les frapper à coups de verges et de bâtons. Quant aux chrétiens, avec une immense allégresse, ils acclamaient les empereurs et les autorités. Puis, accompagnés des autorités et des troupes, ils coururent détruire les temples des idoles. [...] les démons, abusant de la bonne volonté des Gazéens, si faciles à conduire, avaient rempli de leur erreur toute leur ville et les environs. [...] lorsqu'on les ramène à notre sainte foi, ils deviennent des chrétiens zélés." (Marc le Diacre, évêque de Gaza au début du VI° siècle)
(Le Proche-Orient. Catherine Saliou. Belin 2020)
... en uniformisant l'obsession d'appropriation du réel, la modernité a effacé de notre esprit tout autre rapport possible au monde de la technique, c'est-à-dire à celui de l'intervention de l'homme sur son milieu.
... cette appropriation du monde qui nous apparaît comme une marque si flagrante de la culture occidentale, depuis ses origines, n'est en réalité que l'expression d'une amnésie, celle qui rend l'approche technologique de l'agriculture et de l'élevage à la fois orpheline de ses origines et oublieuse de ces dernières.
(Les graines de l'au-delà. Nissim Amzallag. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2023)
... le fanatisme religieux un peu frustre n'admet d'autre méthode d'évangélisation des Achuar que la déculturation totale et l'extirpation de tous les éléments de la culture traditionnelle perçus comme "sataniques" (polygamie, chamanisme, religion autochtone, guerre...)...
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)
... "namaya" (...) n'est plus célébré dans les zones rurales du sud-ouest du Mali depuis que les herbicides y ont fait leur apparition. Les herbicides permettent en effet de se passer de main d'oeuvre supplémentaire pour désherber les champs alors que, trente ans plus tôt, les jeunes du village étaient réquisitionnés pour cette tâche…
Umberto Ecco identifie l'usage de telles copies, faites pour paraître (presque) réelles, comme un des traits distinctifs de la postmodernité qui repose, selon lui, précisément, sur le recours constant à ce qu'il nomme le "faux authentique" (...) leur fausseté, leur caractère décalé et le fait qu'ils renvoient à leurs origines sur le mode de la citation plutôt que de l'identification contribuent (...) à la construction de l'identité dilatée de ceux qui les mobilisent.
... le double presque réel n'appelle plus le désir de l'original mais le remplace.
(Corps rituels. Agnieszka Kedierska Manzon. Maison des sciences de l'homme 2023)
J'avais passé de nombreuses années à aller à la découverte d'un pays ou d'un autre, mais il n'y avait plus à présent de lieux inviolés à explorer (...). Ici (...) aucun signe de cette pitoyable modernité qui, dans l'uniformité de ses vêtements européens de seconde main, se répandait comme un fléau à travers tout le reste de l'Irak.
Sur l'Euphrate comme sur le Tigre, les mudhifs représentaient un extraordinaire exploit architectural réalisé avec les matériaux les plus simples du monde. (...) Une longue familiarité avec des édifices comme ceux-là a bien pu donner à l'homme l'idée d'imiter leur forme cintrée en terre agglomérée, comme les Grecs perpétuèrent plus tard, dans la pierre, les techniques de construction en bois. Pendant plus de cinq mille ans, des édifices semblables à ces mudhifs ont fait partie du paysage du Sud irakien. Il est probable que, dans les vingt prochaines années, ou, au mieux, dans le prochain demi-siècle, ils auront à jamais disparu.
(Les Arabes des marais. Wilfred Thesiger. Plon 1983)
... les esclaves étaient supposés oublier complètement leur passé, leurs origines et leur identité culturelle, et devenir des êtres sans aucune volonté de réagir ni de se rebeller (des zombis).
(Vaudou. Philippe Charlier. Plon 2022)
... une fidélité à un très ancien savoir, qu'en un instant la sauvage violence du nôtre a dissipé. (...) Est-il absurde de décocher des flèches sur la nouvelle lune, lorsqu'elle glisse par-dessus les arbres? Pas pour les Aché: ils la savent vivante, son apparition dans le ciel fait jaillir chez les kuja le sang menstruel, source possible de malchance pour les chasseurs. Ils se vengent, le monde n'est pas inerte, il faut se défendre. A ce prix, les Aché ont su avec ténacité, des siècles durant, maintenir au cœur secret de la forêt leur furtive et timide existence de nomades. Mais l'abri fut violé, et c'est comme un sortilège.
"... épaves désespérées d'avoir renoncé à leur vie et à leurs croyances, s'éteignent dans la monotonie du monde civilisé." (André Akoun)
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)
... la communauté a perdu, avec le codex des tabous et de coutumes - livre de raison et d'expérience -, des pratiques aux vertus bio-écologiques dont les temps à venir établiront l'empirique sagesse.
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)
"Vous avez perdu les mots qui vous armaient (...) Vous avez oublié tout... et laissé fuir les temps d'autrefois... Les bêtes sans défense? Les autres les mangent! Les Immémoriaux que vous êtes, on les traque, on les disperse, on les détruit!"
(Les Immémoriaux. Victor Segalen. Points 1985)
Au cours de cette campagne initiée par l'Eglise catholique en 1946, les vodouisants ont dû renoncer à leur foi, et les objets rituels des temples ont été saisis, brûlés ou volés.
(Cinq tambours pour deux serpents. Mireille Aïn. Plon 2022)
Il est bien dommage pour les Urubu qu'ils n'aient plus de véritables chamans. Car le chaman est un guérisseur qui sait aussi prévoir l'avenir; et il reconstitue l'âme humaine quand elle a été mangée par un esprit.
Le texte des chants, en tembé archaïque et difficile, lui échappait, comme à tous les Urubu.
(Aimables sauvages. Francis Huxley. Plon 1980)
Ce que les Anciens n’ont pu transmettre est bien mort et les livres que vous lisez ne sont que leur lie.
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)
Ce qu’il reste des Incas est avant tout sous la terre et dans les ruines qui subsistent, partout dans les Andes…
Cette cour a marqué l’imaginaire des conquistadores car elle contenait, à échelle réduite ou réelle, des représentations en or de « tout ce que contenait le Tahuantinsuyu », c’est-à-dire des plantes (maïs et autres), des animaux (lamas, alpagas), etc. Tout a évidemment été fondu très rapidement par les Espagnols, de même que les plaques en or qui décoraient les murs et les joints d’argent dont les blocs de l’appareil étaient sertis.
(Les Incas. Peter Eeckhout. Taillandier 2024)
Nous avons parfois l’impression de travailler avec les éclats de mythes que le temps à brisés...
(Le matin des dieux. Salvatore D’Onofrio. Editions Mimésis 2018)
Le cessez-le-feu qui va entrer en vigueur ce dimanche à Gaza apparaît fragile et, en tout état de cause, ne signifie pas la fin de la guerre. Celle-ci, outre un très lourd bilan humain, a causé de graves dommages au bâti gazaoui, y compris à de nombreux sites patrimoniaux d’une immense valeur. Des dommages que l’Unesco documente inlassablement. (…) Ces destructions sont particulièrement graves, car le patrimoine architectural et historique de Gaza est précieux, ce territoire ayant une histoire plurimillénaire remontant à l’Antiquité et aux époques assyrienne, puis hellénistique, romaine, islamique, ottomane et mandataire (l’époque où la Palestine était un mandat de la Société des nations (SDN) confié au Royaume-Uni). (…) Selon Hamdan Taha, actuellement coordinateur du projet d’histoire et de patrimoine de la Palestine, en lien avec l’Unesco, Israël ciblerait intentionnellement un grand nombre de sites archéologiques, et ce dès le début de la guerre :
« Le plus notable de ces sites est Tell es-Sakan, au sud de la ville de Gaza, que les archéologues datent de l’âge du Bronze ancien (entre 3200 et 2300 avant notre ère). Des rapports préliminaires indiquent que Tell el-Ajjul, site emblématique de l’histoire de Gaza durant l’âge du Bronze moyen et tardif (2300-500 av. n.è.), a également été ciblé, tandis que les sites de Tell el-Mintar et les sanctuaires de Sheikh ’Ali el-Mintar et de Sheikh Radwan [quartier au nord-ouest de la ville de Gaza] ont subi d’importants dégâts. Le site d’el-Blakhiyah, qui représente le port ancien de Gaza, l’Anthédon, construit pendant la période gréco-romaine et actif jusqu’au XIIe siècle, a également été ciblé. Des tirs d’artillerie ont gravement endommagé une église de l’époque byzantine à Jabaliya, avec une probable perte de ses très riches mosaïques. »
(…) De graves dommages ont été infligés au musée du Palais du Pacha (Qasr al-Basha, en arabe), un ancien château mamelouk du XIIIe siècle, qui avait servi de demeure aux pachas de Gaza durant l’époque ottomane et avait été restauré et converti en musée en 2005 avec le financement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). (…) Le centre satellitaire UNOSAT a établi qu’en un peu plus d’un an de guerre, « 31 198 structures ont été détruites dans la bande de Gaza et 16 908 sont gravement endommagées ». (…) On l’aura compris : il est urgent d’alerter l’opinion mondiale sur les dégâts irrémédiables causés au patrimoine culturel gazaoui. En effet, lors des guerres, le patrimoine est souvent visé et détruit pour faire disparaître une civilisation et sa mémoire. (Chloé Maurel. The Conversation 16 janvier 2025)
La danse est la seule forme d’art traditionnel qui ait survécu en Afrique.
Chaque fois qu’un mode de vie disparaît, l’éventail de l’expérience humaine se referme davantage.
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)
L’enfant choyé (…) sera un homme réservé vis-à-vis des jeunes filles, même dans ses invites les plus pressantes. (…) le voisinage des centres urbains, Dakar et Rufisque, a fini par altérer cette réserve autrefois commune. Dans les ruelles, la nuit tombée, quelques filles maladroitement fardées attirent les jeunes hommes pour en obtenir un peu d’argent. (…) On ne saurait douter de la dégradation des mœurs, même lorsque les préoccupations rituelles y mettent un frein efficace. Les danses de provocation sexuelle, connues sous le nom de « grimbé », se dépouillent en grande partie des intentions anciennes, qui les associaient aux techniques de fécondité, pour exalter les aspects érotiques. (…) Si l’évolution se poursuit, l’entreprise n’aboutira plus qu’à un spectacle osé (…). Cet érotisme de la place publique a, sans aucun doute, porté atteinte au prestige de la femme et situé la sexualité dans un contexte inhabituel.
Les masques, statuettes et oripeaux tirés des réserves poussiéreuses des musées, soumis aux lumières des expositions, brandis comme des emblèmes du scandale, devenaient, en ayant perdu leur raison d’être et leur sens indigène, créateurs de liberté. Tout était permis à leur égard car on ne savait rien d’eux, rien des hommes qui les avaient façonnés et manipulés.
… il restera toujours quelque chose d’inquiétant dans ces « expositions » d’humanités étrangères ; cette fixité, cette composition qui semble définitive et laisse échapper l’insaisissable, à mes yeux l’essentiel : les changements divers par lesquels une civilisation manifeste sa vitalité et son histoire.
L’Islam en introduisant le Livre a chassé les images jusqu’alors vénérées. Le christianisme missionnaire ne pouvait que se vouloir violemment iconoclaste.
(…) - J’ai détruit ou brûlé plusieurs milliers de fétiches. Je ne regrette rien !
- Le christianisme y a-t-il pour autant gagné ?
La question reste sans réponse. C’est une singulière illusion que de croire atteindre le paganisme en saccageant ses supports les plus visibles. Les croyances subsistent en devenant clandestines ou en recourant à un symbolisme moins vulnérable.
Avec des écoles « de fortune », nous avons fait des lettrés « de fortune » qui, privés de leurs très anciens et très vivants moyens d’expression, paraissent souvent des machines à parler tournant à vide.
… il me semblait que notre armature psychologique reste infiniment plus vulnérable, tant nous sommes habitués à penser et agir sur un seul registre.
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)
« Mais aujourd'hui la nature de nos esprits civilisés est si détachée des sens, même chez le commun des hommes, par toutes les abstractions dont sont remplies les langues avec tous leurs mots abstraits, elle est si affinée par l’art d’écrire et spiritualisée pour ainsi dire par la pratique des nombres, puisque même le vulgaire sait compter et calculer, qu’il nous est naturellement refusé de pouvoir former la vaste image de cette femme que certains appellent la « Nature sympathique » (…) ; il nous est aujourd'hui de la même façon naturellement refusé de pouvoir entrer dans la vaste faculté imaginative de ces premiers hommes (…) nous pouvons à peine comprendre, et absolument pas imaginer, comment pensaient les premiers hommes qui fondèrent l’humanité païenne. » (Vico)
… notre longue habitude de recourir à la pensée abstraite nous a rendus « inaptes à vibrer comme le voudrait la nature à certaines impressions subtiles » (Olivier Leroy).
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)
Comme partout ailleurs dans le monde, l’histoire des civilisations humaines en Amazonie – un chapitre essentiel de notre patrimoine mondial – disparaît à un rythme alarmant.
(Archéologie de l’Amazonie. S. Rostain C. J. Betancourt. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme 2025)
Les vieillards constituent donc une sorte d’archive des évènements du peuple tehuelche depuis son origine mythique jusqu’à nos jours. (…) mais malheureusement, ils n’en parlent plus autour du feu aux jeunes qui sont à présent, rapetissés, corrompus et se vantent de tous les vices importés par la plèbe chrétienne.
(Une race qui disparaît. Ramon Lista. Interfolio 2019)
Ici, à Athos, je compris que ces êtres, ces attributs, ces fonctions transcendantes étaient dans le tournoiement circulaire un effort pour nous rendre sensible cet infini qui échappe à nos sens. Ces cercles ailés, ce Tétramorphe m’apparaissaient comme ces modèles mathématiques qui restituent le volume d’un cube ou d’un octaèdre dans la quatrième dimension. (…) Une faille, une rupture tragique béent soudain au cœur de l’homme entre la part de lui-même qui a su concevoir et suggérer le Tétramorphe et celle qui voit les archanges avec les apparences et l’arsenal des soudards de la terre.
Le Crétois d’aujourd’hui a-t-il oublié les plantes d’autrefois ? A-t-il perdu à jamais ce regard que ses ancêtres portaient sur le monde vivant, cet attrait pour les poulpes, les coquillages, les poissons, les oiseaux ; les lys, les papyrii, tout cet univers retranscrit, magnifié, sur les fresques et les poteries, fait d’ombelles, d’orbes et d’oves, de tentacules, de méandres, de spirales vivantes, comme un labyrinthe de tiges et de bras où la beauté est prise au piège ?
… Delphes n’est plus que silence. Silence qui n’est pas seulement celui de pierres et de temples déchus, comme toutes les ruines. Le silence de Delphes, c’est avant tout celui de cet oracle éteint, de cette bouche morte, de cette source tarie d’où sourdait le verbe mantique. (…) Être devin, être mantis, c’est être possédé, c’est être l’instrument et le canal du dieu parlant à travers l’homme, comme il parle aussi à travers les oiseaux, les arbres, les cailloux ou les vents. Langage émis en cet état second où le divin affleure en l’homme, où la Pythie devient cri disloqué, phrases broyées, émiettées (…). C’est cela qui s’est tu à Delphes – avec l’eau qui parlait. (…) c’est (…) autour de cette bouche-nombril du monde que se dressèrent sanctuaires, trésors statues, objets culturels innombrables (…).
(L’été grec. Jacques Lacarrière. Plon 1975)