… les religieux font jouer aux Indiens lors des fêtes de l’Église des saynètes tirées de passages de la Bible (…) ou d'autres évènements marquants du christianisme, comme la lutte contre les musulmans…
Les Indiens deviennent des chrétiens dans les mêmes conditions que les Maures (…) Encore faut-il bien en comprendre les chemins : résister aux assauts des démons (lutter contre les idoles) et racheter la faute originelle pour assurer son salut par le travail et l'obéissance.
[Les religieux] usent des armes du missionnaire : la contrainte et la persuasion.
(L'évangélisation des Indiens du Mexique. Eric Roulet. Presses Universitaires de Rennes 2008)


C'était là un des côtés pénibles de notre éducation ; il nous fallait nous habituer à tant de choses que nous n'avions jamais connues auparavant, que cela agissait sur notre système nerveux à un tel point que notre santé en pâtissait.
(Souvenirs d'un chef sioux. Ours debout. Payot 1931)


Lorsque par suite de l'hostilité systématique d'une tribu, les Jésuites désespéraient de pouvoir établir un contact direct avec elle, ils usaient d'un stratagème (…). A l'instar des traitants d'esclaves, les Jésuites organisèrent de véritables chasses à l'homme. A la tête d'une troupe d'Indiens convertis, ils avançaient sur le territoire d'une tribu rebelle et, se postant près d'un village, s'emparaient par la force des indigènes qui passaient à leur portée. (…) Ils étaient soumis pendant plusieurs années à un enseignement religieux intensif (…). Lorsque leur attachement à la mission ne faisait plus de doute, on les renvoyait dans leurs villages (…). Ces convertis malgré eux furent souvent de zélés propagateurs de la Foi et contribuèrent à la conquête spirituelle des peuplades considérées intraitables.
(Ecrits d'Amazonie. Alfred Métraux. CNRS Editions 2013)


… on a dû « apprendre à ne toucher que des yeux », on a peu à peu « transformé les plaisirs d’une agressivité active en plaisir passif, codifié, en simple “plaisir des yeux”», on a lésé la capacité d’action et les autres sens que la vue. On a ainsi laissé la vie s’éloigner dans des images, et la violence frustrée s’étendre entre les deux, les ajointer.
(Le déchaînement du monde. François Cusset. La découverte 2018)


… ceux qui, en d’autres temps, étaient venus au monde pour être des personnes et qui de nos jours s’étaient transformés en simples acheteurs, en unités de mesure des systèmes de crédit internationaux, en fractions de points d’audience à la télévision et en cibles socialement et numériquement définies des campagnes de publicité (…) l’immense majorité des habitants de ce continent, et sans doute aussi des autres, confond le monde avec un archipel de représentations électroniques et verbales, de sorte que, quoi qu’il se passe, si tant est qu’il se passe encore quelque chose dans ce qu’on appelait autrefois le monde réel, il suffit de savoir ce qui doit être dit sur le plan artificiel des représentations pour que chacun se trouve plus ou moins satisfait, avec l’impression d’avoir participé aux délibérations qui modifieraient le cours des évènements.
Rigoureusement programmés de longue date par quatre ou cinq institutions fossilisées qui se complètent l’une l’autre – Banque, Ecole, Religion, Justice, Télévision – comme l’est un robot par le perfectionnisme obsessionnel de son constructeur, le plus insignifiant de leurs actes et la plus secrète de leurs pensées, à travers lesquelles ils sont convaincus d’exprimer un individualisme farouche, se retrouvent, identiques et prévisibles, en chacun des inconnus qu’ils croisent dans la rue et qui, comme eux, se sont endettés en une semaine pour toute l’année qui va commencer en achetant, dans les mêmes grands magasins ou les mêmes chaînes de boutique, les mêmes cadeaux qu’ils installeront au pied des mêmes arbres décorés de petites lumières, de neige artificielle et de guirlandes dorées, pour aller s’asseoir à des tables identiques et manger les mêmes aliments supposés exceptionnels qu’on pourra trouver au même moment sur toutes les tables de l’Occident, desquelles ils se lèveront, passé minuit, se croyant réconciliés avec le monde opaque qui les a modelés, et emportant avec eux jusqu’à la mort – la même pour tous -, octroyées par le monde extérieur, les mêmes expériences qu’ils croient uniques et incommunicables, après avoir vécu les mêmes émotions et emmagasiné dans leur mémoire les mêmes souvenirs.
(L’enquête. JJ Saer. Le Seuil 1996)


L'une des solutions immédiates qui s'offre aux autorités américaines soucieuses de "civiliser" les Indiens est d'enlever les enfants à leurs parents, afin de les éduquer aux valeurs blanches, loin de l'influence "rétrograde" des réserves.
Car l'enseignement des Indiens est pris en main par l'Eglise et ses diverses congrégations. (...) Dans les réserves des Sioux, ces institutions sont gérées par les catholiques, les congrégationalistes, les épiscopaliens et les presbytériens. C'est la conversion au christianisme, considèrent les éducateurs, qui permettra de "civiliser" les Lakota, en leur faisant abandonner toutes leurs croyances et pratiques de l'ancien temps.
La pratique de l'enlèvement des enfants indiens pour confier leur éducation à des familles non-indiennes ou à des groupes religieux s'est poursuivie jusqu'en 1978 et l'adoption de l'Indian Child Welfare Act. On estime que 25 à 35% des enfants indiens ont ainsi été enlevés à leur famille.
... Ils y sont rassemblés dans l'objectif d'être rééduqués, afin, dit-on, de les élever à la civilisation (...) les réserves ne peuvent pas constituer des unités économiquement productives: ce sont plutôt des "zones de hors droit" temporairement réservées à la dissolution des sociétés indiennes autochtones.
(Ce qui est arrivé à Wounded Knee. Laurent Olivier. Flammarion 2021)


La violence se voit sévèrement refoulée, l'usage du tabac et la consommation d'alcool radicalement proscrits, la propreté des vêtements hautement valorisée. Sans forcer le paradoxe, c'est bien le caractère "hygiénique" du message protestant qui soulève la plus grande inquiétude pour les membres d'une société qui valorise d'une manière très secrète la "pourriture", la "puanteur", la souillure en un mot.
(La moitié du monde. Jacques Galinier. PUF 1997)


Leur éducation leur avait appris à ne juger la civilisation que par le progrès matériel et ils étaient, en conséquence, honteux de leur passé et désireux de l'oublier. L'utopie dont ils rêvaient, c'était une banlieue de type londonien recouvrant toute la surface de l'Irak.
(Les Arabes des marais. Wilfred Thesiger. Plon 1983)


On favorise les jeux et les sports d'origine américaine car on leur prête mille effets merveilleux pour le développement de la personnalité moderne. Il paraît qu'ils enseignent, sans aucun doute possible, à la fois la coopération et la concurrence; qu'ils mettent un terme au goût de l'excentricité; qu'ils font du plus méchant loup un agneau et de tous ces loups réunis un excellent troupeau. Et l'on est convaincu que les petits Joséphins d'aujourd'hui, emportés par le sport, deviendront des hommes sains, robustes, joyeux, sans une once d'individualisme, soumis tranquillement aux arbitres et aux règles de la vie sociale! (...) à partir de treize ans ils n'ont plus rien à apprendre et encore rien à faire. Alors ils commencent à fumer, à boire de l'alcool, à se lancer dans des aventures amoureuses, à passer des nuits blanches, à faire les malins, à se masturber, à se battre et à cogner dans un ballon.
(Les barrières de la solitude. Luis Gonzalez. Plon 1982)


Il n'est pas douteux que les explorateurs, avec leurs présomptueuses certitudes, aient frayé, consciemment ou non, la voie des missionnaires.
L'école, principal agent ethnocidaire, n'est que la projection de l'école occidentale qui participe d'un système de développement et d'une "économie de marché", d'une vue rationnelle des choses...
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)


Et voici que plusieurs, apeurées soudain, coururent en s'éclaboussant vers la rive. D'autres, moins promptes, s'accroupissaient au milieu du courant - pour cacher peut-être quelque partie du corps nouvellement frappée de tapu? - A quoi bon, et d'où leur venait cette alerte? Un étranger au visage blême (...) passait la rivière et jetait de loin des regards envieux - comme ils le font tous - sur les membres nus, polis et doux. N'était-ce que cela? et en quoi l'œil d'un homme de cette espèce peut-il nuire à la peau des femmes? Elles feignaient pourtant de fuir comme on fuit la mâchoire d'un requin. Et leur effarement parut à Térii quelque chose d'inimaginable.
A considérer le maintien indigne du sauvage, Iakoba sentit un orgueil: comme tous les bons disciples, il avait tondu sa chevelure et coupé les poils de son visage avec une coquille aiguisée.
(Les Immémoriaux. Victor Segalen. Points 1985)


Je n’étais pas comme les autres Blancs, qui s’emploient à transformer les Abron. Je n’étais ni un missionnaire ni un marchand, mais un ami.
En 1959, un groupe de baptistes de la Bonne Volonté venu des États-Unis, s’était mis à sillonner l’est de la Côte-d’Ivoire (…). Les baptistes (…) ne se contentaient pas de convertir des « païens », ils vitupéraient les « papistes idolâtres » (…). Ce comportement les rendit indésirables aux yeux des catholiques, qu’ils jugeaient pires que les païens. Convaincus que Jésus vivait comme un agriculteur de l’Oklahoma des années cinquante, les baptistes voyaient la main du diable dans le paquet de Gauloises et le verre de vin de palme...
Condamnant la boisson, la polygamie et le port des anneaux (…), vivant à l’écart du village (…), ces missionnaires protestants opéraient peu de conversions. Quand cela leur arrivait, ils exigeaient l’obéissance à un certain nombre de règles qui ne se limitaient pas à la seule religion, mais touchaient aussi aux modes de résidence ou d’habillement…
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)


Pendant longtemps, les œuvres sacrées, que vulgarise l’action missionnaire, ont fourni les principales sources d’inspiration.
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)


On ne peut guère dire que Louise a de la chance d’aimer l’école, l’école étant ce qu’elle est. Habillée comme elle est, et douée comme elle l’est, et sérieuse et obéissante et bien considérée comme elle l’est, elle est déjà marquée par une espèce particulière de suffisance, qui probablement, le temps venu, détruira tout ce qui est magique dans sa nature, et indéfinissable et sans pareil...
(Louons maintenant les grands hommes. Agee/Evans. Plon 2017)