« … ces êtres spirituels de l'univers constituent pour lui un continuum avec le monde ordinaire de la perception sensible. Ils sont parties intégrantes de la réalité, et non pas des êtres surnaturels au sens strict du mot. » (Hallowell)
« Rien n'est étrange comme un paysage canaque vrai – j'entends vu sous l'angle canaque – où chaque pierre a un nom, une histoire, une vie, on pourrait même dire une personnalité, à cause de l'esprit enfermé en elles. Souvent, dans les vallées, je me suis fait nommer chaque détail du terrain, chaque arbre remarquable ; le paysage se transposait en un plan impossible à transcrire sur une carte et où chaque nom était une tête de chapitre. » (M Leenhardt)
… la présence de ces êtres invisibles et insaisissables avec qui il faut bien entretenir des relations et, s'il se peut, des échanges de bons offices.
(L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs. Lucien Lévy-Bruhl. Dunod 2014)
Le futur vivant (…) ne peut se comprendre sans réfléchir aux liens particuliers que la vie entretient avec tous les morts qui la rendent possible. C'est en ce sens qu'une forêt vivante est aussi une forêt hantée.
(Comment pensent les forêts. Eduardo Kohn. Zones sensibles 2017)
… une pure affaire de relations denses et enchevêtrées entre les hommes et les forces surnaturelles, entre vivants et morts dans une configuration en carrefour ! Il ne percevait pas du tout le site comme moi, dans une dimension individuelle, physique, esthétique et émotionnelle, mais tout à l’opposé, dans sa dimension historique, collective et surnaturelle.
(Les gens de l’or. Michèle Baj Strobel. Terre humaine 2020)
Entièrement composée et formée
Grâce à la caresse du Dieu de la Rosée;
Achevée et portée à maturité
Grâce à la caresse du Dieu du Temps;
Parfaitement mûrie, pour être mangée,
Grâce à la caresse du Dieu du Feu!
Aux yeux du chaman primitif toute force semble nécessairement dérivée d'une sorte de vie quelle qu'elle soit, puisqu'il voit invariablement la force comme un mouvement ou une tension qui est déclenchée ou initiée, en tant qu'action, par la vie sous une certaine forme - la sienne ou une autre.
... aussi en déduit-il que la force est le souffle et, réciproquement, que le souffle est force de vie. (...) Par conséquent, il conçoit (...) toutes les formes comme étant douées de vie…
Pendant des siècles, les flèches ont donc, figurez-vous, été considérées comme des baguettes enchantées par ceux qui les fabriquaient, les utilisaient, en vivaient et les aimaient. Elles étaient pour eux un symbole - une véritable portion et réserve des forces et des êtres les plus puissants que le monde, les quatre directions, le ciel ou le monde souterrain détenaient à leurs yeux: elles transcendaient pour eux les compétences des archers les plus habiles; elles étaient empreintes de magie et chargées d'intentions, aussi propres à obéir à l'oiseau de vent dont ils utilisaient les plumes pour empenner le fût, au dieu dont le souffle les faisait ondoyer, qu'à eux-mêmes ou à celui qui les avaient fabriquées ou décochées; car c'est la flèche elle-même qui déterminait la chance ou le sort du tireur…
(Tenatsali ou l'ethnologue qui fut transformé en Indien. CNRS Editions 2022)
Les sciences ne dévoileraient pas les objets qui peuplent le monde ou leurs propriétés, seulement les relations qu'ils entretiennent...
(Youna Tonnerre. La Recherche octobre 2022)
... une ontologie comparable à celle qui prévaut actuellement dans l'animisme circumpolaire, caractérisé par une création continue, et selon laquelle, pour vivre, chaque être doit faire appel à la vitalité des autres, dans un réseau complexe d'interdépendances réciproques.
... cette ontologie animiste ne considère pas le monde comme créé, déjà existant, puis peuplé d'êtres et d'objets, mais comme l'effet d'un processus de création continue.
(La caverne originelle. Jean-Loïc le Quellec. La Découverte 2022)
"... l'évolution devient constructive grâce à la coopération. De nouveaux niveaux d'organisation se développent lorsque les entités en lutte au plus bas niveau commencent à coopérer. La coopération permet la spécialisation et favorise ainsi la biodiversité." (Nowak)
"Plus on en apprend sur les mécanismes évolutifs, plus il est manifeste que la coopération a joué un rôle aussi important, voire plus important, que la compétition dans l'apparition des formes de vie complexes telles que nous les connaissons aujourd'hui." (Johan Hoebeke)
Entre la bouche et le rectum, sur une surface considérable de près de 400 m2, plusieurs milliers de milliards d'êtres cohabitent (...) 320 espèces différentes de populations prennent services dans la bouche! Ces micro-organismes échangent constamment entre elles leurs ADN porteurs de gènes. (...) Dans la dernière partie de l'intestin grêle, l'iléon, vit une population plus importante encore d'organismes, de l'ordre d'un milliard par gramme de matière.
(Les incroyables erreurs sur l'histoire de l'humanité. Ibrahima Mbengue. L'Harmattan 2022)
En postulant que la maison achuar est idéalement traversée par un cours d'eau, nous avons également posé une équivalence entre le monde aquatique et le monde domestique, chaque demeure isolée étant enchaînée aux autres dans un grand continuum par ce flux invisible. Métaphore d'un bol alimentaire passant dans la maison comme dans un système digestif, la rivière est aussi le lieu d'une fermentation cosmique qui fait monter et baisser son niveau au cours des crues saisonnières.
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)
Pour Timinti, "les arbres étaient comme mes amis". Il se sentait chez lui parmi eux, trouvant à leur contact la nourriture à laquelle il aspirait: la force des "yéténkpanra" insufflée au tronc, les feuilles imprégnées de leur énergie souterraine. Supportant aussi peu la sollicitude de sa famille que les règles qu'elle tentait de lui imposer, il devenait un "dibo" "qui vit seul, n'a besoin de personne".
(Le souffle du mort. Dominique Sewane. Plon 2020)
"Les Inuit (...) ont compris que les choses sont reliées, dépendantes les unes des autres. Rien ne nous inquiète plus, nous autres Inuit, que d'interférer dans cet ordre naturel. Aussi veillons-nous à seulement nous y glisser, sans en modifier le cours. (...) Tout est souffle. Et c'est l'essentiel que tu dois noter. Les forces sont nos alliées, nos parentes."
La loi des lois respectée ici est de ne jamais contrarier le courant des forces, de la force vitale (sila) aux aspects mutiformes.
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)
Les dieux ne se confinent pas davantage dans les sphères éthérées qui sont leur apanage. (...) Leur énergie remplit le monde et ils sont les principes actifs de ses transformations.
Un groupe allégorique souvent reproduit, dans lequel un lion représentait le feu, un cratère, l'eau et un serpent, la terre, figurait la lutte des Eléments opposés qui s'entre-dévorent constamment et dont la transmutation perpétuelle et les combinaisons infiniment variables provoquent tous les phénomènes de la nature.
(Les Mystères de Mithra. Franz Cumont. WW 2023)
Quand le souffle avec son tonnerre
traverse les plantes en rugissant,
celles-ci sont fécondées, reçoivent les germes de vie,
et renaissent en grand nombre.
(Hymnes spéculatifs du Veda. Louis Renou. Gallimard 1956)
A l'état isolé, medha, dont le sens premier, selon L. Renou, est « force, désigne le suc vital, la substance corporelle qui contient la vigueur d'un animal et fait qu'il est apte à servir de victime ».
"De l'homme une fois immolé le medha s'échappa. Le medha entra dans le cheval. (...) Du cheval une fois immolé le medha s'échappa, pour entrer dans la vache. (...)" Viennent ensuite le bélier et le bouc. (...) "C'est dans le bouc que le medha demeura le plus longtemps et c'est pourquoi le bouc est l'animal auquel on a le plus souvent recours. Du bouc le medha passe dans la terre (...). Dans la terre, le medha devient le riz…"
(Le jumeau solaire. Charles Malamoud. Seuil 2002)
« Dieu circule à travers toutes les terres, toutes les mers, toutes les profondeurs des cieux. » (Augustin)
(Le culte de Mercure en Afrique. Nacera Benseddik. Tautem 2024)
La définition même de « patrimoine » est loin de faire l’unanimité, les sociétés occidentales l’attribuant de préférence à des constructions et des œuvres humaines. En se fondant sur des concepts bien loin de la matérialité, les autochtones ont plutôt tendance à entendre ce mot en désignant des lieux chargés de sens spirituel, magique, mémoriel, mythologique, etc. Ainsi, les endroits patrimoniaux peuvent être un cours d’eau, une cascade, une montagne, un arbre, voire un espace de prime abord anodin, mais porteur de puissantes forces.
(Archéologie de l’Amazonie. S. Rostain C. J. Betancourt. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme 2025)
Un boli ne signifie rien, il est . (…) Il ne s’agit pas tant de figurer l’univers par un concentré de tout ce qui le remplit, que d’y engendrer et d’y réengendrer sans cesse un corps singulier nouveau qui par son unicité même ordonne autour de lui un espace.
Tant que l’homme reconnut partout dans la nature, dans toutes ses forces et tous ses phénomènes, la forme visible de la présence divine, tant qu’aucun édifice sacré permanent n’était nécessaire à la pratique du culte, les objets de représentation symbolique du « corps divin », eussent-ils existé, n’étaient pas indispensables pour marquer la présence de forces divines, voire de kami qui, nous l’avons vu, furent avant tout redoutés. Ce n’est qu’à partir du moment où (…) des kamis locaux de certaines familles influentes en vinrent à bénéficier d’un rayonnement supra-local et supra-régional (…), que le support naturel de jadis (…) s’est vu suppléer par des objets artificiels…
… on serait presque tenté de poser comme une chaîne évolutionniste qui partirait d’un yori-shiro qui, à l’origine et foncièrement, aurait plutôt été le kami même, pour devenir au cours d’un processus d’abstraction conceptuelle le support nécessaire à ces derniers, puis se changer en offrande, pour finir souvent comme décoration dans l’espace sacré...
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)
[Un portail shintô] marque la présence divine en un lieu sacré, devant lequel il ne faut pas passer négligemment. (…) l’évocation de takama-ga-hara (...) constitue une référence mythologique désignant le lieu de rassemblement des kami. (…) A la question de savoir où se trouve takama-ga-hara, Masubo Zankô (…) répond (…) : « C’est dans le grand vide, dans l’univers, ciel et terre ; tous deux font partie de l’univers, qui porte et couvre les dix mille choses. Sans rejeter les souillures, sans choisir le pur, sans choisir ni rejeter, cet endroit, ce takama-ga-hara est ce qu’il y a de plus pur dans le pur […]. Aucun endroit n’est précisément takama-ga-hara, pas plus qu’il n’y a d’endroits qui ne le seraient pas. Même à l’intérieur d’un grain de poussière takama-ga-hara est. »
(La sieste sous l’aile du cormoran. H.O. Rotermund. L’harmattan 1998)