La démocratie prétend placer l’homme du commun, le pauvre, au premier plan, elle le nie en refusant toute valeur à la connaissance vulgaire, en exaltant le riche en esprit : le docteur (…). En droit le peuple souverain décide de tout, en fait il ne sait rien. Comme les progrès de la science ne cessent de rétrécir le domaine du sens commun, sous le couvert de la mythologie de la liberté et de l’égalité, les institutions fondamentales de la démocratie se vident insidieusement de leur contenu. (…) La psychologie individuelle ? C’est l’affaire des psychologues. La politique ? Celle des politologues.
(Le système et le chaos. Bernard Charbonneau. Anthropos 1973)


Nous avons été envoyés pour vous aider à vous sauver…
« … ceux qui vivent en dehors des réductions (…) vivent comme des sauvages dans le vice et le péché. » Les réductions permettent aussi de fixer les errants qui sont appelés d'une façon générique des vagabonds, et qui font craindre toute sorte de débordements et de délits (…) La colonisation a fragilisé les communautés et les maladies ont ruiné des régions entières, mettant sur la route de nombreux Indiens. (…) Peut-être suspecte-t-on aussi certains Indiens qui sont sur les routes d'être en réalité des prêtres indigènes qui, passant de village en village, les confortent dans l’idolâtrie et animent la résistance au christianisme.
L'attitude des Espagnols, tant au niveau civil qu'au niveau religieux, conduit à concevoir deux sociétés ou deux républiques séparées, l'une pour eux, l'autre pour les Indiens. Ils ne doivent pas vivre parmi les Indiens.
Ainsi, les Indiens acceptent les chrétiens dès lors qu'ils ne portent pas atteinte à leur croyance et à leur mode de vie (…) Le « principal » de Texcoco don Carlos dénonce un christianisme à géométrie variable, en soulignant que les religieux leur interdisent d'avoir des concubines et de boire mais laissent les Espagnols agir comme cela.
S'il convient que les Indiens s'hispanisent en partie, il ne faut pas qu'ils s'affirment comme les Espagnols, on pourrait y voir de la moquerie et même pire, une volonté manifeste de paraître les égaux des Espagnols. Les Indiens doivent rester à leur place. L'interdiction faite aux Indiens en 1568 de se déplacer à cheval (…) semble se situer dans cette logique.
(L'évangélisation des Indiens du Mexique. Eric Roulet. Presses Universitaires de Rennes 2008)


… une société troublée est condamnée à sombrer. A être dévorée par quelqu'un. (…) maintenant c'est l'heure propre, saine, comme ils disent à la télé. Healthy, clean, correct, rien dans les mains, rien dans les poches. Nous sommes dans la vieille Europe et la vieille Europe est propre par principe. Les malpropres, c'est ceux qui frappent à la porte, qui n'ont pas su profiter du premier élan et sont restés au bas de l'échelle (…). Laissons leur le travail malpropre, ce qui est désagréable : ils sont le pus, les ganglions qui s'enflamment aux aisselles et à l'aine de l'Europe.
(Crémation. Rafael Chirbes. Rivages 2009)


Il [Pizarro] lui [à Atahualpa] dit : « Nous sommes venus (…) conquérir ce pays pour que tous aient la connaissance de Dieu et de la sainte foi catholique : nous n'avons donc que de bonnes intentions. Nous sommes venus pour (…) que tu abandonnes cette existence diabolique et brutale dans laquelle tu vis. (…) Quand tu connaîtras l'erreur dans laquelle tu as vécu, tu sauras combien il est avantageux pour toi que nous soyons venus (…) nous traitons avec humanité nos ennemis vaincus…
(Les Incas Peuple du soleil. Carmen Bernand. Gallimard)


[Cortès] leur dit que l'empereur Don Carlos, prenant pitié de leur état de perdition, ne l'avait envoyé que dans ce but [leur expliquer la loi du Christ] et qu'en son nom il leur demandait de lui obéir et les priait de se reconnaître comme vassaux en témoignage de gratitude pour ce bienfait: telle était la volonté du pape, qui avait donné son accord à leur venue.
… "je [Cortès] vous amène une loi nouvelle, meilleure que la vôtre, car c'est celle du Dieu véritable, une loi limpide et claire, sans la moindre tache de tromperie et de doute, exempte de la barbarie des sacrifices cruels et abominables que vous usez dans vos rites…"
(La Conquête. Récits aztèques. Georges Baudet et Tzvetan Todorov. Seuil 1983)


A bien des points de vue, tout est beaucoup plus propre et plus net (…) Un jour ou l'autre, nous deviendrons peut-être nous-mêmes des objets à supprimer.


… un neupse [neuropsychiatrique] était un exilé volontaire, qui se posait par là même en ennemi de la civilisation morale.
(La porte obscure. Philip K Dick. Omnibus 1994)


La spécialisation est, selon nous, une forme de propriété privée des connaissances.
Celui qui sait quelque chose le thésaurise, et, en le compliquant pour le faire apparaître quelque chose d'extraordinaire et d'impossible auquel seuls quelques-uns peuvent accéder, il refuse de la partager. Et son alibi est la spécialisation.
C'est comme les sorciers de la connaissance, comme les anciens prêtres qui se spécialisaient dans le dialogue avec les dieux. Et on croit tout ce qu'ils disent.
Et ça se passe dans une société moderne qui nous dit à nous, Indiens, que nous sommes les attardés, les incultes, les non-civilisés.
Comme si s'était imposé une normalité ou un système de références, avec ses classifications et ses rayonnages, et que tout ce qui ne rentrait pas dans les cases était rangé dans un classeur toujours plus épais portant l'étiquette : « Autre ».
(Saisons de la digne rage. Sous commandant Marcos. Climats 2009)


Les législations, les barrières, les murs, les barbelés et les camps, particulièrement en Occident, stoppent des centaines de milliers de personnes dans leur voyage en quête d'un espace de sûreté et de sécurité. « De nouveaux lieux « hétérotopiques », nous dit [Michel Agier], apparaissent, se développent et se fixent, et avec eux, une nouvelle conception de l'étranger, celle de l'indésirable au monde. »
(Repenser les migrations. Smaïn Laacher. Le monde diplomatique)


… chaque homme est tout avec [le dieu unique] ou tout contre lui…
(Mythes et dieux des Indo-Européens. Georges Dumézil. Flammarion)


La psychologie transformera radicalement l'image du « moi » grâce à un idéal de santé mentale et de bien-être qui va gagner tous les champs de la société : l'économie (avec les théories du management), l'éducation (les modèles pédagogiques), la vie privée (les conseillers conjugaux), la prison (les programmes de réhabilitation), la publicité, le marketing et les médias (les émissions-débats), et même les conflits internationaux, pour les traumatismes liés aux guerres et aux génocides. La psychologie intégrée au marché propose des thérapies au monde entier en faisant de l'individu autonome, de la santé mentale et de l'épanouissement des objectifs à atteindre et des objets de consommation.
(La fabrique de l'âme standard. Eva Illouz. Le monde diplomatique novembre 2011)


La nature fondamentalement violente des barbares est la conséquence, selon les Romains, de leur manque ou insubordination à des lois, leur attitude gouvernée par l'irrationalité ; certains auteurs soulignent qu'ils sont plus proches des animaux que des humains.
(Attila et les Huns. Edina Bozoky. Perrin 2012)


Des gens venus d'ailleurs, qui te prennent ta terre, qui s'enrichissent sur ton dos ; et en plus ils te crachent dessus, ils te tabassent dans les prisons…
(El sexto. José Maria Arguedas. Métailié 2011)


Les intellectuels sont souvent physiquement et techniquement atrophiés. Leur complaisance à cet égard peut être odieuse, par la conviction dont ils se sentent investis d'une tâche intellectuelle, qui n'est le plus souvent qu'une grosse bulle soutenue par la capacité de langage à produire des effets de pouvoir, de conviction (…) Ils dissimulent souvent leur manque de clarté par l'usage d'une confusion que les autres ne s'autorisent pas de lever, de crainte de paraître stupides pour ne pas avoir compris.
(Il y a des dieux. Frédérique Ildefonse. PUF 2012)


… cette classe transnationale mobile de néobohémiens riches et créatifs (qui ont les moyens financiers, intellectuels et relationnels de leur mobilité géographique, culturelle et économique), et les classes nationales immobilisées dans leur emploi ou leur non-emploi (…) subissant, payant même la libre mobilité des autres par la précarité de leur propre situation professionnelle.
… les intellectuels célèbres et populaires de notre époque ne sont pas des métaphysiciens tels Platon et Aristote (…), des logiciens engagés tel Bertrand Russel (…) ou des penseurs engagés tels Sartre ou Merleau-Ponty (…), mais des coachs de vie écrivains, catégorie dans laquelle on peut ranger les psychologues et philosophes charismatiques qui se produisent régulièrement à la télévision, en conférence publique. (…) la transformation des croyances leur assigne une place particulière, presque démiurgique, en grande partie indépendante de leur valeur professionnelle intrinsèque mais fortement dépendante de leur capacité à décliner tant à l'oral qu'à l'écrit les thèmes individuo-globalistes du bien-être, de la connaissance de soi et de la créativité personnelle.
Le mal est l'artificiel, l'inauthentique, le non relaxé, le stressé, le contracté, le bloqué, le discontinu, le matériel, le non souriant. Le bien est l'authentique, la Nature naturelle, le relaxé, le souriant, le dynamique, le connecté, le débloqué, le continu, le spirituel.
Le blocage est le mal par excellence dans le monde post-industriel : en psychologie, en spiritualité, même en économie. La culturel postindustrielle tient l'arrêt en horreur, et en appelle à la fluidité en finance, à la flexibilité dans le travail, au voyage dans les loisirs. (…) Les traces du sacré sont perpétuellement effacées et partout réécrites au passage de l'énergie. Des « blocages » arrêtent parfois l'énergie, l'étouffent, mais la circulation restituée la libère, la réexprime. Tout est codé parce que partout l'énergie circule et laisse des traces, des circuits, symboles de vérité…
Les populations majoritairement dominées doivent jouer dans un scénario où elles occupent des rôles prescrits, par exemple le rôle d'un hyperbédouin, d'un bédouin hypertraditionnel, qui est poussé à hyperboliser sa tradition supposée, sous prétexte qu'il habite en Jordanie près d'un site qui a la faveur touristique.
(Souci de soi, conscience du monde. Raphaël Liogier. Armand Colin 2012)


… puisque la vitesse en tant que norme sociale prédominante est complètement « naturalisée » dans la société moderne (…), elle sert à distribuer, au mérite, la reconnaissance et la non-reconnaissance : les rapides triomphent, les lents restent en arrière et sont perdants. (…) ceux qui restent en retrait n'ont personne d'autre à blâmer qu'eux-mêmes.
(Aliénation et accélération. Hartmut Rosa. La Découverte 2012)


Les artistes sont les Indiens du monde blanc. On les traite de rêveur vivant dans les nuages, de gens imprévoyants incapables de mettre de l'argent de côté, refusant de regarder la réalité en face…
(De mémoire indienne. Lame Deer et Jean-Jacques Roudière. 2009)


… faute de valeur supérieure qui oriente l'action, on se dirigera dans le sens de l'efficacité immédiate. Rien n'étant vrai ou faux, bon ou mauvais, la règle sera de se montrer le plus efficace, c'est-à-dire le plus fort. Le monde alors ne sera plus partagé en justes et en injustes, mais en maîtres et en esclaves.
… ces initiés savent qu'ils ont tous les droits. Qui doute, même une seconde, de ce redoutable privilège est aussitôt rejeté du troupeau, et redevient victime. On aboutit alors à une sorte de blanquisme moral où un petit groupe d'hommes et de femmes, parce qu'ils détiennent un étrange savoir, se placent résolument au-dessus d'une caste d'esclaves ! Le seul problème, pour eux, consiste à s'organiser pour exercer, dans leur plénitude, des droits qui ont l'étendue terrifiante du désir.
L'avenir est la seule sorte de propriété que les maîtres concèdent de bon gré aux esclaves.
(L'homme révolté. Albert Camus. Folio 1951)


Va-t-en, tu n'es pas des nôtres, voilà ce que nous disent les bourgeois en permanence, et mieux encore aujourd'hui qu'hier.
(Louis Guilloux)


Le psychologue m'a dit vouloir simplement « être là », et « m'aider par la parole ». En vérité, j'ai eu droit à sa compassion feinte par obligation professionnelle et à sa bien-pensance de bourgeois de gauche.
Le psychanalyste m'a proposé de m'aider « à faire émerger mon désir inconscient », comme si mon désir avait des chances d'émerger sans faire trop de vagues dans le monde actuel. En vérité, il ne remet pas fondamentalement en question les structures oppressives (…). Arriver à son niveau de résignation « suffisamment bonne », c'est la plus haute idée de la liberté qu'il se fait. (…) Comment veux-tu que ces techniques psys, qui cherchent toutes à leur façon à me faire accepter le monde tel qu'il est, puissent m'être d'une quelconque aide ? En me faisant croire que la seule solution à mon malaise est dans un certain degré de soumission à l'ordre établi, ces professionnels ne font qu'augmenter mon désespoir. Et non seulement ils ne m'aident pas, mais en plus ils tirent argent, prestige, bonne conscience et pouvoir de leur participation active et insidieuse au contrôle de toute la population. (…) 
« Péter les plombs » (…) veut parfois simplement dire que l'on ne peut plus supporter l'insupportable. Comment laisserions-nous des psys nous convaincre que cette rage est pathologique ?
(Une incontrôlable)


J'ai appris à dessiner des arbres pour les psychiatres. Si on n'est pas capable de faire rejoindre le trait de crayon, ils disent qu'on est schizophrène.
(L'arc-en-ciel de verre. James Lee Burke. Payot et Rivages 2015)


« Entre les mains d'un peuple conscient de sa supériorité qui stériliserait sans remords les nègres, les jaunes, les « inférieurs » dont nous serions peut-être, l'eugénisme intégral reléguerait éventuellement à l'état de souvenir cette conquête démodée que sont les « droits de l'homme ».
(L'abomination américaine. Kami-Cohen. Flammarion 1930)


Il s'agissait de supprimer les trottoirs aux abords de la résidence et, le cas échéant, de verbaliser autant que possible ceux qui traversent la route à pied. (...) Plus de piétons, plus de pauvres. C'est aussi ça, la sécurité.
(Pur. Antoine Chainas. Folio 2014)


… cette idée sous-jacente et au fond scandaleuse que le monothéisme représenterait forcément une plus-value dans l'évolution de la pensée religieuse…
(La religion d'Akhénaton : monothéisme ou autre chose? Christian Cannuyer. Deus Unicus. Brepols 2014)


… selon votre logique implacable de chiffres, de budgets, tout le monde est coupable, ou au moins suspect.
(Les pigeons de Paris. Victor del Arbol. La contre allée 2016)


Tes yeux admirent l'immensité des paysages d'où l'homme fut un jour arraché pour être enfermé dans des usines immondes. Si chaque ouvrier, chaque paysan était capable de retrouver cette sensation d'humanité, crois-tu qu'il voudrait encore vivre en esclave ?
(La tristesse du Samouraï. Victor del Arbol. Actes Sud 2012)


… ceux qu'on considère aujourd'hui comme atteints de troubles du spectre autistique auraient été naguère des génies de l'art, des sciences et de la littérature, mais, maintenant, traitements et diagnostics avaient tendance à gommer leurs particularités pour les faire rentrer dans le rang.
(Tu me manques. Harlan Coben. Belfond 2015)


A force de réduire le moindre espace de liberté, de valoriser la performance et la propriété personnelle, la société induisait des transgressions et des passages à l'acte. Une usine à frustration. Mais puisque l'on ne pouvait pas les enfermer tous en prison, on intimait désormais à la psychiatrie l'ordre de soigner les intolérants aux règles et aux limites. (…) On exigeait la médicalisation d'un trouble du          « vivre ensemble »…
… à aucun moment il n'avait pensé à passer des vêtements « normaux », civils, civilisés… Avec cet accoutrement, il était comme une cible clignotante à abattre, un traître à la table des Saints avec une marque sur le front, avec une balise GPS greffée sous la peau…
… un déserteur enfermé dehors.
(Régis. James Osmont. Librinova 2016)


… c'est à partir du Néolithique et de la sédentarité agricole que le niveau de violence augmente nettement entre les communautés humaines…
(L'archéologie de la guerre. Jean-Paul Demoule. Archéologia novembre 2016)


… elle figure depuis cette époque dans les registres de la Direction du renseignement de la police de la province de Buenos Aires, dans la section réservée aux « délinquants subversifs ».
Sa fiche dit : « Extrémiste ».
Elle était âgée de trois mois quand elle fut cataloguée ainsi.
… ils les appellent « terroristes », parce qu'ils commettent le crime de défendre les terres qu'on leur vole.
(Le chasseur d'histoires. Eduardo Galeano. Lux 2017)


… il affirmait que le racisme était une tare congénitale de l'Amérique blanche et que l'identité américaine portait en elle les fléaux entrelacés du capitalisme, de l'impérialisme et du racisme.
(Le dernier combat de Martin Luther King. Sylvie Laurent. Le monde diplomatique avril 2018)


… des docteurs, ces avant-gardes de la modernité armés de leur puissant attirail de science médicale.
(Comment pensent les forêts. Eduardo Kohn. Zones sensibles 2017)


Abraham refusa à l'archange de rendre son âme et demanda à faire un voyage et une revue du monde créé. L'archistratège céleste lui montra (...) le monde. Il le mit sur un nuage et ils allèrent à la rivière Océan au-delà de laquelle Abraham vit l'autre monde et la répartition des âmes entre paradis et perdition.
(Dieux et hommes, modèles et héritages antiques, volume I. Jacques Bouineau. L'Harmattan 2018)


… une armée de professeurs, de techniciens et de pairs évaluateurs se tient en faction, toujours prête à hacher menu tout ce qui dépasse et à faire reluire ses propres blasons à travers ceux qu’elle enrôle.
(Le champignon de la fin du monde. Anna Lowenhaupt Tsing. La Découverte 2017)


… nous sommes face à un « apartheid global », avec des murs autour des îlots de richesse, dans chaque pays, dans chaque ville.
La plupart des caractéristiques du sujet moderne sont déjà rassemblées chez Descartes : solitaire et narcissique, incapable d’avoir de véritables « relations d’objet » et en antagonisme permanent avec le monde extérieur. De plus, il est structurellement blanc et masculin, ce modèle de rationalité                  « désincarnée » étant précisément celui sur lequel l’homme blanc a fondé sa prétention de supériorité sur le reste du monde. 
(La société autophage. Anselm Jappe. La découverte 2017)


… sanglés dans leur savoir : personne au monde ne nous connaît aussi intimement ; [les médecins] sont au fait des moindres recoins de notre anatomie et peuvent y pénétrer, y accéder ; cela les abuse : ils croient que cette perception se suffit à elle-même, qu’ils tiennent entre leurs mains la seule manifestation de la santé et de la vie d’un être humain. Ce sont des bouddhas fatidiques (maléfiques?).
(Chapitre deux. Ruptures. La forteresse du caméléon. Gilles Allaume. BookEdition)


"Mon principal désir est d’orner par des constructions splendides ce saint lieu que j’ai allégé de la honteuse installation d’une idole (…) pour construire une basilique supérieure à celles du monde entier…"
... la Corporation commanditaire, qui regroupait les changeurs et les banquiers, était la plus importante de toutes. Ainsi avait-on ici un chef-d’œuvre de l'art, (...) un signe éclatant de puissance bourgeoise, le tout sous les auspices de la Génération humano-divine du Christ et de son Evangile!
... le scientisme n'est pas (...) à comprendre comme une disposition dé-sacralisante, mais plutôt comme une expression indue du sacré. En effet, le scientisme revient à considérer que la raison scientifique est, comme telle, en mesure de fournir les canons d'accès à la vérité, prétention qui déborde évidemment de sa compétence.
(Le symbolique, le Sacré et l’Homme. Henri de Lumley. CNRS Editions 2019)


Si tu t’opposes aux Etats-Unis, tu es un rouge.
(Le vieux jardin. Hwang Sok-Yong. Zulma 2005)


... grâce aux prédications et aux représentations illustrées qui ornent les églises, l'au-delà leur est familier, mais il s'agit d'un au-delà terrifiant (...) les scènes du jugement, qui leur sont familières, opposent en effet la grande masse des damnés au petit nombre des élus.
L'homme naturel est fondamentalement égoïste, "recroquevillé sur lui-même", indifférent voire hostile aux intérêts (...) de son prochain. (...) "[l'être humain] est malade de fait, mais en bonne santé par la promesse certaine du médecin à qui il croit et qui le considère déjà comme en bonne santé parce qu'il est sûr de le guérir."
Dieu a prédestiné une partie des hommes au salut et les autres à la damnation. (...) les réprouvés, ce sont les autres, ceux qui s'opposent à leur doctrine ou méprisent les exigences éthiques de la Bible.
(La naissance du protestantisme. Histoire n°49 octobre 2017)


Se croyant la pointe avancée de la rationalité dans la société, [la classe éduquée] en est en fait le point d'incohérence par excellence: car c'est bien elle qui, plus que toute autre, est en proie aux affects de peur, sublimés en humanisme européen et en postures internationalistes abstraites lui permettant, croit-elle, de tenir le haut du pavé moral - quel qu'en soit le prix économique et social (pour les autres).
(Sortir de l'impasse européenne. Frédéric Lordon. Le monde diplomatique mars 2019)


Nous nous sommes habitués au fait que la physique représente le monde à un degré de résolution de plus en plus fin, avec pour conséquence qu'une bonne partie de ce qui est simple au niveau de l'expérience s'avère avoir une structure sous-jacente cachée, et est reconstruit à partir de structures plus fondamentales. (...) Il y a aussi une progression vers une conception de plus en plus absolue du monde, qui vise à rendre compte de la structure intrinsèque de l'être.
(Temps de la nature, nature du temps. SLDD Bouton-Huneman. CNRS Editions 2018)


Ils vivaient une sorte de narcissisme collectif auquel ils donnaient le nom de nation.
(Sympathie pour le démon. Bernardo Carvalho. Métailier 2016)


... un scénario ayant dérapé de manière létale de longue date, au cœur duquel les dés sont pipés, les concepts inopérants, les mots vides, le mensonge omniprésent, l'auto-intoxication permanente et toutes les issues de secours murées.
La clef de voûte de cette cathédrale où nous nous sommes emmurés dans un grand élan suicidaire collectif, c'est la plus que bimillénaire fable de "la civilisation et la barbarie", instrumentalisée avec perversité par tous les despotes de l'Histoire...
Le développement se veut le bienfaiteur de l'humanité, souffrante et ignorante - une humanité que l'on adore abrutie, éternellement en quête de guides et de préceptes.
(Pour en finir avec la civilisation. François de Bernard. Yves Michel 2016)


... résister à l'abrutissement scientiste, qui menace de détruire - disons-le crûment - la passion humaine de penser en lui substituant le dressage généralisé.
(Pierre Legendre. Argumenta et Dogmatica. Mille et une nuits 2012)


... l'idée (...) que les gens ordinaires sont des brutes épaisses qu'il faudrait maîtriser, former, éduquer, civiliser.
(Jocelyne Porcher. La décroissance décembre 2019)


... quand des gouvernements font passer les besoins de leur population avant leurs exportations, les pénuries de biens essentiels surgissent rapidement.
Cela signifie que de nombreuses personnes découvrent désormais le désastre que connaissaient déjà des millions d'ouvriers, de petits paysans, de communautés abandonnées sur le bas-côté de la mondialisation.
(Lori M Wallach. Le monde diplomatique mai 2020)


Les rangs des scientifiques et des technologistes, des artistes et des enseignants ont gonflé. Leur éducation a été ajustée à leur haute destinée génétique. Leur pouvoir de faire le bien a été accru. Le progrès est leur triomphe ; le monde moderne leur monument. (…) Une fois que tous les génies sont parmi l’élite, et tous les crétins parmi les ouvriers, que signifie l’égalité ?
(L’ascension de la méritocratie. Michael Young)


Des estimations récentes suggèrent que jusqu’à six mille enfants pourraient mourir chaque jour de causes évitables, en raison des effets directs ou indirects du Covid-19. L’accaparement des moyens de santé pourrait entraîner le doublement du nombre de morts du sida, de la tuberculose et du paludisme.
(Mark Lowcock secrétaire général adjoint de l’ONU)


… nous ne savons plus qu’elle est la réelle signification de l’expression « être humain ». C’est comme s’il y avait des enfants en train de jouer, et qu’alimentant ce fantasme de l’enfance, nous continuions à jouer indéfiniment. (…) Cette masse appelée humanité se détache complètement de l’organisme que constitue la Terre, vivant dans une « abstraction civilisatrice » qui ignore la diversité, nie la pluralité des formes de vie, d’existence et d’habitudes. Les seuls noyaux de population qui considèrent encore qu’ils ont besoin de rester attachés à cette Terre sont ceux qui ont été oubliés aux périphéries de la planète, sur les bords des rivières, sur les rivages des océans…
(Ailton Krenak. Natives. Automne 2020)


« La Vérendrye a découvert ces terres et les a ouvertes à l’humanité et à la foi. » (statue du Parc la Vérendrye à Winnipeg, inaugurée en 1938)
… le monde des voyageurs a pu aussi constituer un refuge, une porte de sortie pour des subalternes peu à leur aise dans une civilisation en cours d’urbanisation et d’industrialisation.
(L’Amérique fantôme. Gilles Havard. Flammarion 2019)


La médecine est la vaseline qui fait passer le suppositoire de l’artificialisation sans limite.
(Une question de taille. Olivier Rey. Stock 2014)


… la petite minorité de personnes qui sont nées avec des traits sociopathiques. (…) des personnes aussi asociales ne tiennent pas longtemps. Elles sont exclues par le groupe et meurent dans l’isolement.
(Humanité. Rutger Bregman. Seuil 2020)


… le récit mettrait en scène les conséquences de la révolution néolithique, confrontant la sauvagerie du cyclope – monstre d’avant la révolution, qui ne connaît ni les institutions politiques ni l’agriculture – et la civilisation issue de cette révolution, incarnée par un héros rusé, beau parleur et connaissant les lois de l’hospitalité. Le récit s’achèverait par le triomphe de la civilisation…
(Cosmogonies. Julien d’Huy. La Découverte 2020)


… ce qui définit une « information tronquée », c’est le fait qu’elle soit émise par une personne ordinaire sans droit à la parole. (…) Respectez l’expertise. Respectez la hiérarchie. Restez à votre place. (…) aucune voix discordante face au consensus interne à chaque profession ne sera admise, du moins en public. Le doute doit être étouffé sinon effacé. Les membres des professions médicales sont priés d’afficher un point de vue unanime – une logique de suppression de la pensée qui s’étend à tous les domaines de la connaissance.
(Thomas Frank. Le Monde diplomatique février 2021)


Loin de s’opposer, l’exaltation idéaliste de l’Antiquité grecque et la dénonciation du Turc en barbare primitif constituent les deux faces d’une même lame, qu’un Chateaubriant manie sans délicatesse excessive : « Notre siècle verra-t-il des hordes de sauvages étouffer la civilisation renaissante d’un peuple qui a civilisé la Terre ? »
(Samuel Dumoulin. Le monde diplomatique mars 2021)


En Basse-Normandie, on croyait naguère que certains bergers nomades, appartenant à une race différente de celle des paysans, pouvaient, au moyen de maléfices, corrompre l’eau des sources, pour se venger des fermiers. (…) en Bourgogne, lors de la peste de 1565, la municipalité d’Autun commit trois notables « pour prévenir à la conspiration inique de plusieurs meschants et pervers ayans vouloir d’infecter et intoxiquer les eaux des fontaines au grand péril de tous ».
A Hamel (Nord), le dolmen dit La Cuisine des Sorciers, ou la Pierre Chawatte (aux chouettes) passe pour servir de refuge aux Caramaras, nom qui désigne les êtres malfaisants et les bohémiens nomades.
(Croyances, mythes et légendes des pays de France. Paul Sébillot. Omnibus août 2002)


Ainsi, Asclépios, bien qu’il soit reconnu comme le plus ancien fondateur de la médecine et parce qu’il a apporté à cette science, qui en était encore aux balbutiements, un degré de précision important, reçut-il une place parmi les dieux. (Ceisus. De la médecine, 1er siècle apr JC, préface, 2)
La transformation du héros en dieu serait due (…) au besoin peu à peu ressenti par les populations grecques de se forger une puissance supérieure responsable de tout ce qui touchait les maladies et les guérisons. (…) Asclépios est l’objet d’un important culte [en Carie], dans le Dodécanèse en mer Egée. Son sanctuaire fut construit au sommet d’une colline et était entouré de forêts.
La chasse est une forme de guerre comparable à celle que mènent les Grecs contre les Barbares (…) il s’agit (…) du combat des hommes contre la nature sauvage. Les Grecs se différencient ainsi des animaux, ils leur sont même supérieurs. La chasse est essentielle pour définir la place de l’homme dans le monde. Guerre et chasse sont intimement liés : les adolescents apprennent la chasse comme entraînement pour la guerre. Par conséquent, les figures de chasse sont liées au monde religieux...
(Histoire antique et médiévale. Mai 2016)


Au milieu de cette société si jalouse de moralité et de philanthropie, on rencontre une insensibilité complète, une sorte d’égoïsme froid et implacable lorsqu’il s’agit des indigènes de l’Amérique. Les habitants des Etats-Unis ne chassent pas à cor et à cris ainsi que faisaient les Espagnols du Mexique. Mais c’est le même instinct impitoyable qui anime ici comme partout ailleurs la race européenne. (…) Ce monde-ci nous appartient, ajoutaient-il : Dieu, en refusant à ses premiers habitants la faculté de se civiliser, les a destinés par avance à une destruction inévitable.
Ils sont trente à peine au milieu du désert (…) et ils ne jettent les uns sur les autres que des regards de haine et de soupçon. La couleur de la peau, la pauvreté ou l’aisance, l’ignorance ou les lumières, ont déjà établi parmi eux des classifications indestructibles, des préjugés nationaux, des préjugés d’éducation et de naissance qui les divisent et les isolent.
(Quinze jours au désert. Alexis de Tocqueville. Le passager clandestin 2011)


... priver définitivement les Indiens de leurs ressources pour les faire disparaître. Les Sioux tirent en effet du bison non seulement la viande qui les nourrit, mais aussi les peaux de leurs tentes et de leurs vêtements, la matière osseuse de leurs outils et de leurs instruments, les cordes de leurs arcs et jusqu'à la colle employée pour l'assemblage des boucliers, qui est tirée des sabots. (..) Il y a maintenant les "progressistes", qui sont prêts à accepter les exigences des autorités américaines, et les "anti-progressistes", qui refusent la politique d'extinction culturelle dont ils sont l'objet. (...) Pour les américains, les "progressistes" sont les "gentils" Indiens (friendly Indians), les autres étant les "hostiles".
"S'il se trouve des curieux qui se demandent à quoi ressemble réellement un bon Indien, ils n'ont qu'à aller voir son cadavre." (Hermosa Pilot 19 décembre 1890)
Le sénateur républicain du Kansas, l'avocat Joseph Burton, prend la parole (...). On a dit aussi que les Indiens défendaient leur terre ancestrale (...). Mais qu'en avait-il fait, ces Indiens, depuis un millénaire qu'ils l'occupaient, et qu'en feraient-ils s'ils devaient la garder mille ans de plus? Rien, assurément. Face à une "meilleure civilisation" que la leur, ils n'ont aucun droit sur cette terre car "la vertu et l'intelligence ont des droits supérieurs à ceux de l'ignorance et de la barbarie: il en a toujours été ainsi, et il en sera toujours de même jusqu'à la fin des temps." Dans cette guerre de la civilisation contre la sauvagerie, que mène la "race anglo-saxonne"...
... cette rébellion des Indiens "hostiles" et "fanatiques" a failli mettre en péril l'entreprise de "civilisation" de l'Ouest américain, avant que l'armée, accourue à la rescousse, ne vienne heureusement renverser la situation et rétablir l'ordre et la prospérité.
... n'étant économiquement bons à rien, il n'y a rien à en attendre et ceux-ci doivent faire place nette devant l'avancée de la civilisation. (...) "les Indiens doivent travailler ou sinon mourir de faim." (Sherman)
... les traiter "comme des pervers ou des bêtes sauvages et en aucun cas comme des gens avec lesquels négocier ou faire des compromis". (général Pope)
L'"homo sacer" n'a le droit à rien, mais a le devoir d'obéir à tout. On peut donc lui prendre sa terre et le confiner dans des "réserves" ou des "camps", faisant de lui un apatride dépourvu de toute attache et déplaçable à volonté, selon les nécessités du moment: un Indien, en somme.
A Wounded Knee, comme dans la plupart des autres évènements de ce type, le déclenchement de l'extermination est rendu possible par la conjonction de trois facteurs principaux:
- La compartimentation de la société, qui amène à considérer l'autre comme n'appartenant pas à l'humanité digne de ce nom (c'est-à-dire "nous").
- L'inversion des valeurs morales, qui fait qu'il devient possible d'appliquer à l'autre des traitements impensables pour soi-même.
- La soumission particulière à l'autorité, qui produit une obéissance aveugle aux ordres donnés par les chefs.
Le sergent de Wounded Knee peut dire ainsi qu'il vaudrait mieux éclater la tête des bébés sioux contre un arbre, plutôt que les épargner, car, dès qu'ils le pourront, ils s'attaqueront aux Américains. Il a intégré cette morale génocidaire.
Dans ce renversement effarant des valeurs, le bien ne disparaît pas pour autant, mais il est réservé à l'entre-soi du groupe dominant. La violence qui se déchaîne sur les Lakotas a ainsi pour but affiché de préserver les colons américains de la "sauvagerie" indienne (...). Selon ce schéma inversé, les Américains sont dans leur bon droit face à cette agression injustifiée, alors que les Indiens se comportent comme des bandits et des terroristes; la violence qu'exercent les Blancs est légale et contrôlée; tandis que celle des Indiens est illicite et barbare. En quelque sorte, liquider les Indiens devient une forme préventive de légitime défense.
"... c'est l'échec de l'Amérique à devenir autre chose que ce qu'elle n'a cessé d'être, depuis ses origines: un "Etat fondé sur le suprématisme blanc, sur la pratique généralisée de l'esclavage, sur le génocide et le vol des terres", écrivait en 2014 l'historienne américaine Roxanne Dunbar-Ortiz. (...) cette puissance qui prétend incarner la liberté, mais seulement pour elle-même, et qui se considère placée au-dessus de toutes les lois de l'humanité.
(Ce qui est arrivé à Wounded Knee. Laurent Olivier. Flammarion 2021)


... un contexte d'arrogance occidentale que les horreurs du XXème siècle n'avaient pas encore ébranlé...
(Tenatsali ou l'ethnologue qui fut transformé en Indien. CNRS Editions 2022)


... pourquoi croire qu'une théorie simple ou unificatrice a plus de chance d'être vraie? Et, si ce n'est pas le cas, pourquoi croire que les scientifiques qui sélectionnent les théories en fonction de tels critères visent le vrai? Ne chercheraient-ils pas plutôt à produire des représentations "utiles", capables de synthétiser efficacement la variété des interventions et observations qu'il est possible de faire depuis notre point de vue humain? Après tout, les modèles scientifiques sont souvent idéalisés...
(Quentin Ruyant. La Recherche octobre 2022)


"La "religio romana" (...) désigne d'abord une attitude faite de respect scrupuleux - ce qui est le sens premier de "religio" -, envers l'institué. Elle est ce qui donne force aux institutions et en garantit la durée, par ce lien, cet attachement du citoyen à respecter les institutions de sa cité." (Maurice Sachot) A Rome, la "religio" n'impliquait alors ni discours théologique, ni même engagement de foi. (...) Saint Augustin introduisit l'opposition entre "religio Christiana", la "vraie" religion des chrétiens, et la "falsa religio" ou "fausse religion" des païens.
"Sous prétexte qu'on a découvert récemment, chez des peuples de brutes habitant l'Amérique, le totémisme, voici, malheureusement, que l'on s'obstine à appliquer ces formules de clans de sauvages ignorants à toute idée antique. Je ne vois, pour ma part, aucune raison d'abaisser ainsi à la bestialité la pensée d'hommes antiques qui, au contraire, créèrent, dans une vraie civilisation, le commerce, l'industrie, l'écriture, la justice, la sculpture et tant d'autres beautés." (Selk 1924)
(La caverne originelle. Jean-Loïc le Quellec. La Découverte 2022)


"A en juger par les ornements hideux et la musique non moins atroce qu'admirent la plupart des sauvages, on pourrait conclure que leurs facultés esthétiques sont à un état de développement inférieur à celui qu'elles ont atteint chez quelques animaux, comme les oiseaux." (Darwin)
Selon Darwin, (...) les races dites inférieures sont vouées à l'extinction (...) alors que la "race" supérieure a toujours davantage de perfection (ainsi désignée la race blanche de culture occidentale). (...) Au XIXème siècle les ethnologues organisaient des expositions zoologiques du "sauvage" auquel les visiteurs jetaient de la nourriture à travers les grillages, quand ils ne comparaient pas leurs traits à ceux des primates ou qu'ils ne s'étouffaient pas de rire devant une Africaine nue, malade et tremblante.
La théorie évolutionniste et la pratique coloniale se renforçaient mutuellement. (...) Avant la messe catholique du dimanche et après le petit-déjeuner, les populations vont voir les "Sauvages".
Même lorsqu'elle se veut objective, l'anthropologie est donc tout d'abord une émanation de l'ethnocentrisme occidental, une façon de se définir soi-même comme supérieur...
(Les incroyables erreurs sur l'histoire de l'humanité. Ibrahima Mbengue. L'Harmattan 2022)


... ceux qui sombrent dans la débauche perdent leur statut de "bons" citoyens; ce ne sont plus que des barbares ou des monstres rétifs aux vertus de la civilisation...
... une classe de prêtres investis par Dieu du pouvoir permanent de contrôle du peuple, en vertu d'une "alliance" qui devait leur assurer "le sacerdoce à perpétuité". (...) L'histoire de Zimri et Kozbi sert de légende destinée à légitimer les pouvoirs du clergé. Les prêtres ne peuvent s'instituer que moyennant la création de règles prétendument sacrées dont ils s'autoproclament les gardiens, au nom de Dieu.
Le thème de la débauche avec les filles moabites ou madianites leur permet de définir un "ailleurs", lieu de toutes les trahisons, forcément honni, mais également nécessaire à l'élaboration du discours dominant qui, par opposition, se veut juste et orthodoxe. L'histoire de Kozbi est une fable morale élaborée dans le seul but de fonder le prestige social de l'élite sacerdotale et de maintenir le peuple en respect.
Le crime sexuel des filles de Loth sert de fondement narratif à l'énonciation de l'opposition entre "nous" les Hébreux, gens de bien, et "eux", les fils de l'inceste.
Le discours juridique et moral, que ce soit en Grèce ou à Rome, présente toujours les magiciens comme des personnages douteux, voire de véritables criminels. C'est pourquoi, au IVème siècle avant JC, Platon les bannit de sa cité idéale: le sorcier est l'antithèse du philosophe.
(Débauches antiques. Christian Georges Schwentzel. Vendémiaire 2023)


Dans de nombreuses interprétations modernes (...), l'impératif de "pureté" est ainsi compris comme une exhortation à l'hygiène (c'est-à-dire à la "propreté") ou bien à mener une vie moralement irréprochable. Cette refondation théologique moderne vise à élaborer une "pure" éthique de la conviction qui se réalise dans le principe "des bonnes pensées, des bonnes paroles et des bonnes œuvres".
Cette éthique défend une liberté de choix individuelle qui peut - et doit même parfois - passer outre les règles comportementales considérées autrefois comme fondamentales. (...) Il faut donc être soi-même juge et critique de son propre comportement afin de s'améliorer. (...) Ces péchés doivent d'abord être pleinement reconnus, en présence d'une personne habilitée pour cela.
(Zarathoustra et sa religion. Michael Stausberg. Les belles lettres 2022)


... "une rivière qui insularise et protège le monde des hommes "vrais", tout en permettant d'élaborer une géographie mythique renvoyant le monde sauvage des hommes-chiens à la périphérie de l'univers civilisé." (Le Quellec)
(L'aube des mythes. Julien d'Huy. La Découverte 2023)


... leurs "compétences sociales associées à l'érudition et à l'élégance du verbe", de leur "éloquence rhétorique" ou encore de leur "culture savante" indissociable de leur appartenance à la "culture des classes supérieures". (Dzovinar Kevonian)
(L'esprit politique des savoirs. Jacques Commaille. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2023)


Dans les mondes grecs et romains, la "magie" fait partie du lexique religieux qui est forgé notamment dans des buts polémiques, pour dénoncer les activités hors norme ou déviées de certains personnages considérés comme des marginaux.
(Les cultes à mystères dans l'empire romain. Francesco Massa. Les belles lettres 2023)


Les moines (...) sont souvent araméophones: il s'agit d'un signe d'inculture et de rusticité (...). Dès la fin du IV° siècle, à Antioche, le prêtre Jean Chrysostome oppose dans ses homélies un monde rural araméophone à la grande ville hellénophone: la différence linguistique participe d'un système d'oppositions plus vaste qui sert la pédagogie chrétienne du prédicateur.
(Le Proche-Orient. Catherine Saliou. Belin 2020)


… la frontière entre ce qui relève du remède et, à l’opposé, du poison ou du maléfice est aussi mince que la ligne de partage entre le savoir empirique et la foi.
(Les gens de l’or. Michèle Baj Strobel. Terre humaine 2020)


On compte 30% de métis et 10% d'Indiens qui ne le sont guère de culture, puisqu'ils parlent espagnol et prient le Christ. Leur état d'Indien s'explique donc par le fait que les Blancs et les métis les considèrent différents d'eux, un peu à cause de la couleur de leur peau, du fait de leur situation sociale et surtout parce qu'ils viennent d'ailleurs (...). Tous les paroissiens du père Othon relèvent pratiquement de la même culture; que 20% d'entre eux seulement sachent lire n'a alors aucune importance, l'isolement contribuant à l'unité.
Les propriétaires qui se disent "gens d'ordre" sombrent dans le manichéisme. Selon eux, le monde est divisé entre les bons qui possèdent quelque chose, puisque la richesse est un signe de prédestination divine, et les mauvais qui n'ont rien. (...) ils pensent que, sans une bonne dose de grâce divine, on ne peut appartenir au groupe des élus, des pieux, des riches, amis de l'ordre.
(Les barrières de la solitude. Luis Gonzalez. Plon 1982)


Plus les prétentions d'une tribu à la pureté de ses origines arabes étaient grandes, plus ses membres considéraient avec dédain les hommes des marais en raison de leur lignage douteux, et plus ils étaient prêts à leur imputer toutes sortes de malhonnêteté. (...) Leur réputation était tout aussi mauvaise parmi les Britanniques vivant en Irak…
(Les Arabes des marais. Wilfred Thesiger. Plon 1983)


Les Danois, en vrais coloniaux, cachent leurs richesses. Ils ne vivent qu'entre eux. A leurs "parties", ne sont qu'exceptionnellement invités les Groenlandais.
On apprécie qu'en entrant je ne me sois pas arrêté au milieu de la pièce, raide, sans saluer d'un mot les occupants, inspectant d'un œil condescendant le cadre et les animaux humains. J'apprendrai que c'est l'habitude des Qallunaat.
"Le Blanc, lui, a tout: maison, nourriture, argent et crédit; et l'Eglise parle contre les avares! A qui s'adresse-t-on? A nous sans doute, puisque les Qallunaat ne vont jamais au temple le dimanche. (...) Il y a les maîtres, eux, les riches, les Qallunaat, et nous, les pauvres." (...) La seule boutique de souvenirs de Thulé - qui prélève une marge bénéficiaire sur les sculptures confiées par les chasseurs - a été créée à côté de l'église; elle est gérée par le catéchiste.
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)


Malgré ces défroques étrangères, elle n'apparaissait point déplaisante, et Térii déclara, comme cela est bon à dire en pareille occurrence, qu'il dormirait volontiers avec elle. Les autres sifflèrent de mécontentement, ainsi que des gens offensés; et la fille même feignit une surprise. - Pourquoi? - L'homme qui avait récité les noms d'ancêtres se récria:
"La honte même! pour une telle parole jetée ce jour-ci!" Il ajouta d'autres mots obscurs, tels que "sauvage" et surtout "ignorant".
On criait: Mangeur d'oeil! Sauvage! Homme stupide! Homme sans pudeur! Vieux sorcier! - la gaîté se levait, sans bornes, gaîté permise, plaisante aux yeux des Missionnaires et de Kérito. (...) L'aventure était drôle! Le spectacle était bon! Païen! Il y avait encore un païen!
(Les Immémoriaux. Victor Segalen. Points 1985)


Même si l'ombre du bûcher ne m'inquiétait pas, celle de l'intolérance pouvait revenir, porteuse de stigmatisation sociale.
Plus redoutable que l'anathème de l'Eglise était le verdict de la psychiatrie, de la pathologie neurologique.
(Cinq tambours pour deux serpents. Mireille Aïn. Plon 2022)


Sous la couverture du progrès et de la séduction tripartite routes-école-hôpital, l'administration centrale tente de consolider son autorité sur cette province "arriérée".
... l'insupportable différence de ces voisins kalash, gens de la jungle mal équarris, païens empêtrés dans leur rapport avec des dieux archaïques, véritables injures à la révélation monothéiste. (...) les effets ravageurs d'un tourisme venu des villes pakistanaises, fondé sur le voyeurisme et le harcèlement de femmes évoluant à visage découvert. Mais que peuvent des députés ou ministres, postés si loin du terrain, pour contrer des pressions morales quotidiennes, des incitations pernicieuses à la conversion, des spoliations répétées de sanctuaires (...)? Nous avons vu se confirmer la mise en réserve des Kalash (...). Nous avons vu la multiplication d'hôtels dans les vallées, tenus par ceux-là même qui, tout en méprisant les Kalash, espéraient bien retirer des dividendes de la curiosité qu'ils suscitaient. (...) ils étaient désormais, selon leur propre expression, le peuple du dernier livre.
Fort de ses prérogatives d'intellectuel, il calque son comportement sur celui des notables, refuse les activités de peine et passe son temps à parler. (...) Mais le hâbleur cache la fragile proie à l'acculturation, qui déjà se plaint de l'uniformité des repas, parle de visiter le monde...
Situation paradoxale. Les Kalash sont le centre d'intérêt de la région. Les musulmans dénigrent leur culture tout en tirant profit de l'attrait qu'elle présente aux yeux des étrangers. Il y a danger de mise en réserve.
(Solstice païen. Loude, Lièvre, Nègre. Editions Findakly 2007)


Ils entrent dans d'aveugles ténèbres,
ceux qui croient dans le non-savoir:
et dans plus de ténèbres encore
ceux qui se plaisent dans le savoir.
(Hymnes spéculatifs du Véda. Louis Renou. Gallimard 1956)


... des anthropologues culturalistes, nationalistes et mystiques.
... ce qui est de [la] compétence exclusive [des brahmanes], c'est le savoir qui compte vraiment, et tout d'abord le texte révélé et sacré, (...) le Veda comme "audition" qu'ils connaissent pour l'avoir appris par coeur à force de l'entendre et de le répéter. Et le meilleur brahmane est celui qui (...) peut se targuer d'être un "savant", c'est-à-dire particulièrement versé dans la masse des séquences sonores qui forment le savoir authentique.
"Ce qui est impossible: des scribes qui ne soient pas méchants, un feu froid, un corps exempt de maladie, un médecin qui fait du bien, une femme vertueuse".
(Le jumeau solaire. Charles Malamoud. Seuil 2002)


... car les Dieux aiment l'occulte.
(Mythes et légendes extrait des Brâhmanas. Jean Varenne. Gallimard 1967)


Toute compromission avec le "culte des idoles" étant dénoncée avec une grande fermeté, les pratiques cultuelle de la vie quotidienne, un aspect important de la civilisation romaine, devaient maintenir les chrétiens à part, en marge de la société, de la cité.
(Le culte de Mercure en Afrique. Nacera Benseddik. Tautem 2024)


« Le roi éclairé, dit Lao Tan, étend partout ses bienfaits, mais il ne fait pas sentir qu’il en est l’auteur. Il aide et améliore tous les êtres sans que ceux-ci sentent qu’ils sont sous sa dépendance. Le monde ignore son nom et chacun est content de soi. Ses actes sont imprévisibles et il s’identifie avec le    néant. »
« Qui a appris une centaine de choses sur la vérité se croit supérieur à tout le monde (…). »
(…) qui prend la vie comme principe, l’intelligence comme guide multiplie les vérités et les erreurs, établit la distinction entre le nom et la réalité. Il s’érige en maître du monde et oblige les autres hommes à adopter ses jugements et à se sacrifier pour eux. Un tel homme considère que la réussite sociale est un signe d’intelligence et que l’échec social est un signe de stupidité, que le succès est un honneur et l’insuccès une honte. Les hommes de nos jours s’attachent tous à une raison qui change selon les circonstances. Ainsi ils ressemblent à la cigale et à la caille qui ont le même horizon borné.
En pratiquant la bonté et la justice, vous introduirez sous peu l’hypocrisie dans votre conduite. Toute apparence de vertu crée l’hypocrisie chez les autres.
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)


Comme dans d’autres cas de doubles mettant en scène un sauvage et un civilisé, le premier doit mourir à jamais (ou subir une mutilation permanente) pour que l’autre puisse refonder la société. Contrairement à Jean le Baptiste, le Christ connaît une forme d’immortalité extra-terrestre…
(Le matin des dieux. Salvatore D’Onofrio. Editions Mimésis 2018)


Trêve à Gaza : après la libération de trois otages israéliens, trois bus de détenus palestiniens libérés arrivent dans la bande de Gaza. 

(L’Indépendant 1er février 2025)


Trêve à Gaza : les conditions de libération des détenus palestiniens dénoncées par le Comité international de la Croix-Rouge. Les prisonniers palestiniens sortis samedi à la mi-journée, principalement du centre pénitentiaire de Ktzi'ot, dans le désert du Négev, l'ont été dans des conditions qui posent de sérieuses questions. Ils étaient menottés, mains derrière la tête et portaient un bracelet sur lequel était écrit : "le peuple éternel n'oublie pas et pourchassera son ennemi".
(Radio France. Thibault Lefèvre 1er février 2025)


En 1959, un groupe de baptistes de la Bonne Volonté venu des États-Unis, s’était mis à sillonner l’est de la Côte-d’Ivoire (…). Les baptistes (…) ne se contentaient pas de convertir des « païens », ils vitupéraient les « papistes idolâtres » (…). Ce comportement les rendit indésirables aux yeux des catholiques, qu’ils jugeaient pires que les païens. Convaincus que Jésus vivait comme un agriculteur de l’Oklahoma des années cinquante, les baptistes voyaient la main du diable dans le paquet de Gauloises et le verre de vin de palme...
Une célèbre équipe de football française est venue jouer au stade Houphouët-Boigny (…). La France l’emporte grâce à ses nombreux joueurs vedettes Africains. La foule se disperse rapidement, chacun regagnant son quartier, son territoire, définis par la fortune, l’appartenance ethnique et la couleur.
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)


« … le monde qui nous entoure se compose en réalité de deux mondes absolument différents. D’une part, celui de Copernic, de Newton, de Leibniz et de Kant ; c’est-à-dire l’univers régi par des lois immuables et où le plus petit comme le plus grand s’unissent en un tout harmonieux. De l’autre, à côté de cet univers grandiose qui soulève encore plus d’étonnement et d’admiration à chaque pas que nous y faisons, il y aurait un petit monde, un monde de follets, de magiciens et de « médiums », qui serait tout le contraire du premier, de l’univers sublime et grandiose, dont les lois immuables se trouveraient suspendues au profit de personnes des plus vulgaires et souvent hystériques. » (Wilhelm Wundt)
[ Wilhelm Wundt] parle en effet de préférence de l’homme occidental pour le « merveilleux univers de Galilée et Newton », c’est-à-dire pour l’univers donné à observer, contrôlable par l’expérience, soluble rationnellement dans la légalité scientifique.
La réalité, conçue comme l’indépendance du donné, comme la présentification d’un monde observable, comme une altérité définie et garantie, est une formation historique propre à notre civilisation, c’est-à-dire corrélative à la présence décidée et garantie qui caractérise celle-ci. Cette réalité, que nous pourrions aussi appeler « naturalité », s’exprime ainsi : je suis un donné du monde qui se donne à moi, sans que cette double « présentification » pose de problème culturel. Mais le monde magique, qui est un monde en voie de décision, comporte des formes de réalité qui, dans notre civilisation (quand elle reste fidèle à ce qui la caractérise historiquement), n’ont aucune valeur culturelle et sont niées de manière polémique.
… dans la détermination (et dans la limitation) actuelle de notre conscience historique, l’être-là unitaire de la personne, sa « présence », se configure comme le jamais « décidé » ou (ce qui revient au même) comme le « toujours décidé » et, pour cela même, comme ce qui n’entre pas dans le monde des décisions historiques. Notre régime de présence est donc considéré (dans l’optique limité de notre conscience historique) comme le modèle de toute présence historique possible : dans n’importe quel monde historique et culturel, la présence à soi doit se régler sur ce modèle, et dans aucune forme de civilisation, l’absence à soi ne peut être conçue comme un problème, comme une réalité fondée. Il s’agit, ce faisant, de l’hypostase métaphysique d’une formation historique.
… comment donc l’humanité barbare (…) avait-elle [observé les faits paranormaux], alors que l’humanité civilisée, qui avait fait tant de progrès en observation, les aurait manqués, au point de ne pas vouloir les admettre, même si un observateur chevronné en témoignait ?
Lehmann imagine donc, dans l’abstrait, un « observateur » de la nature, qui parfois l’observerait mal (d’où la magie et la superstition) et qui parfois, au contraire, l’observerait correctement (d’où la science et la vérité).
Hauer ne voit pas le lien étroit entre le problème des pouvoirs magiques et cette « koïnônia » [communion] magique des êtres et des choses (…) [qui] se configure, pour Hauer, comme un type de mentalité, et non comme un moment du drame existentiel propre à l’univers magique. Et, détaché de ce drame, le « Sichhineinfühlen » magique, le sentiment d’appartenance à l’univers, est compris négativement, comme une « incapacité de distinguer »...
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)


« Le scribe, à l’intelligence remarquable, (…) c’est une lampe sur le chemin des ignorants, quand il illumine les ténèbres, (…) qui errent dans la nuit, (…) celui qui a fait le choix de l’excellence, qui garde toute sa présence d’esprit, celui qui est adepte de sagesse... »
(Lettres égyptiennes. Michel Dessoudeix. Actes sud 2025)


Cette eau (…) est tiède, son goût est saumâtre, pâteux, écœurant ; ils ont la conviction qu’elle communique la fièvre. Et ils attribuent fermement cette infection de l’eau au fait que le puits sert également à une famille de Noirs qui habite au-dessous d’eux, dans le creux du terrain. Pour cette raison, Pearl se cache pour surveiller (…), et quand surviennent les enfants noirs (…), ou même le père ou la mère, elle leur jette une grêle de cailloux…
… ils subissent dans leurs vies une honte à n’en plus finir, l’insulte de la gêne extrême, et de se sentir inférieurs, et rapiècent ces éléments, à se figurer quelque semblant de bien-être, qui dans sa somme n’est pas plus que l’âpre combinaison des pis-aller (…), dans les classes moyennes du sud la plus honnête et plus profonde et plus irrécusable expression rationnelle de cet état de choses, c’est, « ils y sont habitués ».
… je déteste et déplore la vénération de la stérilité dans les classes moyennes des États-Unis, et envers son propre excrément le mélange de vénération et de crainte.
Donner des noms aux animaux de la basse-cour n’est pas courant, et montre, si vous voulez, quelque « primitivisme » chez les Ricketts, mais aussi quelque chose en eux (…) qui serait regardé comme fastidieux tout au plus par des intelligences entièrement consacrées à l’Amélioration du Sort du Fermier, pour lesquels pas de temps à perdre en vains détails.
Je peux seulement dire ici que chez les gens de ce pays auxquels vous portez le plus d’affection, à peu près sans exception, vous devez faire la part de traits, de besoins et de maladies, et surtout de simples habitudes naturelles, différents des nôtres, et d’une cruauté insouciante jusqu’à l’apathie, et inconsciente et délibérée en même temps, en ce qui touche la vie extra-humaine et les Noirs, et assez terrible pour glacer le sang, ou pour arrêter le cœur ou pour conduire au meurtre…
« Je n’ai rien contre l’éducation des nègres, mettons jusqu’à la sixième ou la cinquième, mais pas au-delà, je crois trop pour ça à la suprématie blanche. »
A l’école l’enfant est tout d’abord plongé dans un bain d’huile bouillante. C’est le monde, ce qu’il a de plus cruel. Et les enfants apprennent moins du maître qu’ils ne s’apprennent les uns des autres. Les enfants sont, ou promptement deviennent, exquisement sensibles aux significations et discriminations, sociales, psychologiques et physiques. La guerre est sanglante et sans merci, comme seule celle-là peut l’être, dans laquelle chaque combattant est à lui-même toute son armée, et est stupéfié et terrifié, à proportion de ce que son état de conscience est sain, et vigoureux. Quels vêtements il porte, pour ne mentionner que cette seule chose bien simple, voilà qui est d’une immense importance à un enfant. Un enfant est promptement, et à un point terrible, instruit de sa situation et de sa signification dans le monde…
« Leur semence demeurera à jamais de bon parentage, et leurs enfants vivent selon l’Alliance.
Leur semence perdure. Celle de leurs enfants, en leur honneur. Leur semence durera à jamais, et leur gloire ne sera pas effacée. » (Hymne anglican)


« … il avait fui tout du monde culturel policé – les sentiments élevés, les bonnes manières, les colorations d’intérêt – et qu’on s’y déclarât pour l’autorité ou les vérités libertaires. » (Walker Evans)
(Louons maintenant les grands hommes. Agee/Evans. Plon 2017)


… la rationalité sécularisée de l’Occident est un fruit historique du christianisme, un avatar de l’idée d’incarnation…
On notera que, les dieux du cycle royal exceptés, l’image humaine recouvre, pour l’essentiel, des manifestations mineures du divin, inféodées à des forces plus puissantes.
… ces héros, les andres, qui sont bien supérieurs à l’humanité ordinaire, les anthropoi, dont ils se distinguent tant par le statut que par les qualités physiques : taille, force, prestance, courage (…). Leurs qualités sont pensées comme les signes d’un privilège, d’une faveur des dieux. Chez ces individus, dans la perfection de leur beauté, dans l’éclat de leur jeunesse ou dans la plénitude de leur maturité, ce sont les valeurs divines qui transparaissent…
… le corps de l’athlète, de celui à qui les dieux confèrent la victoire aux Jeux, est l’un de ces lieux ambigus où brillent ces qualités, exceptionnelles chez l’homme, qui sont des valeurs proprement divines.
… la « montée » à la ville des campagnards est aussi l’occasion de leur accès à la culture, la seule qui soit, celle de la Cité.
Le discours (…) se trouve pétrifié en parole de vérité, pédagogique, morale et apologétique. L’écriture gravée sur la pierre dit la vraie sagesse et la propage sur les routes, tout en inscrivant dans le temps la gloire du tyran. Le dieu messager devient tout à la fois poteau indicateur, instituteur de campagne et mémorial du pouvoir politique.
La superstition, la magie, le mysticisme, c’est ce qui était attaché aux pratiques des religions « barbares », des fabricateurs d’idoles, et à travers le ton objectif de la constatation, Freud ne peut s’empêcher de laisser transparaître le peu de considération que lui inspire ce fonctionnement-là de l’esprit. Soupçon de mépris qui teinte peut-être également l’évocation, dans le même contexte, de la restauration de « la grande déesse mère ».
… [Arès] occuperait, à en croire les historiens des religions, la place de l’exclu, lui, le sanglant, le meurtrier, qui incarne ce que les cités ne veulent plus savoir de la guerre – qu’elle est une façon de socialiser le meurtre. Il est vrai que, pour préserver l’idéologie officielle (consensus à l’intérieur, belle guerre à l’extérieur), les cités de l’époque classique ont tout intérêt à préserver Arès comme un exclu…
Le texte de la doctrine et celui de la discipline séparent donc la vérité, omnen veritatem, des tropes fictifs et imaginaires des méchants et des abus superstitieux. Cependant, parce qu’il dit « la vérité », le texte doctrinaire ne laisse que la voie du détournement des croyances ou des pratiques pour que se dise tout ce que cette vérité, l’orthodoxie et l’orthopraxie laissent échapper.
… c’est moins alors le corps christique, protégé par les définitions de la théologie en sa spécificité majestueuse, qui opère les guérisons, que les corps saints, du fondateur ou de la religieuse morte en réputation de sainteté : les exemples sont innombrables et signent la solitude du corps divin, sa distance, et le relais que prennent d’autres corps, saints, non divins.
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)


A la question posée par Sartre il y a trente ans : écrire pour qui ? la réponse était simple autrefois : pour les trois mille personnes qui s’intéressent en Grèce à la littérature.
(L’été grec. Jacques Lacarrière. Plon 1975)