Harmonie, alphabet et solfège, une grammaire musicale, nombres, lettres et syllabes illustrent le rapport de l'âme au savoir. La « dunamis », la puissance propre à la dialectique, se déroule « comme dans un rêve ».
(Musiques et danses dans l'Antiquité. Marie-Hélène Delavaud-Roux. Presses Universitaires de Rennes)


… les Khantys ne peuvent concevoir qu'une relation en termes de réciprocité et de mesure, conscients que l'univers agonistique du Nord se crée chaque jour, chaque minute, chaque seconde.
(Le chagrin de l'ours. Dominique Samson Normand de Chambourg. Indiens de tous pays 2010)


… les Indiens ont le goût des lointains, des durées et des distances immenses ; ils aiment aussi bien l'imprécision amplificatrice que la monstruosité grandiose (…). Les Indiens vivent dans le monde des idées, dans la contemplation, conscients de l'infériorité et des périls de l'acte, de l'appétit, de l'existence même. Les Romains (…) sont toujours en éveil sur l'évolution de la vie, pour la freiner sans doute, mais aussi pour la légitimer et lui donner une forme acceptable (…). L'Inde n'a de regard que pour l'immuable ; le changement est pour elle, suivant les matières, illusion, imperfection ou sacrilège ; les maximes qui règlent les rapports humains sont donc inchangeables (…) toutes les réflexions des Romains, tous leurs efforts (…) ont une pointe tournée vers la politique, vers les procédures (…) Pour les Indiens (…) tout homme a d'abord affaire soit aux dieux, soit aux grandes notions qui valent des dieux ; l'ordre social n'étant pas absolu ( …) tout ce qui le concerne n'est qu'une science seconde, déduite de vérités supérieures.
(Mythes et dieux des Indo-Européens. Georges Dumézil. Flammarion)


(…) le cosmos est formé de deux types de matière : l'une subtile, imperceptible ou presque, à l'être humain dans des conditions normales et l'autre pesante qui peut être perçue normalement par les sens de l'homme. (…) Les êtres terrestres (…) sont une combinaison des deux matières : à leur composition lourde, dure, perceptible, ils ajoutent une intériorité, une « âme », de matière subtile semblable à celle des dieux…
Tous les êtres, divins ou terrestres, doivent leur constitution à une déesse originelle, aquatique, chaotique, monstrueuse. Sa nature initiale a été conservée dans la partie inférieure du cosmos, la partie supérieure ayant pour sa part acquis des caractéristiques masculines.
Les dieux du haut et du bas étaient des fragments du corps divisé de la déesse, et leur union était une violation de la séparation originelle.
(…) de l'union des dieux du ciel et de l'inframonde naquit le cours du temps.
Les Tzotzil distinguent deux âmes dans le corps humains. La première, le ch'utel, est transcendante, tandis que la seconde, le wayjel, associe l'extériorité de l'individu à un animal et elle est indispensable à sa vie sur terre.
Les Otomi distinguent (…) deux âmes : la première est la force vitale et la seconde est appelée « souffle-âme » ou « ombre ». C'est cette « ombre » que l'homme partage avec un alter ego animal, par un lien issu de la moitié inférieure de son corps.
(Les paradis de brume. Alfredo Lopez-Austin. Maisonneuve et Larose 1997)


Quand [le fou] arrive, en fait, il s'en va.
(De mémoire indienne. Lame Deer et Jean-Jacques Roudière. 2009)


"Dieu n'est jamais totalement présent dans ce que nous avons de meilleur, mais il n'est jamais totalement absent dans ce que nous avons de pire." (Gustave Thibon)
(Le symbolique, le Sacré et l’Homme. Henri de Lumley. CNRS Editions 2019)


Dans le miroir, je fais face à une étrange chimère: adulte-enfant, et homme-femme, heureux-malheureux dans sa seule certitude: sa solitude.
(Solénoïde. Mircea Cartarescu. Noir sur Blanc 2019)


Le temple du mont Tlaloc peut donc être considéré comme une matrice terrestre au sommet de la montagne, où des rochers présentant des emblèmes de Tlaloc étaient fertilisés par du sang humain et de la nourriture apportés par les souverains-prêtres. A cet endroit de rencontre de l’extérieur et de l’intérieur, du monde souterrain avec le ciel, les Aztèques recyclaient l’énergie entre l’ordre social et l’ordre naturel.
(Pratiques religieuses et divinatoires des Aztèques. Jacqueline de Durand Forest. Les Belles Lettres 2020)


« … le geste devenu pour nous insignifiant d’enflammer un combustible en approchant une allumette perpétue, jusqu’au coeur de notre civilisation mécanique, une expérience qui, pour l’humanité entière jadis et de nos jours encore pour d’ultimes témoins, fut ou reste investi d’une gravité majeure, puisqu’en ce geste s’arbitrent symboliquement les oppositions les plus lourdes de sens qu’il soit donné à l’homme de concevoir, entre le ciel et la terre dans l’ordre physique, entre l’homme et la femme dans l’ordre naturel, entre les alliés par mariage dans l’ordre de la société. » (Lévi-Strauss 1971)
(Cosmogonies. Julien d’Huy. La Découverte 2020)


… les dieux sont les facultés, les fonctions naturelles lumineuses, et les démons nos fonctions naturelles obscures et dominatrices...
… comprendre (…) « dieux et démons », comme les fonctions de nos organes des sens et du mental, ouvre d’emblée une relation entre le plan cosmique et individuel.
Aucune mise en mouvement ne se fait sans structure.
... quand il semble exister une dualité, l'un sent l'autre, l'un voit l'autre, l'un entend l'autre, l'un salue l'autre, l'un pense l'autre, l'un perçoit l'autre. (...) les sens deviennent le lieu de résorption des objets. Cela correspond au moment du retrait dans l'espace intérieur, soit l'état de l'homme "endormi".
(Les Upanisad. Alyette Degrâces. Fayard 2014)


"seuls certains êtres particuliers, comme l'ours chez les Inuit, peuvent se déplacer avec une relative facilité dans l'interface entre l'homme et l'animal." (Tom Ingold)
(La caverne originelle. Jean-Loïc le Quellec. La Découverte 2022)


La solution à ces mystères (...) pourrait se cacher dans cet abîme insondable. En s'inspirant du titre d'une œuvre célèbre de William Blake, on pourrait dire que sur cette frontière inexplorée du cosmos se célèbre le Mariage du Ciel et de l'Enfer.
(Entre deux infinis. Gianfranco Bertone. Quanto 2023)


... l'inceste souligne la distinction entre nature et culture et représente un moment imaginaire de transition, apparu à l'émergence de normes sociales bannissant l'inceste. (...) la dimension mythique établit une relation entre actions humaines et forces cosmiques.
Il ne donne rien à son fils Oengus (le Mac Oc ou "le fils jeune"), qui est pourtant à la recherche d'un logis, lui accordant seulement un jour et une nuit dans le "brug". Or Oengus en prend possession, déclarant que "le monde entier est jour et nuit, et c'est ce qui m'a été accordé".
(L'archéologie et la mythologie celtique. John Waddell. Sidestone 2022)


Les anciens reconnaissaient donc deux principes vitaux complémentaires, le semen à la source des eaux et le sang à la source des chairs.
(Les graines de l'au-delà. Nissim Amzallag. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2023)


Il n'y a pas chez les Achuar un monde des idéalités pures séparé d'un monde des épiphénomènes, mais deux niveaux distincts de réalité instaurés par des modes distincts d'expression. (...) Il ne s'agit pas d'une philosophie existentielle qui fonderait le moi et l'autrui par l'intersubjectivité réalisée dans le langage, mais bien d'une façon d'ordonner le cosmos à travers la spécification des modes de communication que l'homme peut établir avec chacune de ces composantes. L'univers perceptible est donc conçu par les Achuar comme un continuum à plusieurs facettes, tour à tour transparentes ou opaques, éloquentes ou muettes, selon les voies choisies pour les appréhender. Nature et surnature, société humaine et société animale, enveloppe matérielle et vie de l'esprit sont conceptuellement sur un même plan, mais méthodologiquement séparées par les conditions respectives qui gouvernent leur accès.
... il n'y a pas, à proprement parler, de valorisation ou de dévalorisation différenciées au sein des diverses activités de production, selon qu'elles soient effectuées par les hommes ou par les femmes. (...) il est difficile de concevoir un bon chasseur marié à une mauvaise cultivatrice et inversement. Leur complémentarité se manifeste tout autant dans une sorte d'émulation réciproque (...) que dans la nécessaire combinaison de leurs compétences pour certaines tâches.
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)


A la nuit tombée,, les feux irradient l'intérieur des édifices, et lorsque la vapeur envahit l'habitation, une fois l'eau versée sur des pierres brûlantes, chacun se fustige à l'aide de branchages, au milieu des éclats de rire et des jeux espiègles. (...) une relation amoureuse intime entre l'homme, le "temascal", l'eau et le feu, permettant d'accéder à ce qu'une métaphore de tous les plaisirs du corps dénomme la "découverte de la lumière".
Coincés entre différents flux d'énergie antagonistes, et qui sont la condition première de la résurgence de la vie comme de sa destruction, les chamanes portent tant bien que mal toute la charge émotive et agressive de la communauté. Plus encore, l'ambiguïté du phénomène chamanique est à rapporter à ce va-et-vient continu du "badi" entre la norme et sa subversion, le public et l'occulte, le diurne et le nocturne; d'un côté le chamane est porteur d'un savoir ésotérique utile à la société sur le plan pédagogique et thérapeutique, de l'autre, il est aussi celui qui connaît l'origine du mal et peut en devenir le truchement, ne serait-ce que par prétérition.
(La moitié du monde. Jacques Galinier. PUF 1997)


Ils pensaient naïvement que le feu et l'eau étaient frère et sœur et ils avaient le même respect superstitieux pour l'un et pour l'autre.
(Les Mystères de Mithra. Franz Cumont. WW 2023)


Les propriétés de la "crise du solstice" - l'évidence des contraires, des dualités hiver-printemps, jour-nuit, abondance-terre nue, mort-vivant - apparaissent ainsi liées à l'idée de régénération perpétuelle.
(Solstice païen. Loude, Lièvre, Nègre. Editions Findakly 2007)


Si donc le sacrifice est une série d'identifications (du sacrifiant avec la victime, de l'individu mortel avec le Purusa primordial, du terrain du sacrifice avec le cosmos, de l'autel de briques avec le temps structuré en année), il est aussi un enchaînement de dualités: séquences de deux phases, projections de substituts.
(Le jumeau solaire. Charles Malamoud. Seuil 2002)


Car ici-bas il n'y a que mangeurs et mangés.
(Mythes et légendes extrait des Brâhmanas. Jean Varenne. Gallimard 1967)


Le ciel et la terre sont le père et la mère de tous les êtres. Par leur union, ils forment le corps ; par leur séparation, on retourne à l’origine. Ainsi, qui garde l’intégrité de son corps et de son âme sait s’adapter à toute circonstance changeante.
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)


… Kösa et Keçal vont toujours en couple et sont complémentaires : le premier est plutôt rusé l’autre un peu stupide : ils chantent, ils dansent et font des blagues. (…) Keçal porte sur la tête une calotte blanche qui le fait paraître chauve, alors que ses cheveux tombent tout autour. Il maquille son visage en se féminisant : il allonge avec du noir ses sourcils, se met du rouge aux lèvres et aux pommettes.
… la conjonction entre la semence masculine (…) et la terre engendre une plante qui, après plusieurs dizaines d’années, se scinde en des jumeaux siamois, un garçon et une fille, dont le mariage incestueux permet de recréer le monde.
(Le matin des dieux. Salvatore D’Onofrio. Editions Mimésis 2018)


La maladie et son traitement se rejoignent à la charnière des mondes naturel et culturel. La ruse et l’erreur permettent donc qu’une maladie passe du monde des animaux à celui des hommes à travers une double articulation : d’une part l’araignée, qui peut vivre près ou loin des hommes et qui tisse comme eux ; d’autre part la femme, qui a pénétré en territoire animal. C’est là qu’a lieu la première rencontre, tandis que la deuxième se déroule au village, territoire des hommes. Chaque fois, le malentendu se produit durant la communication entre les deux territoires.
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)


Toute société humaine présente (…) une lutte entre deux principes ; celui d’hétérogénéité (que manifestent les différenciations sociales et les antagonismes liés à ces dernières) et celui d’homogénéité (que révèlent les facteurs d’unité, qu’il s’agisse de croyances et de comportements ou d’intérêts communs). Toute société, à son échelle propre, est viable si le second de ces principes l’emporte sur le premier ou l’équilibre.
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)


… le simple effondrement de la présence (…), le déchaînement de pulsions incontrôlées ne représentent qu’un des deux pôles du drame magique : l’autre pôle est le rétablissement de la présence qui veut être au monde. Du fait de cette résistance et de cette volonté d’être présent au monde, l’effondrement est un risque que l’on apprend à reconnaître comme angoisse spécifique, qui ouvre à la nécessité de réaffirmer son être là comme présence au monde, à travers la création de formes culturelles définies. Quand la présence s’effondre sans compensation, le monde magique n’existe pas encore ; pour une présence rétablie et consolidée qui n’est plus confrontée au problème de la labilité, le monde magique a déjà disparu. C’est dans le rapport concret entre ces deux moments opposés, et le conflit qui en découle, que le monde magique se met en branle et se développe, qu’il se déploie dans la variété de ses formes culturelles, qu’il voit le jour dans l’histoire de l’humanité.
… la présence d’une trame de motifs et de représentations traditionnels, de rites et de pratiques (…) aident à interpréter (…) et, peut-on dire, à lire dans le chaos menaçant un univers de formes culturellement signifiantes : tout cela arrête effectivement la dissolution [de la présence au monde], possède une réelle efficacité salvatrice. L’être-là sort du conflit « un en plusieurs », ou « plusieurs en un », mais tel que l’un ne se perde plus dans les plusieurs, et que plusieurs obéissent à l’un.
L’équilibre atteint à grand-peine reste, certes, toujours instable : né d’un déséquilibre angoissant, il risque à tout moment de retomber dans le chaos. Mais cette tension angoissante et ce combat délibéré, qui connaît l’âpreté du risque, témoignent justement d’un être au monde qui se rachète, d’une psyché qui s’ouvre à l’exigence d’instaurer son horizon propre.
… tant le concept moral que le concept physique de force présupposent un régime garanti et sans risque de la présence à soi, par opposition au monde, alors que, dans l’ordre magique, cette opposition ne constitue pas un présupposé, mais demeure encore un problème.
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)


… le milieu liquide primordial est caractérisé par sa dualité (…) akhet est la frontière entre le monde primordial de l’Unique et le monde de la multiplicité, le lieu où naît la multiplicité. (…) Cette zone liminale entoure en quelque sorte le monde des vivants : l’au-delà, l’obscurité, le désert, les eaux appartiennent au Chaos. Ces éléments du monde inorganisé avant la création, sont d’un certain point de vue hostiles au monde créé, tout en étant indispensables à la vie de chacun.
La tradition égyptienne ne connaît pas de démiurge antérieur à l’eau initiale, qui est aussi une réserve vitale où tout est contenu en puissance. Le soleil est issu de cette eau originelle, il peut alors être désigné comme étant « la flamme issue de l’eau », expression encore attestée dans les papyrus grecs.
L’horizon (akhet) dénote vraisemblablement le moment de rupture où le point bascule, « où l’unité primordiale se transforme en multiplicité (…) de même que la réalité considérée du point de vue de l’unité, Atoum, contient sa propre masculinité aussi bien que sa propre féminité, l’énergie vue sous l’angle de l’unité, à savoir akh, comporte aussi son aspect féminin. » (G. Englund)
« … c’est le verbe de la déesse, tout autant que ses flèches, éléments tangibles de son intervention sur terre, qui apportent aux humains leurs maux. » (S. Sauneron) (…) « Methyer prononça sept propos pour amener la création à l’existence. Ces émanations verbales s’incarnèrent pour devenir les prototypes des dieux du temps, de l’écriture et de la construction des temples. (…) Or, dans le même temps, certains textes assez importants en nombre vont [les] montrer hors de leur rôle bénéfique. (…) Ils deviennent alors des génies destructeurs agissant en groupe, mais totalement autonomes. » (J.-C. Goyon)
« Le Non-Etre qui a pris corps dans les catégories de profondeur aqueuse et des ténèbres n’est pas éliminé par la création mais s’étend au-dessous de chaque endroit et est ainsi omniprésent dans l’univers de la création. L’Être et le Non-Etre subsistent côte à côte et dépendent l’un de l’autre ; les deux font partie du monde existant et en les additionnant on obtient la totalité du pensable » (E. Hornung).
« … les deux grands principes djet et neheh de la pensée égyptienne sont attribués à Atoum, djet dans sa préexistence et sa potentialité avant la dualisation, et neheh dans la création, le monde dualisé, quand Shou et Tefnout ont engendré les dieux » (G. Englund)
(Le papyrus des sept propos de Mehet Ouret. Yvan Koening. Institut français d’archéologie orientale 2024)


Les essences de l’angoisse et de la joie sont ainsi identiques : elles sont l’expression ou l’incandescence qui résultent de la perception manifeste de l’incroyable.
(Louons maintenant les grands hommes. Agee/Evans. Plon 2017)


… le corps chrétien, corps-chair, corps déchu, marqué par le péché, (…) le corps physique, purement corps parce que séparé de l’âme, opposé à elle comme la matière et l’esprit, réduit à sa figure naturelle visible, son anatomie, sa machinerie physiologique.
Comme dans le panthéon grec les dieux du Bénin vont souvent par deux. (…) Ces deux divinités sont toujours associées en sorte que (…) Maupoil peut se demander s’il s’agit d’un couple divin ou d’une divinité hermaphrodite.
Les eaux du Nil, la crue, la fécondité qu’elles représentent et dont dépend la prospérité économique du pays, sont figurées par des androgynes. (…) Les processions de génies économiques qui se déroulent sur les soubassements des temples, alternent les personnages féminins et masculins pour rappeler, là aussi, cette permanente dualité.
Soudaines et imprévisibles, totales et éphémères, les irruptions épisodiques de Dionysos viennent marquer l’ordre social d’un nécessaire contrepoids : celui du dérèglement, et de la libération de forces contraires à cet ordre.
Ni vierges ni mères, ni femmes ni hommes, les Vestales tombent entre les diverses catégories de la sexualité, et c’est ce statut interstitiel qui les marque comme autres, comme sacrées.
Le kappa (…), émanant des croyances en une double divinité mère-fils, est vénéré par endroits dans de petits sanctuaires ; il revêt deux aspects : d’un côté, on le craint comme porteur de malheur et de catastrophes, d’un autre côté il est censé protéger contre les calamités causées par l’eau. En ce double caractère il rejoint l’image de bien d’autres kami de la nature (…) qui constituent primitivement des forces dangereuses et redoutées (…), avant de devenir protecteur contre les calamités qu’ils étaient censés apporter.
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)


On sent que ce bonheur, cette joie de vivre si manifestes sur les personnages des fresques sont faits de maîtrise et de coexistence dominée entre le monde souterrain et celui du soleil. C’est en Crête que cohabitaient les deux êtres les plus opposés par leurs symboles et leurs fonctions : le Minotaure et Icare, le monstre chthonien et l’homme ailé, le cauchemar de l’homme-taureau et le rêve de l’homme-oiseau.
L’étrange, en définitive, est que cette intrusion constante de l’irrationnel (…) dans le temps et l’Histoire ait toujours su se concilier avec le besoin et la nécessité du rationnel. En chaque Grec, ces deux mondes n’ont cessé de coexister sans que jamais il se sente ni déchiré ni écrasé par l’un des deux puisque, derrière l’arbitraire et l’énigme du monde, il inventa les signes qui leur donnèrent un sens.
« Apollon (…) tua le dragon infernal. Python. Il le laissa pourrir. De ce pourrissement germa la force du dieu de l’harmonie, de la lumière, de la divination. » (Séféris) (…) la purification naît de la putrification.
(L’été grec. Jacques Lacarrière. Plon 1975)


Dans les traditions populaires japonaises, l’image des montagnes se compose de concepts, parfois contradictoires, d’une très grande complexité. (…) Un poème tiré d’un texte récent renvoie [les démons de ] la maladie dans « les montagnes à l’extérieur » [du village] qualifiant ainsi le village de zone protégée. (…) Nous trouvons cette même opposition entre les montagnes conçues comme un monde hostile, doublée de la charge magique reconnue aux orchidées, dans quelques poèmes évoquant un « village aux orchidées » qui protégerait contre les épidémies comme aussi contre la possession par un renard. Les montagnes constituent aussi une frontière par rapport au monde impur, une zone charnière, zone de contact avec les divinités, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.
… un poème du Kanginshû fait une claire distinction entre montagnes profondes et ce bas monde, comme le montre la plainte touchante d’une femme, amoureuse sans doute, qui voudrait avoir deux corps...
… à l’époque ancienne les divinités se montraient pour le moins peu soucieuses ou irritées d’une présumée impureté attachée aux règles (…). L’étang du sang désigne un endroit dans les enfers où sont punies les avorteuses, mais où tombent aussi les femmes mortes en couches. C’est donc un endroit impur que nuit après nuit, la lune [= métaphore homophonique pour le sang menstruel de la femme] rejoint, sans jamais y perdre de sa pureté.
(La sieste sous l’aile du cormoran. H.O. Rotermund. L’harmattan 1998)