CRETINISME ET DECIVILISATION


J'avais lu un traité conclu entre le Gouvernement et les Sioux, en 1868 (…) et j'appris qu'il n'avait aucun droit de bâtir des forts sur le territoire des réserves. Mais aussitôt qu'un représentant des Blancs arrivait dans une agence, la construction d'un fort était la première chose jugée nécessaire. S'ils pensaient que les Indiens étaient assez sauvages à cette époque pour qu'il fallût construire des forts, il me semble que de nos jours les Etats-Unis devraient se hâter d'en avoir dans tout le pays, car la race blanche devient passablement sauvage.
(Souvenirs d'un chef sioux. Ours debout. Payot 1931)


Un ethnologue (…) rapporte qu'à chacune de ses séparations d'avec les Indiens, ceux-ci éclataient en sanglots. Ils se lamentaient, non pas de chagrin de le voir partir, mais de pitié à l'idée que leur ami allait quitter le seul endroit au monde où la vie valait la peine d'être vécue. Et quand on connaît ces petits villages misérables, réduits à quelques huttes de paille perdues dans une brousse désertique, où une poignée d'indigènes s'éteint dans des territoires déshérités où les a refoulés la progression de la civilisation, au milieu des épidémies que la civilisation leur a données en échange, et quand on constate qu'ils peuvent, cependant, arriver à concevoir cette immense misère comme la seule expérience digne et valable, on se demande si le point de vue des « sociétés closes » ne permet pas d'accéder à une richesse spirituelle et à une densité de l'expérience sociale dont nous aurions tort de laisser se tarir la source et se perdre l'enseignement.
(La politique étrangère d'une société primitive. Claude Lévi-Strauss. Mai 1949)


… le refus névrotique de son propre monde de prendre [la mort] au moins en considération ? Comme des enfants (…) incapables d'imaginer ou d'accepter leur propre mort (…) Vous ne pouviez affronter les problèmes de guerre, de famine, de surpopulation, pour la bonne raison que vous étiez incapables de discuter de ces questions. Alors la guerre vous est tombée dessus. Elle s'est abattue comme un fléau naturel, comme si elle n'était pas d'essence naturelle, et elle est devenue une force irrésistible.
… une sorte de désistement stoïque, une non-participation au tourbillon sans but au sein duquel luttaient les hommes.
… nous sommes tous devenus des crétins superstitieux (…) Tout le monde s'efforce d'interpréter les signes et les augures (…) Nous dépendons tous du hasard et nous perdons le contrôle de la réalité parce que nous ne pouvons plus former de plans.
J'aimerais pouvoir démolir tout ça d'un seul grand coup. Mais c'est inutile. Ca s'écroule tout seul. Tout est creux, vide, métallique. Les jeux, les loteries – des jouets colorés pour enfants ! (…) Situations à vendre, cynisme, luxe et pauvreté, indifférence… et les hurlements de la télé qui couvrent tout.
L'article, à la une, était orné d'une photo d'un médecin souriant, gras à souhait, chauve, en blouse blanche, et semblant sortir en droite ligne d'une publicité de dentifrice… il n'y avait pas de rubrique d'actualités dans le journal. Le reste était exclusivement consacré aux femmes. Mode, mondanités, mariages et fiançailles, activités culturelles, jeux.
(La porte obscure. Philip K Dick. Omnibus 1994)


La montagne de Culhuacan permet à qui la gravit de choisir l'âge qu'il veut avoir (…). Celui qui atteint le sommet redescend de la montagne transformé en enfant.
(Les paradis de brume. Alfredo Lopez-Austin. Maisonneuve et Larose 1997)


Ils étaient tous abîmés – mentalement, physiquement et émotionnellement. Mais les autres familles de sa connaissance n'étaient pas mieux loties : autisme, lupus, schizophrénie, arthrite, alcoolisme, trop de secrets, de mots non prononcés, de mauvais choix, de problèmes d'argent… la liste était infinie. Personne n'y échappait.
(Toutes les familles sont psychotiques. Douglas Coupland. 10/18 2001)


… toute la ville se transforme en grand hôtel dont on finit toujours par devenir l'objet perdu, oublié, l'offrande au Dieu Secret de Tous les Hôtels, et on répète, on accroche à la poignée de sa porte, du côté extérieur, jusqu'à la fin des temps ou du voyage, peu importe, la même prière que j'ai rêvée pour ma réincarnation : PLEASE DO NOT DISTURB. Et, en bas, en caractères plus petits : I'm having a Heart Attack.
(Mantra. Rodrigo Fresan. Passage du Nord-Ouest 2006)


Notre génération d'adultes s'est rabaissée au rang de serviteurs et de secrétaires de leurs enfants.
(Le bonhomme de neige. Jo Nesbo Folio 2007)


… les affrontements entre séculiers et religieux sont violents. Prêtres séculiers et religieux mènent des opérations punitives accompagnées de destructions de bâtiments d'église, de couvents ou d'objets de culte. Les ministres de la foi donnent aux Indiens qu'ils sont censés encadrer un visage assez pitoyable et bien loin des attentions chrétiennes !
Le vice-roi Antonio de Mendoza met en garde son successeur (…) : « Les séculiers qui viennent ici sont de mauvais prêtres ; tous ne cherchent que leur intérêt (…) les Indiens seraient bien mieux sans eux."
Une fois en Nouvelle-Espagne, le clerc est gardé qu'il soit bon ou mauvais. Un mauvais clerc vaut peut-être mieux finalement que pas de clerc du tout.
Les religieux s'insèrent dans le jeu politique indien pour défendre leurs intérêts et régler leurs différents en profitant des querelles parfois anciennes entre les villages et les peuples indigènes.
(L'évangélisation des Indiens du Mexique. Eric Roulet. Presses Universitaires de Rennes 2008)


… comme s'il était tombé sur ces lieux une bombe atomique sans que personne s'en rende compte, à part les sinistrés (…), mais les sinistrés ne comptent pas parce qu'ils sont devenus fous ou sont morts, même s'ils marchent et nous regardent, des yeux et des regards directement sortis d'un western, du côté des Indiens ou des méchants ça va sans dire, c'est-à-dire des regards de déments, des regards de gens qui vivent dans une autre dimension, dont les regards ne nous atteignent nécessairement plus, nous les percevons mais ils ne nous touchent pas, ils n'adhèrent pas à notre peau, ils nous traversent…
(2666. Roberto Bolano. Folio 2008)


L'Europe est un artifice, le continent artificiel. Tout est cultivé en serre et a perdu sa substance. (…) Un continent mort, embaumé (…). Ce qu'on appelle culture est un embaumement…
(Crémation. Rafael Chirbes. Rivages 2009)


Finis les contes de fées sur les prétendus découvreurs-conquérants héroïques, terrassant par l'épée et la croix la faiblesse de ceux que l'on « civilisait ». Au lieu des trois caravelles, un ordinateur à haut débit. Au lieu d'un Hernan Cortès, des marionnettes réagissant à l'unisson faites gouvernement dans chaque recoin de la planète. Au lieu d'épées et de croix, une machine de destruction massive et une culture qui a en commun avec le « fast food » non seulement son omniprésence (…) mais aussi son caractère indigeste et son pouvoir nutritif nul.
(Saisons de la digne rage. Sous commandant Marcos. Climats 2009)


Pour l'homme blanc, chaque brin d'herbe, chaque source d'eau, porte une étiquette avec un prix ! (…) Et la vie a disparu de la prairie. C'en est fini des chiens de prairie et des blaireaux, des renards et des coyotes. Les grands rapaces aussi se nourrissaient de chiens de prairie. Ainsi, aujourd'hui, il est rare de voir un aigle. L'aigle à tête blanche est votre symbole. Il figure sur votre monnaie, mais c'est elle qui le tue. Quand un peuple commence à tuer ses propres symboles, il n'est pas sur le bon sentier… (…) vous avez pris le gras de la terre. Mais cela ne semble pas vous réussir. En ce moment, vous n'avez pas l'air en très bonne santé, bien enrobés certes, mais pas sains. Les Américains sont élevés comme des oies de gavage, pour être de bons consommateurs, mais pas comme des êtres humains.
Les Américains veulent que tout soit désinfecté. Pas d'odeurs ! (…) Bientôt vous produirez une race d'hommes sans orifices ! Les Blancs, je pense, ont tellement peur du monde qu'ils engendrent, qu'ils en perdent leurs sens…
(De mémoire indienne. Lame Deer et Jean-Jacques Roudière. 2009)


Dans un système politique menteur, le mieux que le citoyen puisse faire pour se protéger, c'est mentir.
(L'écrivain et l'autre. Carlos Liscano. Belfond 2010)


… pendant que vous dissertez sur l'usage de la chaise à porteurs, vous n'intriguez pas contre le pouvoir. Cette débauche d'inutilité avait eu raison des rébellions : de la frivolité comme arme de répression… Ainsi le roi avait gagné la paix du royaume : un tel régime pouvait mater bien des révoltes.
(Le jardinier de Versailles. Alain Baraton. Le livre de poche 2006)


Avez-vous remarqué à quel point, de nos jours, personne n'a d'opinion personnelle ? Les gens parlent trop et n'écoutent jamais et ils parlent, ils parlent pour ne rien dire.
(Rupture. Simon Lelic. Editions du masque 2010)


… et nous crèverons tous de nos certitudes, et nous crèverons tous de nos superbes spéculations avant de découvrir que tout ne repose que sur posture et imposture, pose et leurre, le déni permanent de la mémoire, dynastie des arnaques, règne des escrocs, le roi rit près des nations de Panurge. (…) Castrez ce Nègre que je ne saurais être pour engraisser le monde…
(Les cauchemars du gecko. Raharimanana. Vents d'ailleurs 2011)


… les textes de loi ne sont dans ce pays que façades. (…) il n'y a pas de politique à proprement parler, (…) les décisions politiques des Etats-Unis sont dictées avant tout par des coalitions de très puissants intérêts. (…) Idée et Sentiment cèdent toujours le pas au Dollar. (…) les journaux (…) ne sont que des supports de publicité. (…) articles et nouvelles ne sont que des prétextes pour faire absorber aux lecteurs les éloges tarifés de telle machine agricole ou de telle crème de beauté. (…) il n'y a ni idées, ni lutte d'idées…
Les Etats-Unis, comme l'Allemagne de 1914, sont pris dans un engrenage. D'un côté, accaparement des matières premières de l'univers, recherche de nouveaux débouchés, accroissement des placements bancaires ; d'un autre : conscience obscure d'être un corps poussé trop vite, jeune par l'âge, vieux par ses possibilités d'avenir, par avance épuisées. L'impérialisme économique des Etats-Unis et leur politique vis-à-vis de l'Europe sont les signes révélateurs de cet état de choses morbide.
La civilisation européenne, d'origine méditerranéenne, subsistera-t-elle, ou périra-t-elle sous les coups de l'américanisme envahissant ?
La politique, souci des intérêts de la cité, est-elle en mesure et en état de la défendre (…) ?
Elle est certainement en mesure de le faire. Elle ne sera en état de l'accomplir (…) que si elle s'élève au-dessus de l'étroitesse de coeur et de l'indigence d'esprit des fanatiques de la petite patrie ou de la petite religion.
Le vrai danger qui menace la civilisation, non pas occidentale, mais méditerranéenne, vient non pas de l'Orient, mais de l'Occident extrême.
(L'abomination américaine. Kami-Cohen. Flammarion 1930)


Des enfants difficiles, voilà ce que nous sommes.
Le paradis terrestre de la Bible ne nous suffirait pas. (…)
Le cinéma contribue à pervertir nos ambitions supra-célestes.
(…) Il nous faut des miracles inédits, un merveilleux au goût du jour.
Adam s'en prend à Dieu, Eve à son homme, le Créateur à son compère… Mais le Serpent lui-même a jeté la pomme au fumier : « Elle est trop mûre », dit-il…
(Aveux non avenus. Claude Cahun. Mille et une nuits 2011)


Et qu'en est-il de ces messieurs et de ces gringos (…) ? Qu'y a-t-il de spirituel en eux ?
(El sexto. José Maria Arguedas. Métailié 2011)


Toutes les institutions qui servent à transformer les pulsions en désirs (famille, école, etc.) sont court-circuitées et font apparaître une société pulsionnelle et addictive (…). Si notre désir est canalisé vers les marchandises, il régresse inévitablement vers la pulsion, vers la satisfaction immédiate qu'exige l'enfant mal éduqué - et nous vivons dans une société massivement infantilisée.
(Bernard Stiegler. La recherche mai 2011)


… devant ce prodigieux ressort de subversion qu'est une pensée inquiète, l'ordre établi n'a-t-il pas des réactions de défense, d'hostilité – qui amènent par contrecoup l'esprit à consacrer une partie (…) de ses dons à ruser, à tromper, à intriguer, et aussi quand la sensibilité s'en mêle et s'aigrit, à persifler, à nuire, à haïr ?
… aucun [dieu scandinave] n'y incarne plus de façon pure, exemplaire, ces valeurs absolues qu'une société, fût-ce hypocritement, a besoin d'abriter sous un haut patronage ; aucune divinité n'y est plus le refuge de l'idéal, sinon de l'espérance. (…) Cet abaissement du « plafond » souverain condamnait le monde, et le monde entier, dieux et hommes, à n'être que ce qu'il est, puisque la médiocrité n'y résulte plus d'accidentelles imperfections, mais de limites essentielles.
(Mythes et dieux des Indo-Européens. Georges Dumézil. Flammarion)


Les capacités humaines d'attention, de compréhension et d'implication émotionnelle sont sollicitées à un rythme et avec une intensité qui menacent de les mener à l'épuisement.
(Twitter jusqu'au vertige. Mona Chollet. Le monde diplomatique octobre 2011)


… et nous en sommes actuellement (…) à un malaise collectif considérable.
« Nous contenons l'esquisse de beaucoup de personnes en nous (…) Les circonstances produisent de nous une figure : si les circonstances changent beaucoup, on trouve en soi deux ou trois autres figures. A tout moment de notre vie il y a encore beaucoup de possibilités : le hasard est toujours de la partie ! » (F Nietzsche)
Nous vivons dans une période de décadence, c'est-à-dire dans une période où la question du sens se pose.
(Il y a des dieux. Frédérique Ildefonse. PUF 2012)


Aujourd'hui, n'importe quel abruti sorti de l'école sans diplôme avait des droits royaux et un train de vie princier. (…) Tout avait commencé par l'invention de la hache, puis celle de la roue, suivie par la production d'automobiles en série, pour en arriver à cet univers où il y avait une console de jeux dans chaque pièce. Du pain prétranché dans les cuisines. Des casques sur les têtes et des radars de recul dans les voitures.
Que peut-on exiger de quelqu'un qui naît dans un tel monde ? Rien, parce qu'on y naît en tant que client et qu'on n'exige rien d'un client, car le client est roi. La pâte molle sait parfaitement dans quel moule elle veut se couler. Elle veut être une célébrité, un joueur de poker ou un multimillionnaire. Sans avoir la moindre idée de la manière d'y arriver. La pâte molle se promène jusqu'à sa mort en baskets à scratchs parce qu'il n'a jamais appris à nouer ses lacets.
(Les tribulations d'un lapin en Laponie. Tuomas Kyrö. Denoël)


On dirait la grise litanie d'un chœur de moines (…) litanie de terre, de sueur, de poussière, litanie de la nuit cherchant le jour, depuis que la terre est terre, infinissable (…) Je sens autour de moi, présent, presque palpable, tout ce qui s'est retiré de notre monde blanc, depuis que les mots sont devenus des sachets vides, depuis que nous avons désincarné le verbe.
(L'expédition Orénoque Amazone. Alain Gheerbrant. Gallimard 1952)


Dans la ville, on n'entend jamais non plus très distinctement les paroles que l'on vous adresse ! Il faut se parler collés l'un à l'autre pour pouvoir se comprendre. Le vrombissement des machines et des moteurs fait obstacle à tous les autres sons ; le brouhaha des radios et des télévisions, à toutes les autres voix. C'est à cause de tout ce vacarme dans lequel ils se hâtent toute la journée que les Blancs sont toujours préoccupés. Leur coeur bat trop vite, leur pensée est prise d'étourdissements et leurs yeux sont toujours en alerte. Je pense que ce bruit continuel empêche leurs pensées de se joindre l'une à l'autre. Elles finissent par rester immobiles, éparpillées à leurs pieds, et c'est ainsi que l'on devient sot. (…) C'est pourquoi, dès que j'y reste longtemps, mon esprit se bouche et s'emplit peu à peu d'obscurité. Je deviens anxieux et je ne parviens plus à rêver car mon esprit ne trouve plus le calme.
J'imite parfois la langue des Blancs et je possède quelques unes de leurs marchandises. Pourtant, je n'ai aucun désir de devenir l'un d'entre eux. Dans leurs villes, il est impossible de connaître les choses du rêve. Ils y sont incapables de voir les images des esprits de la forêt et des ancêtres animaux. Ils ne fixent leurs regards que sur ce qui les entoure : les marchandises, la télévision et l'argent. (…) Leurs villes sont très vastes et ils vivent dans le désir d'une multitude de beaux objets, mais, dès qu'ils sont vieux ou affaiblis par la maladie, ils doivent soudain abandonner tout cela (…). Il ne reste plus alors qu'à mourir seuls et vides. Mais ils ne veulent jamais penser à cela, comme s'ils n'allaient pas disparaître, eux aussi ! (…) Ce sont là les pensées qui occupent mes nuits dans ces villes où je ne trouve jamais le sommeil.
Les Blancs ont déjà bien assez de métal pour fabriquer leurs marchandises et leurs machines ; de terres pour planter leur nourriture ; de tissus pour se couvrir ; de voitures et d'avions pour se déplacer. Pourtant, ils convoitent maintenant le métal de notre forêt pour en fabriquer encore plus (…). Les esprits du ciel hutukarari maintiennent [le souffle maléfique] encore à distance, loin de nous. Mais, plus tard, après ma mort et celle des autres chamans, son obscurité descendra peut-être jusque sur nos maisons et, alors, les enfants de nos enfants cesseront de voir le soleil.
Les xapiri s'efforcent de défendre les Blancs au même titre que nous. (…) Si (…) Omama, l'être du temps sec, s'installe chez eux à demeure, ils n'auront plus à boire que des filets d'eau sale et ils mourront de soif. C'est ce qui pourrait bien leur arriver ! Pourtant, les xapiri combattent avec bravoure pour nous défendre tous (…). Ils le font parce que les humains leur paraissent seuls et désemparés.
(La chute du ciel. Davi Kopenawa. Plon 2010)


… il se pourrait bien que les mots, et même pire encore les arguments (…) soient devenus trop lents pour la vitesse du monde de la modernité tardive. Les modèles capitalistes de distribution sont donc devenus plus ou moins inaccessibles ou imperméables aux revendications de justice: alors qu'il est extrêmement difficile d'évaluer les arguments pour ou contre certains modèles de distribution, ces modèles sont tout simplement construits et reconstruits à une vitesse désarmante par le flux des courants socio-économiques.
(Aliénation et accélération. Hartmut Rosa. La Découverte 2012)


… c'est dans les concepts biologiques que résident les derniers vestiges de transcendance dont dispose la pensée moderne.
(Nature, culture et société. Lévi-Strauss. Flammarion 2008)


Nous vivons dans une drôle d'époque. Nous pouvons aller où nous voulons (…). Et pour quoi faire ? Pour rester assis jour après jour, avec un moral qui décline, des espoirs qui s'effondrent. A sombrer dans un ennui sans fin.
… ils accentuent la tendance qui conduit à des aventures de plus en plus acrobatiques, à l'inconnu, à l'instabilité en général. Le cycle de l'enthousiasme délirant, puis de la peur, puis enfin des solutions les plus désespérées (…) tout aurait tendance à amener au pouvoir les candidats les plus inconscients et les plus fanatiques.
(Le Maître du Haut-Château. Philip K Dick. J'ai lu 1970)


(...) un homme qui avait passé sa vie dans le gouffre occidental entre la réalité et l'image qu'on s'en fait...
(Ne vends jamais les os de ton père. Brian Schofield. Albin Michel 2013)


Beaucoup de gens aux Etats-Unis ont acquis un tas de choses, mais ils demeurent miséreux en ce qui concerne leur connaissance et leur compréhension du reste du monde. Ils semblent être confortablement enclos entre les murs de leur ignorance soigneusement construite et sélective.
(Le Monde jusqu'à hier. Jared Diamond. Gallimard 2013)


… le drame de l'intelligence contemporaine qui, prétendant à l'universel, accumule les mutilations de l'homme.
Le monde du procès est un monde circulaire où la réussite et l'innocence s'authentifient l'une l'autre, où tous les miroirs réfléchissent la même mystification.
(L'homme révolté. Albert Camus. Folio 1951)


« On dirait que vont ensemble les vivants et les morts » (réflexion de Canaques découvrant la foule dans les rues de Sydney).
(L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs. Lucien Lévy-Bruhl. Dunod 2014)


(…) l'abandon de l'éducation au bénéfice de la séduction. Il ne faut pas oublier que c'est l'éducation, par la promotion de la frustration assumée en échange de l'amour qui s'en obtient, qui permet au petit enfant d'adhérer à la notion de don et de contre-don. Nos générations montantes sont incitées à fabriquer à tour de bras de futurs pervers dont on sait qu'ils n'ont d'autre objectif que leur seule satisfaction immédiate au détriment d'un lien social qui leur importe peu.
(La notion de limite n'a plus droit de cité. Aldo Naouri. La Décroissance novembre 2014)


Les fumées noires et les flammes rouges qui s'échappaient des cheminées brûlaient l'air, jour et nuit l'odeur du caoutchouc et la puanteur des égouts agressaient le nez. Mais ils s'y étaient habitués, que survienne une pluie purifiante et, tant de propreté, ils étaient malheureux, ils s'enrhumaient. Si bien que les hôpitaux étaient débordés, les malades aussi nombreux que les élèves d'une école. Et puisqu'ils avaient de plus en plus de problèmes de santé, il était logique qu'ils veuillent leur propre usine pharmaceutique, plus une autre, pour les flacons et les emballages.
(Les chroniques de Zhalie. Yan Lianke. Philippe Picquier 2015)


Pour poursuivre l'expansion, nous devons produire d'insatiables gloutons, qui pleurnichent dès que l'essence vient à manquer dans les pompes, qui ne supportent aucun manque, qui refusent la moindre frustration, qui cèdent à leurs pulsions. (…) remplissez le vide en chargeant votre chariot.
(Ascèse ou désir ? Anne O'neem. La Décroissance décembre 2015)


Le fait que les Comanches (…) dussent faire docilement la queue pour bénéficier de [la] bienveillance [de l'homme blanc] était déjà terrible en soi. Tels de petits-enfants impuissants, ils étaient désormais incapables de se nourrir ou de se vêtir seuls. (…) Le système était à la fois cruel et humiliant : les « taibos » leur avaient enlevé tout ce qui définissait leur existence et imposé des conditions sordides. Dès son arrivée, Le Peuple fut confronté à un gouffre béant de désespoir, de faim et de dépendance. Il n'y avait ni issue, ni retour possible.
(L'empire de la lune d'été. SC Gwynne. Albin Michel 2012)


Chaque fois qu'il allumait (…) une télévision (…), il avait la sensation de plonger dans un bain infantilisant d'immaturité, de goûter quelque chose d'écœurant et de poisseux comme de la barbe à papa.
(N'éteins pas la lumière. Bernard Minier. Pocket 2014)


… les parents élèvent mal leurs enfants pour les mêmes raisons de fond qu'ils ont été eux-mêmes mal élevés, c'est-à-dire façonnés à ne respecter que la force, à ne suivre que leurs désirs nombrilistes, à accepter sans se révolter une existence rabougrie faite d'occupations aliénantes et de divertissements avilissants, à ramper sous le knout de la finance, à ne vivre que pour le fric, la frime et la fesse, à élire et réélire des mafias politiques, à se prosterner devant les idoles médiatiques, à tolérer les inégalités et les injustices, bref, à tout abdiquer, même l'honneur et la dignité, et à vivre en tartuffes ou en schizophrènes ou, si l'on préfère, en petits-bourgeois.
(Homo vitiosus. Alain Accardo. La Décroissance avril 2015)


Le monde est aussi barbare que dans les temps les plus antiques (…), mais il ajoute à un sadisme de pus une dissimulation qui le rend plus ténébreux et sanieux.
(Lettres 1937-1943. Antonin Artaud. Gallimard 2016)


Rien ne leur est arrivé ; ils n'ont essuyé aucun désastre horrible, ni la guerre, ni la famine, ni la peste, ni une occupation étrangère. Même les transformations économiques des dernières décennies n'apportent qu'une très faible explication aux dysfonctionnements, à la négligence et à l'incompréhensible méchanceté de l'Amérique blanche pauvre…
(Kevin Williamson. National Review 28 mars 2016)


… ils avaient fabriqué un arc-en-ciel de verre éveillant des souvenirs de bonté et d'innocence enfantine, tout ça pour cacher la ruine qu'ils avaient amenée… 
(L'arc-en-ciel de verre. James Lee Burke. Payot et Rivages 2015)


Nous ne spéculons pas sur de l'argent qui n'existe pas ; nous ne vendons pas des produits inutiles à des gens qui croient en avoir besoin ; (…) nous sommes peut-être les derniers à savoir que le monde réel existe…
(N'éteins pas la lumière. Bernard Minier. Pocket 2014)


Dans L'abîme se repeuple, Jaime Semprun interrogeait : « Quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?, il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : A quels enfants allons-nous laisser le monde ? »
(Faut-il chasser les chasseurs de Pokémon ? Pierre Thiesset. La décroissance septembre 2016)


Une réponse vient sans doute de la part de la chanteuse Axelle Red : « Les filles de nos jours, les adolescentes, elles ne savent plus si on a le droit d'avoir un poil. Et moi je trouve, très sincèrement, que c'est le résultat d'une société pédophile. Quand on voit les signes de beauté qu'on a dans notre société, ce sont très souvent des signes d'enfance. »
(Le bar à sourcils. Raoul Anvélaut. La décroissance septembre 2016)


« Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie. » 
(Platon)


… nous avons besoin d'enracinement. S'inscrire dans une histoire partagée, une mémoire collective est indispensable. C'est cet enracinement dans une culture commune qui nous permet d'établir des relations avec les autres. (…) L'ancrage dans le temps est notre colonne vertébrale qui nous permet de nous déployer dans l'espace. (…) le déracinement dans le rapport au temps et à l'histoire participe à un décervellement généralisé.
(Sommes-nous dans le meilleur des mondes. Marie-Jo Bonnet. La décroissance novembre 2016)


L'amitié devient indispensable à l'ambiance ludique et cordiale, faussement intime et trompeusement bienveillante requise par un capitalisme infantile et une société du narcissisme terminal.
(Si chers amis. François Cusset. Le monde diplomatique décembre 2016)


… jamais l'humanité n'a été réduite (…) à un hédonisme de pacotille aussi désespéré…
(Guy Debord)


Et – comme des enfants – vous n'avalerez toute l'amertume que je vous destine que quand je l'aurai soigneusement enrobée d'un épais sirop romanesque…
(Nous. Evgueni Zamiatine. Actes Sud 2017)


On se vit dans l'aliénation du mythe de l'individu, nécessairement redevable uniquement à lui-même et capable d'évoluer dans un seul élément fondamental : celui de l'entreprise, de la personne se constituant elle-même comme entreprise (…) la curiosité que toute la planète a éprouvée pour un personnage notoirement insignifiant comme Emmanuel Macron, en dit long sur la prédominance de l'image sur la pensée aujourd'hui.
(Le macronisme ou le visage souriant des brutes. Alain Deneault. La décroissance septembre 2017)


Einstein aurait déclaré : « L'esprit intuitif est un don sacré et l'esprit rationnel est un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don. »
(L'inefficacité de la recherche est-elle programmée ? Jean Labarre. Nexus mai 2017)


… l'occident ne serait plus qu'une vaste fabrique de mannequins interchangeables. (…) Bref, le macronisme, ce n'est que cela : le reflet d'une époque sans principes et sans substance, quelque chose comme l'apogée de la médiocrité, l'acmé de la culture moyenne, celle d'une petite-bourgeoisie enfoncée dans son égoïsme incurable, son infantilisme prolongé et sa vanité risible…
(Marche funèbre. Alain Accardo. La décroissance septembre 2017)


… la fin logique du progrès mécanique est de réduire l'être humain à quelque chose qui ressemble à un cerveau dans un bocal. C'est le but vers lequel nous nous acheminons déjà (…), pas exactement, peut-être, le cerveau dans le bocal, mais en tout cas un degré de profondeur sous-humain effrayant dans la mollesse et l'absence d'énergie.
(Le quai de Wigan. George Orwell 1937)


A l'échelle [des Etats-Unis], l'épidémie d'overdoses a contribué à la baisse de l'espérance de vie en 2016, pour la deuxième année d'affilée. Avec près de 65000 décès en 2016, « soit davantage que la totalité des GI morts au Vietman », rappelle le docteur Evans, les dérivés de l'opium tuent davantage que les accidents de la route (…) ou que les armes à feu (…) La mort frappe l'Amérique des lotissements et des campagnes, celle qui possède un garage et parfois deux voitures. (…) La consommation d'héroïne a explosé dans toutes les catégories sociales, mais la plus forte augmentation (…) est relevée dans les foyers de la petite classe moyenne…
(Overdoses sur ordonnance. Maxime Robin. Le monde diplomatique février 2018)


Le fameux « trou » de la Sécurité sociale, chiffrant la somme de pathologies individuelles, pourrait alors figurer la panne de sens qui habite nos sociétés : le « trou noir » où l'angoisse d'exister cherche, à travers la pharmacopée, la Providence perdue.
(La civilisation moderne, une conspiration contre la vie intérieure ? Bernard Ginisty. La décroissance février 2018)


Cette course à la consommation, cette croissance, ça me fait penser aux poulets à qui on a coupé la tête et qui continuent de courir.
(La légende de l'économie. Denis Beyer. La décroissance avril 2018)


Comment défendre les « services publics » quand les entreprises concernées infligent à leurs personnels l'obligation de trahir leur vocation ?
(Refonder plutôt que réformer. Pierre Rimbert. Le monde diplomatique avril 2018)


Dans le domaine des maîtres (…), Rosa sera toujours une femme nubile, semblable à ses petites-filles…
Le monde devient désenchanté au sens où les fins ne sont plus censées se trouver dans le monde. Le monde perd littéralement son sens. Les fins sont déplacées vers le domaine humain ou spirituel, qui rapetisse toujours plus et se disjoint toujours davantage du monde ordinaire, à mesure que cette vision de la science étend son emprise sur un nombre grandissant de domaines.
(Comment pensent les forêts. Eduardo Kohn. Zones sensibles 2017)


Alors que le capitalisme croit accumuler des profits, qui ne sont qu'un jeu d'écriture, ce qu'il additionne concrètement, ce sont des montagnes de pneus et de sacs plastiques, ainsi que des poisons en masse. (…) Les objets s'accumulent sur nos étagères comme dans des déchetteries, attendant d'y être un jour définitivement envoyés. (…) La concurrence, à la base de notre économie de marché, se fonde sur la fabrication de perdants. Ainsi, aussi bien les déchets physiques que les déchets humains, loin d'être des rebuts du système, sont les conditions de son fonctionnement. (…) l'autre versant des montagnes de déchets et de poisons, c'est le phantasme d'une technosphère hygiénique, vide de nature et de pulsions, mais également de mystères. Cette société de la maîtrise a besoin de dénaturer la nature et déshumaniser l'homme, de désenchanter le monde…
(La civilisation de l'ordure. Jean-Luc Coudray. La décroissance mai 2018)


L'évidence est là, connue par nos sensations aussi bien que par les travaux scientifiques, nous sommes après l'effondrement.
(Après l'effondrement. Denis Baba. La décroissance mai 2018)


… les agressions terroristes (durant les guerres ou à l'intérieur des Etats-Unis) ont tué beaucoup moins d'Américains que les overdoses.
(Le canard enchaîné 23 mai 2018)


… l'état mauvais du monde, où rien ne va plus parce que l'ordre y a été bouleversé par ceux qui avaient pour mission de le garantir.
(La tradition celtique. Jean Markale. Payot 1975)


… nous pouvons nous demander si la fin du monde n'a pas déjà eu lieu ; quand une société n'a plus de sens commun, de culture commune, et est réduite à une somme d'individus atomisés, n'en est-ce pas la réalité ? Il suffit de regarder les légions de technozombies marchant l'air hagard pour se demander si une fin symbolique n'a pas déjà précédé l'effondrement écologique.
(Se savoir mortel pour bien finir. Raoul Anvélaut. La décroissance juillet 2018)


En fin de compte, les jeux vidéos, les lunettes 3D, les prothèses cérébrales, les ordinateurs, la désinformation, les tablettes, les téléphones portables, la télévision débilitante, c'est quoi ? Des soins palliatifs. (…) La grande astuce du système productiviste est de faire souffrir les hommes libres. La société croissanciste décourage l'homme de valeur, encourage le narcissique, démoralise le poète, stimule le comptable. Elle dissuade la culture de sublimation pour préférer celle de divertissement, elle anéantit l'esprit pour stimuler les jeux.
(Comment s'adapter à la fin du monde. Jean-Luc Coudray. La décroissance juillet 2018)


Dieu est mort, et, aujourd'hui, comment mieux tuer le temps que devant un écran face au défilement inexorable des images annonciatrices de l'apocalypse ?
(Le spectateur impatient. Gérard Mordillat. Le monde diplomatique juillet 2018)


… là où le sol s'est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s'éteignent, les esprits s'appauvrissent, la routine et la servilité s'emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort.
(Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes et autres textes. Elisée Reclus. Premières Pierres. Saint Maurice 2002)


Le rêve de l’aliénation suscite des modifications du paysage dans lesquelles seule une ressource isolée importe ; tout le reste devient mauvaise herbe ou déchet. Ici, prendre soin des enchevêtrements qui font un espace de vie semble inefficace, voire archaïque. Quand une ressource particulière ne peut plus être produite, l’espace est tout simplement abandonné. Le bois a été coupé, il n’y a plus de pétrole, le sol ne peut plus nourrir les récoltes : la recherche de ressources se poursuit ailleurs. Ainsi, la simplification qui accompagne l’aliénation produit des ruines, des espaces abandonnés du seul point de vue de la production de ressources. (…) nous n’avons pas d’autre choix que de chercher la vie dans ces ruines.
… notre propre désorientation et notre propre détresse pour négocier la possibilité de vivre dans des environnements définitivement endommagés par la présence humaine.
Ce qui m’importe, c’est la ruine des forêts, systématique, interconnectée et apparemment impossible à arrêter, qui sévit partout dans le monde à tel point que même des forêts très différentes sur les plans géographique, biologique et culturel sont liées entre elles par une chaîne de destruction. (…) nous sommes mis au défi de vivre dans ces ruines, hideuses et impraticables en l’état actuel.
Les choses ont considérablement changé depuis le temps où les bienfaits des forêts iriai avaient tant d’importance pour la communauté. (…) « Quand les gens disent, “les choses étaient mieux avant”, ce qu’ils ont en tête, à mon avis, c’était la joie de faire des choses ensemble à plusieurs. On a perdu cette joie. »
L’économie fondée sur les spectacles et les désirs fleurissait mais elle marquait dans le même temps un détachement des attentes qui donnent sens à la vie. Il devenait de plus en plus difficile d’imaginer où menait la vie et ce qui devait la combler en dehors des marchandises.
… comme si chacun cherchait à tirer avantage de la fin du monde pour devenir riche avant que la destruction n’ait tout emporté.
Sans plus d’histoires de progrès auxquelles se raccrocher, le monde est devenu un endroit terrifiant. Ce qui est ruiné nous reproche l’horreur de son abandon. On ne sait pas trop comment continuer à vivre et encore moins comment éviter la destruction planétaire. (…) On peut encore explorer les bords broussailleux de nos paysages désolés, qui sont autant les bords de la discipline capitaliste, de la scalabilité et de plantations abandonnées.
(Le champignon de la fin du monde. Anna Lowenhaupt Tsing. La Découverte 2017)


Marcuse soulignait déjà en 1963 que l’enfant né dans une famille « permissive » n’en serait que moins capable ensuite de s’opposer au monde tel qu’il va. Il prévoyait l’évolution vers une « société sans pères »…
En prolongeant le sentiment de dépendance jusque dans l’âge adulte, la société moderne favorise le développement de modes narcissiques atténués (…). La société rend de plus en plus difficile à l’individu de trouver satisfaction dans l’amour et le travail, mais elle l’entoure simultanément de fantasmes fabriqués qui sont censés lui procurer une gratification totale.
… pour pouvoir fonctionner, la fiction paternelle – dont il existe de nombreuses variantes dans l’histoire – doit rester inconsciente et ne pas être reconnue comme une fiction. Sans quoi aucune cohésion sociale ne serait possible.
« On ne peut douter que la dévastation de la forêt naturelle va de pair avec celle de la forêt mentale. »
… on peut dire qu’« il n’y a nulle part d’accès à l’âge adulte », comme le constatait déjà Guy Debord en 1961.
… transformer les sujets autonomes en consommateurs dociles, en troupeau d’« égo-grégaires » faciles à gouverner et prêts à avaler tout ce que l’industrie leur propose.
La nouvelle économie psychique ne nous rend pas adulte en nous émancipant du père, mais fait de nous des nourrissons, entièrement dépendants de la satisfaction.
Devenir adulte ne signifie plus gagner en autonomie et mieux comprendre les mystères du monde, ni acquérir des droits supplémentaires qui compensent en quelque manière la perte des privilèges de l’enfance. Un enfant, et a fortiori un adolescent, a aujourd’hui peu de raisons de vouloir grandir.
L’impossibilité croissante d’écrire un roman d’apprentissage – qui aujourd’hui sonne faux et doucereux, quand il ne se termine pas par le constat de l’impossibilité d’une telle conclusion harmonieuse – est un indice éloquent de la perte de sens de la société capitaliste et de la fragmentation de l’expérience.
Le terrorisme d’origine islamiste n’aurait jamais trouvé un nombre si élevé de candidats dans les pays occidentaux s’il n’avait pu piocher dans un réservoir de personnes désespérées par l’effondrement social en cours et prêts à commettre un homicide-suicide.
Qui doit renoncer trop tôt aux promesses de bonheur reçues dans la première enfance entre facilement dans le champ gravitationnel de la « pulsion de mort ».
La perte des limites serait donc, d’une certaine manière, due au rôle prépondérant des mères dans la société contemporaine et à la prétention à l’égalité des sexes (…) Il n’y a plus de pilote dans l’avion où nous sommes tous embarqués ; à sa place, dans le fauteuil – est-ce bien rassurant ?
(La société autophage. Anselm Jappe. La découverte 2017)


… la folie productiviste et la sauvagerie consumériste. Lesquelles se passent très bien des convenances et du savoir-vivre : plutôt qu’à un commerce poli entre gens de bien, elles incitent à se défouler, à rivaliser, à lutter pour survivre, ou juste à jouir. Et elles clivent la structure affective, prise dans une oscillation schizoïde entre la retenue héritée et le déchaînement partout promu, la distance polie et la tentation du coup d’éclat.
(Le déchaînement du monde. François Cusset. La découverte 2018)


… un pauvre ayant rencontré le bon Dieu, celui-ci lui accorde du pain en abondance. L’homme en est d’abord content, puis, poussé par sa femme, il demande successivement de la viande, du vin, de l’argent, puis enfin la puissance même de Dieu. Celui-ci lui répond qu’il la trouvera à la maison : dès qu’il y est entré, sa femme, ses enfants, ses parents et lui-même sont changés en chats-huants…
"Boire vin, cajoler fillettes - Voilà de tout clerc le devoir."
(Croyances, mythes et légendes des pays de France. Paul Sébillot. Omnibus août 2002)


Le transfert de la faveur populaire du héros vers la victime en dit long sur le dolorisme ambiant et le sentiment d'impuissance qui l'accompagne. Les citoyens s'estiment tellement dépossédés des moyens d'agir sur leur quotidien et sur leur destin qu'ils se sentent plus proches d'une personne qui subit le malheur que de celle qui se bat pour le vaincre.
(La justice transfigurée par les victimes. Anne-Cécile Robert. Le monde diplomatique mars 2019)


La question qui se pose pour les humains n'est pas de savoir combien d'entre eux survivront dans le système mais quel sera le genre d'existence de ceux qui survivront.
(Ecologie de Dune. Franck Herbert 1965)


Ils insistaient sur ce qu’ils appelaient les politiques positives, abandonnant les critiques au pessimisme des perdants. Eux, ils étaient les gagnants. Personne ne critiquait quoi que ce soit. Et les politiques étaient peu à peu remplacées, l’une après l’autre, sans que soient corrigées les erreurs de la précédente, pour s’assurer quelque progrès. Ils avançaient comme un groupe d’aveugles, se tenant par la main, sur les décombres de leur propre ineptie. 


(Sympathie pour le démon. Bernardo Carvalho. Métailier 2016)


Les deux Guerres mondiales additionnées au tribut des révolutions industrielles ont ainsi livré dès la fin des années 1940 un monde globalement dévasté...
... nous avons bâti et consolidé un système qui rassemble en son cœur, nourrit et fait croître les germes de la souffrance et de la destruction. (...) Vous vouliez le bonheur, un travail épanouissant, une famille unie, un logement agréable, des voisins sympathiques, des amis fidèles, un environnement de qualité, (...) des équipements collectifs de proximité, un monde de paix...? (...) Eh bien, c'est raté, complètement, et n'imaginez même pas que cela puisse advenir un jour! Car ce que l'on vous a réservé, sur votre "poste de travail", bien au froid, ce n'est que frustration, isolement, harcèlement, absurdité des normes, violence des procédures, déni permanent de vos compétences et ambitions, volatilité des ordres, interchangeabilité des fonctions, conditions de travail intenables pour mener à bien vos "missions", (...) mépris de votre hiérarchie…
(Pour en finir avec la civilisation. François de Bernard. Yves Michel 2016)


... dans cette maison, chacun vivait de son côté, oui de son côté, il n'y avait pas de joyeux désordre ni de discussions enflammées, seulement ce silence qui tombait, humiliant.
... j'ai vraiment l'impression qu'on tourne en rond, oui, on tourne en rond, tout le temps au même endroit, on part et on revient sans jamais bouger, peut-être que ce serait le moment de dire ça suffit, messieurs dames, moi je ne joue plus à ce jeu-là, mais comment faire?, tout le monde joue, oui tout le monde on dirait, (...) et on est là à se dire que des jours meilleurs viendront sans faute, il suffit de faire des sacrifices pendant quelques temps encore et puis ce sera différent, mais est-ce que ce sera vraiment différent?, j'ai peur que ce ne soit qu'une mauvaise plaisanterie...
(Malacqua. Nicola Pugliese. Do 2018)


... la violence peut aussi pousser à la mort du Verbe fondateur, socle du pouvoir. (...) La violence peut enfin conduire à la mort de soi, par suicide physique, ou intellectuel en imaginant des systèmes destructeurs de tout ce qu'il peut y avoir d'humain chez l'homme.
(Dieux et hommes, modèles et héritages antiques, volume I. Jacques Bouineau. L'Harmattan 2018)


Lorsque les hommes se prennent pour les égaux des dieux, Zeus envoie Ati, déesse de la confusion et de l'aveuglement, qui les pousse à commettre des fautes encore plus grandes. Une fois sa mission accomplie, Ati cède la place à Némésis, déesse de la vengeance et de la colère, qui à son tour confie ses basses œuvres à Tisis, déesse de la punition et de la destruction.
(L'enfant qui mesurait le monde. Metin Arditi. Grasset 2016)


… le sujet moderne qui ne reconnaît plus à l’argent sa qualité de moyen, mais en fait une fin en soi, se prive « tragiquement » du moyen de réaliser ses fins et d’ainsi se réaliser soi-même.
(L’individualisme moderne chez Georg Simmel. Léa Barbisan. L’Harmattan 2019)


Pourquoi nos vies sont-elles si compliquées ? Si éparpillées. Partout. Comme après l’explosion d’une grenade.
(Maunten. Drusilla Modjeska. Au vent des îles 2019)


... l'accélération du désastre me pétrifie (...) j'ai l'impression de ne plus avoir prise sur rien.
... la mélancolie qui s'exprime dans mon corps vient du monde. (...) J'ai compris une chose: le monde s'effondre simultanément de partout, malgré les apparences.
(Croire aux fauves. Nastassja Martin. Verticales 2019)


... personne, en ce monde où tout conspire à la construction d'une illusion parfaite et d'un désespoir à sa mesure, ne peut ni espérer s'il ne lui a pas été donné d'espérer, ni chercher s'il n'a pas l'instinct de la recherche profondément gravé dans la chair de son esprit.
Nous étions l’humanité poussée dans ses retranchements, aux valeurs dissoutes, sans plus raison de vivre, l’humanité réduite à son appel à l’aide.
… s’il restait des dieux sur terre, c’étaient bien les dieux scélérats de la paranoïa, de la schizophrénie et de la dépression. (…) Ils ne mourraient plus un par un, traversés par une lame en acier ou par des flèches, ils périssaient à présent en masse, des peuples entiers auxquels on a inoculé la substance de la haine universelle qui alimente l’océan du mal métaphysique nous cernant de toutes parts.
(Solénoïde. Mircea Cartarescu. Noir sur Blanc 2019)


J’étais l’image de ce que je n’étais pas, et cette image de mon non-être me comblait entièrement : l’un des modes d’être les plus forts est d’être négativement. Comme je ne savais pas ce que j’étais, « n’être pas » était donc être au plus près de ma vérité (…) je vivais l’envers de ce que je n’aurais pas même réussi à vouloir ou à essayer.
(La passion selon G.H. Clarice Lispector. des femmes 2020)


Il se pourrait bien que le président Trump soit pour l’Occident moins un accident qu’un symptôme : celui de son lent déclin.
(Boubacar Boris Diop. Le monde diplomatique juillet 2020)


Ceux qui aspirent encore à une vie libre ont contre eux le techno-totalitarisme, les masses mimétiques, la volonté de puissance. Ils subsistent sur une Terre ravagée.
(Pièces et main d’œuvre. La décroissance juillet 2020)


On dirait simplement que les jeunes ont pris le pouvoir. Même les vieux qui dirigent le monde se comportent comme des gamins. Il n’y a plus de perspective, de vision, de profondeur. On veut tout, tout de suite, et on veut du neuf. Ce monde est une balle courbe lancée vicieusement par un gamin surexcité qui carbure aux stéroïdes, et ne se soucie pas plus de l’intégrité du jeu que de la pénibilité du travail des Costaricains qui cousent les balles à la main.
(Ici n’est plus ici. Tommy Orange. Albin Michel 2019)


… le désastre est déjà là. Le monde est déjà défait, en quelque sorte.
(Renaud Garcia. La décroissance octobre 2020)


… ils sont comme des acteurs en pleine représentation qui, pour la durée de la pièce, jouissent du privilège de vivre pour l’extérieur ou d’être eux-mêmes purement extérieurs, à l’abri des effilochures de la pensée, des sentiments contradictoires, des sensations étranges et des images fragmentaires, incompréhensibles et voraces, indépendantes de toute logique et de toute volonté, qui forment le tissu intime de la vie. (…) il se demande s’ils ne sont pas vraiment comme cela, extérieurs, et tellement en ordre avec eux-mêmes, tellement résignés à l’écoulement de la vie, monotone et dangereux, dépourvu de sens et d’issue, qu’à force de ne plus rien attendre d’elle ils ont acquis une espèce de sérénité.
(L’enquête. JJ Saer. Le Seuil 1996)


Je voudrais avoir vécu au temps des vrais voyages, quand s’offrait dans toute sa splendeur un spectacle non encore gâché, contaminé et maudit.
(Levi-Strauss. Tristes Tropiques 1955)


Ce n'est que lorsque le dernier arbre sera mort, que la dernière rivière aura été empoisonnée et que le dernier poisson aura été pêché que nous nous rendrons compte que nous ne pouvons pas manger d'argent.
(Cree)


« Ceux du Royaume de Mexico étaient aucunement plus civilisés et plus artistes que n’étaient les autres nations de là. Aussi jugeaient-ils, ainsi que nous, que l’univers fût proche de sa fin, et en prirent pour signe la désolation que nous y apportâmes. » (Michel de Montaigne. Les essais, III, Des coches)
Dans les temps anciens, ils accordaient beaucoup d’importance à la vérité (…) ; ils observaient les engagements qu’ils prenaient entre eux et ne les brisaient jamais, fût-ce au risque de leur vie. (…) Avec la liberté dont ils jouissent maintenant, ce sont des menteurs et des escrocs de première…
(Conversation avec un métis de la Nouvelle Espagne. Serge Cruzinski. Fayard 2021)


… ce sentiment que tout change sans cesse, qu’il faut constamment s’adapter à des cadres de plus en plus techniques. Avec, à la clé, un gain nul ou une dépossession.
(Benoît Bréville. Le monde diplomatique juillet 2021)


… toujours parler de nous simplifier la vie et de gagner du temps, alors que nos vies sont de plus en plus compliquées, dissolues, liquéfiées, avec le sentiment croissant de manquer de temps, en particulier pour l’essentiel…
(Nathanaël Leroy. La décroissance juillet 2021)


« Je me suis rendu compte que l’heure est passée de réunir des gens dans un amphithéâtre même pour leur dire des vérités et qu’avec la société et son public, il n’y a pas d’autre langage que celui des bombes, des mitrailleuses et tout ce qui s’ensuit ». 
(Antonin Artaud)


Peuple (…) qui (…) reviendra sur ses pas pour troubler et détruire les sociétés, qu’il aura formées derrière lui.
« … ces gens désoeuvrés, assez communs en Europe, qui ne vous cherchent que pour consumer le temps dont ils ne savent que faire... » (Gustave de Beaumont)
Si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques de nos jours, il aurait d’autres caractères : il serait plus étendu et plus doux et il dégraderait les hommes sans les tourmenter.
(Quinze jours au désert. Alexis de Tocqueville. Le passager clandestin 2011)


… ce sérieux, vous l’appliquez à ce que vous faites, et non à ce qui se passe autour de vous. Vous rapportez tout à vous, voilà l’ennui. Ce qui provoque une terrible fatigue.
(L’herbe du diable et la petite fumée. Carlos Castaneda. 10/18 1985)


Le rêve humain a fini par se résorber, se défigurer, se réduire dans des représentations stéréotypées qui montent et descendent sur les panneaux déroulants dans les rues ou envahissent nos écrans.
(Jean-Luc Coudray. La décroissance février 2020)


… des grands incendies allumés par nous dans ces forêts, rien que pour le plaisir de la dévastation.
(Loti en Amérique. Bleu autour. Mai 2018)


Nous aussi avons été sauvages et libres, ignorant la folie destructrice de l'argent, sans villes ni usines. Nous aussi avons été envahis et soumis, perdant jusqu'à notre langue…
... la transmission de ces traumatismes de génération en génération est due à une impossibilité de régler l'héritage: le choc initial subi par les ancêtres a été si dévastateur que ceux-ci n'ont pu le surmonter et l'ont donc légué aux générations suivantes.
"nous ne pouvons pas devenir ce que nous aimerions être tant que nous ne voudrons pas nous demander pourquoi la vie de chacun, que nous avons imposée sur ce continent, est-elle si vide, si servile et si laide." (James Baldwin)
Comme l'ont appris les Lakotas, cette Amérique-là est fragile, parce qu'elle ne tient que par la sujétion et la contrainte. "C'est la recette du déclin d'une nation ou d'un royaume, écrit encore Baldwin, car aucun royaume ne peut se maintenir par la force seule".
(Ce qui est arrivé à Wounded Knee. Laurent Olivier. Flammarion 2021)


... le gâchis des arbres qu'on coupe mal, trop vite, trot tôt...
(Vies de forêts. Karine Miermont L'atelier contemporain)


"Etant les premiers à l'avoir utilisée [la bombe atomique], mon sentiment était que nous avions adopté l'éthique des barbares de l'Age des Ténèbres." (amiral William D Leahy, chef de cabinet militaire des présidents Roosevelt et Truman)
(Nexus juillet 2022)


Le sang humain contiendrait des particules de microplastiques, d'après une étude néerlandaise.
Jusqu'à 40% de la surface des terres est dégradée, d'après un rapport de la convention des Nations Unies contre la désertification.
(La Recherche juillet 2022)


... les trois dernières décennies ont été parmi les périodes les plus riches en inondations en Europe au cours des cinq cents dernières années.
(Bruno Wilheim. La Recherche juillet 2022)


Toutes les eaux de pluie de la planète sont désormais impropres à la consommation: elles sont contaminées par des composés per- et polyfluoroalkylés (PFAS), dits éternels car difficilement dégradables.
(La Recherche octobre 2022)


... et le jeune homme vit, dans les nations des hommes, plus de misère et de pauvreté que de bonheur. « Car, dit le Soleil-Père, tels sont mes enfants, qui gâchent leur vie en folie, ou s'entre-tuent pour vaine colère... »
(Tenatsali ou l'ethnologue qui fut transformé en Indien. CNRS Editions 2022)


Nul prix ne s'attachera plus au serment tenu, au juste, au bien: c'est à l'artisan de crimes, à l'homme tout démesure qu'ira leurs respects; leur seul droit sera la force, la conscience n'existera plus. Le lâche attaquera le brave avec des mots tortueux, qu'il appuiera d'un faux serment. (...) contre le mal, il ne sera point de recours. (Hésiode)
... une multitude de gens dont la présence dans les cités n'aura plus d'autre objet que les besoins superflus (...) les fabricants d'articles de toute sorte et spécialement de toilette féminine. (...) Il nous faudra encore des bestiaux de toute espèce pour ceux qui auront envie d'en manger; n'est-ce pas vrai?
C'est incontestable.
Mais avec ce régime les médecins nous seront bien plus nécessaires qu'auparavant.
Beaucoup plus. (Platon)
"Ils ne prendront point de femmes, elles ne prendront point d'époux, mais ils seront comme des anges puisqu'ils seront les enfants du Dieu de la résurrection." (Eusèbe de Césarée)
"... la méchanceté croîtra, toutes les sortes de vices et de tromperies se multiplieront, la justice périra, la fidélité, la paix, la miséricorde, le respect, la vérité ne seront plus, la violence et l'audace prévaudront, personne ne possédera rien qu'il n'ait acquis et défendu à la force de son bras. Les bons, s'il en reste, seront maltraités et tournés en dérision. (...) la cupidité et le dérèglement corrompront l'univers. Il y aura des massacres et des effusions de sang, il y aura des guerres non seulement extérieures et frontalières, mais aussi intestines. Les cités se feront la guerre entre elles, chaque sexe et chaque âge maniera les armes." (Lactance)
"... dix hommes s'empareront de la terre, la partageront, la dévoreront. (...) Les cités et les bourgs périront, tantôt par le fer et le feu, tantôt par de fréquents tremblements de terre, tantôt par inondation catastrophique, tantôt par épidémie et famine. (...) les saisons ne conserveront pas leur régularité: l'hiver et l'été s'entremêleront." (Lactance)
"... la crainte empêchera de prendre aucun repos: point de sommeil non plus pour se reposer." (Lactance)
(Utopia. Jean-Louis Poirier. Les belles lettres septembre 2022)


En 1991, la guerre du Golfe recouvre d'une chape de plomb une civilisation qui, seule dans le monde, affirment les préhistoriens, a pu survivre au Déluge grâce à la légèreté de ses "mashuis" en osier. Que sont devenus ces aristocrates de l'Euphrate dont Thesiger a si bien su exprimer la courtoisie, la gaieté, le sens de l'honneur? Sans doute ont-ils rejoint dans les bidonvilles de Bagdad les migrants fuyant la misère ou la destruction de leurs villages.
(...) le taux de suicide, de drogue et d'alcoolisme parmi la jeunesse n'a jamais été aussi élevé que dans les pays réputés pour la qualité de leur niveau de vie: Danemark, France, Suisse, et Inuit, depuis qu'ils bénéficient des apports les plus élaborés de notre civilisation.
Ils se sentaient sans pouvoir sur leur destin. Sans aucune perspective spirituelle ou éthique, nos sociétés, qui considèrent leurs membres comme des êtres gavables à merci, à qui est proposée la consommation journalière du loisir sans effort, sous toutes ses formes, y compris les plus triviales, sont en train de produire des malheureux et des gros (et par réaction, des anorexiques). L'obésité doublée d'états dépressifs, marque des pays avancés: un sujet de thèse qui aurait son utilité.
La conviction que rien ne pourra s'opposer à la spirale suicidaire dans laquelle s'engouffre l'Occident, mais aussi une grande partie du monde, entraînant à sa suite les peuples qu'il domine économiquement et culturellement, conduit des auteurs tels que Wolfang Softsky à conclure au déni de toute culture. (...) "... l'Histoire est un tissu de contradictions, de crimes commis en toute lucidité... on continue parce que le mal est là et qu'il réjouit."
"Les nobles hommes silencieux sont le sel de la terre, disait Carlyle, et le pays qui n'a pas de ces hommes ou qui en a trop peu... est une forêt qui n'a pas de racines, toute tournée en feuilles et branches, qui bientôt doit se faner." Avons-nous perdu en Occident l'aptitude à nous taire?
"L'Occidental veut tout savoir du premier coup, et c'est pourquoi, dans le fond, il ne comprend rien." (Roger Bastide)
(Le souffle du mort. Dominique Sewane. Plon 2020)


... on commence à vivre en imagination dans un monde différent.
Une autre forme de barbarie (...) pose un problème nouveau et bien difficile à résoudre: la "barbarie automobile". Des touristes chauffards traversent comme des bolides les villages, écrasant à plaisir tout ce qui se trouve sur leur passage: vieillards, enfants ou simples volailles.
(Les barrières de la solitude. Luis Gonzalez. Plon 1982)


La plupart des tribus sud-américaines ont préféré choisir la mort et la disparition plutôt que de supporter l'oppression des Blancs.
"Il n'y a pas de grandes personnes", a-t-on pu écrire récemment. Ce propos est paradoxal, d'être tenu dans la civilisation qui se pense et se pose comme adulte par excellence, la nôtre. Et pour cela même, il a de grandes chances d'être vrai, au moins pour notre monde. (...) Bien mieux que l'Afrique, subtilement plus proche du Vieux Monde européen, les Indiens furent l'Autre de l'Occident, le lieu où il put lire sa différence, et voulut aussitôt la supprimer, triste privilège que les Peaux Rouges partagèrent plus tard avec le reste de vrais sauvages, habitants provisoires d'un monde qui n'était plus pour eux: Eskimos, Bushmen, Australiens... Il est trop tôt sans doute pour que l'on puisse mesurer la portée de cette rencontre; fatale aux Indiens, on ne sait si, par quelque contrecoup étrange, elle ne portera pas également en soi la mort inattendue de notre histoire, de l'histoire de notre monde en sa figure contemporaine.
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)


Bien portant, l'Esquimau est sans doute un élève apparemment docile qui, en bon acteur, pratique les rites de ceux dont il dépend.
... l'insignifiance des choses vous apparaît vite dans la solitude. (...) On ne dira jamais assez combien, hors du groupe, la marge de civilisation que chacun porte en soi est fragile…
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)


Tout s'égalise dans l'inutilité.
L'auteur d'Au-dessus de la mêlée vilipende "la mêlée sacrilège qui offre le spectacle d'une Europe démente", s'en prend aux élites intellectuelles, aux Eglises qui n'ont pas su empêcher le massacre, dénonce "la contagion de fureur"...
"L'humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu'elle a faits. (...) A elle de voir d'abord si elle veut continuer à vivre." (Péguy)
... un désenchantement issu du contraste entre les rêves de grandeur de l'auteur et la réalité d'une armée transformée en bétail "héroïquement passif", pris au piège d'une guerre mécanisée, déshumanisée. "La guerre aujourd'hui, c'est d'être couché, vautré, aplati. Autrefois, la guerre, c'étaient des hommes debout." (Drieu la Rochelle)
... "c'est le rire des petits insectes pourrisseurs" (Claude Morgan).
(Du héros à la victime: la métamorphose contemporaine du sacré. François Azouvi. Gallimard 2024)


... ce vide insipide qui vous englue dans un ennui épais, comme une antichambre de la mort dont on ne sait si elle est le néant définitif…
(Cinq tambours pour deux serpents. Mireille Aïn. Plon 2022)


... "il n'y a plus d'unité de la loi, car n'est plus postulée une légitimité fondamentale de l'appareil législatif ou constitutionnel", ceci dans un contexte d'accroissement de la liberté des acteurs économiques, ce qui ferait qu'"il n'y a plus d'unité du pouvoir". (Philippe Chevallier)
"Il n'y a plus de hiérarchies des chaînes causales, plus de pyramides nécessaires des explications, plus d'univers structurés et organisés autour de grandes échelles de détermination." (Dominique Pestre)
Le problème que révèlent les transformations de la régulation politique en lien avec l'économique et la globalisation est bien celui de la gouvernabilité des sociétés contemporaines.
(L'esprit politique des savoirs. Jacques Commaille. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2023)


Ceux qui vivent au milieu de l'ignorance
se pensant eux-mêmes savants et sages,
courent, tournent en rond, égarés,
tels des aveugles qu'un aveugle lui-même conduit.


Vivant dans l'ignorance de diverses façons,
ces fous s'imaginent: "Nous avons atteint le but!"
(...)
dans leur passion ils en souffrent,
leurs mondes s'épuisent, et eux retombent.
(Les Upanisad. Alyette Degrâces. Fayard 2014. suite)


« ... la vanité et l'ambition sont plus étendues que la superstition: l'ambition vous demandera plus de plats et de coupes que le culte des idoles. Le luxe vous achètera plus de couronnes que la fête païenne.» 
(Tertullien)


« … le sot se fie à ce qu’il voit dans ses rapports avec les hommes. Quelle tristesse ! »
Pourquoi les faibles se sentent-ils humiliés par la perfection du saint taoïste, pourquoi dénigrent-ils cette perfection avant tout pacifique ? C’est que les faibles sont enclins à redouter la perfection du saint taoïste comme une sorte de contrainte extérieure et qu’ils calomnient sciemment le saint taoïste pour diminuer son pouvoir de coercition.
De petites appréhensions engendrent l’agitation et l’inquiétude ; de grandes appréhensions engendrent l’inertie et la paresse. (…) Ils s’affaiblissent ainsi quotidiennement comme l’automne et l’hiver qui déclinent. Ils s’enfoncent sans retour dans leurs mauvaises habitudes ; ils s’y étouffent et se dégradent avec l’âge, leur esprit va vers la mort ; rien ne leur permet de découvrir la lumière.
Chacun de nous se surmène sans voir aucun succès ; affairé et exténué, il ne sait où il va. N’est-ce pas déplorable ? Une telle vie qu’on appelle le contraire de la mort apporte-t-elle vraiment les avantages de la vie ?
Perfectionnez l’ingéniosité et l’art de tromper, (…) séparez et unissez arbitrairement l’identique et le différent, et les hommes s’égarent dans la discussion. Le monde tombe alors dans l’obscurité et le chaos. (…) chacun s’efforce d’apprendre ce qu’il ne connaît pas, mais il ne cherche pas à approfondir ce qu’il connaît déjà. Chacun critique chez les autres ce qui le dépasse mais se garde de juger le peu dont il est capable.
Ceux qui ne font qu’imiter les hommes et adopter leurs préjugés, et pourtant ne se reconnaissent pas comme appartenant à la masse, on peut dire qu’ils atteignent au comble de l’inconscience.
 « Qui n’a ni chagrin ni plaisir atteint à la vertu suprême ; rester soi-même sans jamais se modifier conduit au calme suprême ; ne s’opposer à personne, c’est le vide suprême ; n’avoir aucun commerce avec les choses, voilà le détachement suprême ; ne résister à rien, voilà la pureté suprême. »
Rien n’est plus lamentable que notre mort en esprit.
… qui se laisse dévorer par les soucis tombe dans un déséquilibre sans issue. La peur paralyse ses actes ; son esprit paraît suspendu entre le ciel et la terre. Partagé entre la joie et la mélancolie, il est plongé dans l’irrésolution. Le frottement de ce qui l’avantage et de ce qui lui porte préjudice produit en lui un feu extrême qui détruit sa paix intérieure.
Mais si les fils et les cadets refusent d’écouter leurs pères et leurs aînés, que pourra faire de mieux un maître aussi éloquent que vous l’êtes ?
Qui amasse de l’argent sans jamais s’en servir, mais le serre contre sa poitrine sans jamais le lâcher, celui-là se remplit d’angoisse et d’inquiétude et désire toujours en gagner davantage. Quelle vie de souci ! Dans son domicile, le riche appréhende les cambrioleurs et les mendiants ; hors de chez lui, il redoute les bandits ; il fait multiplier les tours et les passages dans sa maison, et n’ose jamais sortir seul. Quelle vie de crainte ! (…) il aura beau (…) épuiser toute sa fortune pour retrouver une seule journée de tranquillité, son vœu ne sera pas exaucé. (…) Bien fou qui enchaîne son esprit et use son corps pour aboutir à une pareille fin !
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)


… je découvris comment l’association de nouveaux modèles économiques et d’un système traditionnel suscitait angoisse et hostilité…
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)


L’impérialisme d’Éros a plus de succès en nos sociétés que chez les Coniagui nus de la Guinée. Cette ambiance, pour reprendre un mot du temps et aux résonances incertaines, nous l’avons exportée tout autant que nos machines, nos codes et notre monothéisme.
Il ne paraît guère de journal qui ne nous rappelle l’esclavage où nous tiennent nos machines et les richesses que ces dernières fabriquent pour attiser nos convoitises.
Les réactions à venir pourraient imposer une violence rudimentaire : celle d’hommes qui finissent par préférer le désordre à un « immobilisme » devenu intolérable en aggravant leur dépossession matérielle et culturelle, d’hommes qui ne trouvent de compensation à l’infériorité que dans la xénophobie.
Puis c’est la danse (…). Le rythme s’accélère. Cette assemblée n’est plus qu’un seul être tendu pour une conquête impossible. Je me découvre radicalement étranger, insolite, figé dans mon respect humain, encombré d’un corps qui a perdu le souvenir de ses possibilités exaltantes. Je me sens une sorte d’infirme auquel personne ne peut accorder la moindre attention.
Nos églises font prévaloir la vie intérieure et la règle morale sur l’exaltation qui conduit au seuil de la perte de conscience. (…) Lorsque nous privons le Noir des moyens d’expression qui lui appartiennent en propre, nous lui faisons subir la plus lourde des contraintes. Celle que nous aurions pu connaître si nos « occupants », nous avaient dénié tout droit d’écrire, de chanter, de peindre pour nous transformer en simples machines à produire.
« Vous avez circulé à travers le Gabon, alors vous avez vu ce qui me désespère. La détresse des Fang de la région de Njolé, on ne peut pas l’ignorer. Et sur Coco-Beach ? Après cette détresse, vient l’abrutissement qui conduit à se laisser mourir... »
… cet abandon au fleuve des mots, cette difficulté à maîtriser la pensée…
L’ambiguïté trouvée dans l’Afrique d’aujourd’hui n’est-elle pas d’abord celle nous portons en nous ? Nous y voyons, avec un extraordinaire effet de grossissement, l’image de nos incertitudes. Cette incertitude devant la marche d’un progrès qui doit d’abord saccager avant d’établir un ordre supérieur. (…) Cette disponibilité angoissée d’hommes qui, devant un tel raz de marée, ne savent plus guère « à quel saint se vouer ». Tout est remis en cause, en Afrique comme dans la vieille Europe, avec une égale violence.
Le besoin d’un « Sauveur », d’un « Conducteur » a une expression africaine s’il a eu une expression européenne. (…) l’Afrique moderne, en partie façonnée par nos mains, nous renvoie comme le reflet démesuré de nos propres incapacités. Les échecs que nous y avons connus ont les mêmes causes que notre difficulté à remodeler la société et la civilisation où nous vivons.
La colonisation a rendu insupportable, pour un nombre toujours croissant de paysans noirs, l’Afrique traditionnelle autant que l’Europe expansionniste qui s’est édifiée au cours du XIXème siècle. Elles se sont détruites l’une l’autre, en tant qu’idéal, à l’occasion de combats insidieux.
Tous les prophètes, qui ont imposé ce rejet absolu des dieux anciens et du Dieu « importé », entretiennent l’espoir de bâtir une société meilleure avec les pièces ramassées parmi les débris des deux civilisations affrontées.
… le chaos mécanique se substitue à l’architecture des vraies civilisations.
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)


Ce risque de ne pas « être-là » suscite une angoisse (…). L’objet ne se présente pas sous des contours définis, dans des limites stables qui permettraient de le saisir en tant qu’objet : ses limites sont sous le coup de possibilités infinies et inconnues, qui suggèrent un au-delà chargé d’angoissant mystère. (…) qui rétablira la limite capable de rendre l’être présent au monde ?
Quand un certain horizon sensible entre en crise, le risque se trouve en effet dans l’effondrement de toute limite ; tout peut tout devenir, ce qui revient à dire : le néant approche. 
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)


… comme le note Alcida Ramos (...) « les Indiens ont été transformés en enfants désespérés, perdus dans l’ignorance, vivant sous l’aile de l’État, qui les a maintenus dans une sorte d’animation civile suspendue... ».
(Archéologie de l’Amazonie. S. Rostain C. J. Betancourt. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme 2025)


Né autrement, il émergerait à d’autres formes de folie : il aurait pu, par exemple, croître à l’abri, dans la douce honte de l’argent et de se savoir coupable, un état qui à présent et sur cette planète s’acquiert au détriment du bien humain et des autres ressources de l’esprit, et qui engendre ses maux propres, si odieux qu’en sagesse et en honnêteté on ne puisse ni envier ni haïr l’image, par exemple, du propriétaire terrien …
… quelque chose de l’amour qu’on porte dans les classes moyennes au produit qui sait faire sa publicité dans les magazines féminins...
Le milieu entier est tel que l’usage de l’intelligence et des émotions s’est atrophié, et est presque tout entier sans rapports de cause à effet avec les pressions et besoins qui requièrent à peu près chaque instant de la vie consciente d’un fermier...
… l’idée parfaite du génie américain (révélé si bien dans les maisons à « prix de revient limité ») pour la stérilité, l’absence d’imagination et d’une façon générale l’avachissement, quand se présente une occasion de « réforme » ou « d’amélioration ».
Le spectacle qu’offre alors la fillette d’un fermier, dans un numéro de music-hall imité de façon horrible, n’est pas sans charme, mais le spectacle a, pour dire le moins, quelque chose de décadent.
(Louons maintenant les grands hommes. Agee/Evans. Plon 2017)


… j’ai dû vaincre d’innombrables obstacles et subir stoïquement la médisance et la perfidie entraînées par les deux plus grandes vertus de cette époque décadente : l’envie et la déloyauté.
… nés libres, ils sont devenus esclaves ; costauds et de haute taille jadis, aujourd'hui la phtisie les abat et leur taille se rapetisse.
(Une race qui disparaît. Ramon Lista. Interfolio 2019)


… les céréales et le feu de cuisine sont assimilés sur le double plan des représentations mythiques et des associations sémantiques. (…) Ils manifestent les deux faces de l’activité civilisatrice qui a entraîné l’homme dans l’univers de l’ordure et de la mort.
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)


Dans des publications sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes affirment avoir retrouvé des opiacés dans des sacs de farine distribués par la Fondation humanitaire de Gaza (GHF) aux habitants de l’enclave palestinienne. (…) Le Bureau des médias du gouvernement de Gaza, contrôlé par le Hamas, alerte, dans un communiqué diffusé via Telegram, sur « la découverte de comprimés d’oxycodone dans des sacs de farine provenant des “centres d’aide israélo-américains” », faisant référence à la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), soutenue par Israël et les États-Unis. Il indique également avoir recueilli « quatre témoignages de citoyens qui ont trouvé ces comprimés dans des sacs de farine ».  (…) L’oxycodone est un antalgique stupéfiant très puissant dont les effets, comparables à ceux de la morphine, peuvent rapidement rendre accro. Ils ont notamment joué un rôle important dans la crise des opioïdes aux États-Unis.
(Inès Chaïeb. Huffpost 3 juillet 2025)


La Crète moderne est un monde où le deuil est roi, où pendant des siècles, la guerre, la guérilla, la vendetta n’ont cessé de régner.
… par son hybris – son orgueil et sa démesure -, Xerxès a transgressé les lois humaines et divines, il a porté le sang, le meurtre, la violence jusque dans le domaine des dieux en profanant les temples, en renversant les statues, incendiant tous les lieux sacrés. Il ne s’est pas comporté en soldat mais en vrai criminel de guerre. (…) ce texte de Darios conserve aujourd'hui encore une portée, une résonance difficilement imaginables à sa seule lecture.
[La Grèce a]-t-elle peur d’avoir congédié si vite son passé, de s’en être trop facilement déchargé sur les touristes, ces voyeurs de ruines qui accourent du bout du monde pour contempler la nudité des marbres et des statues ?
Quand des milliers d’autocars se rendent chaque année à Epidaure, par exemple, et qu’il faut pour cela déboiser la forêt pour y tracer des routes, y aménager des parkings géants, peut-on dire que le site conserve encore son caractère ? (…) le désir de voir des sites sauvages les transforme tous en sites aménagés.
(L’été grec. Jacques Lacarrière. Plon 1975)


« Nous perdons notre foi en l’humanité » : à Gaza, le cri de désespoir des humanitaires. Désespérés, des travailleurs humanitaires revenus ou présents dans la bande de Gaza témoignent de leur incompréhension face à l’inaction du monde pour arrêter la guerre dans l’enclave, territoire qu’Israël veut désormais tenter de contrôler dans son intégralité. (…) « La question n’est pas de savoir si on va mourir, mais quand on va mourir ». Karin Huster est fataliste sur la situation de Gaza. Cette humanitaire franco-américaine de 58 ans s’est rendue trois fois dans l’enclave palestinienne et doit y retourner en septembre prochain, « si Gaza existe toujours ». (…) Ils pourraient vous parler des bombardements qui font trembler les murs et brisent les vitres, des patients soignés à même le sol des hôpitaux surpeuplés, des personnes amputées sans anesthésie, ou encore des restes de cadavres dévorés par les chiens… « Ça sert à quoi ? On a tout dit, tout montré, et ça n’arrête pas », souffle aussi Lisa Macheiner. Cette franco-autrichienne de 36 ans est rentrée de Gaza en mars, après treize mois passée dans l’enclave palestinienne, devenue un trou noir inaccessible aux journalistes étrangers. Alors elle témoigne pour ses collègues qu’elle a laissé là-bas. « Fermer les yeux et les oreilles, c’est un privilège. Et nos collègues palestiniens n’ont pas ce privilège », poursuit celle qui a travaillé pour diverses organisations humanitaires …
(Lise OUANGARI. Ouest-France 9 août 2025)


Il n’est donc pas étonnant de constater qu’un pareil poème soit devenu aussi matière de prédication (…) : la mer [de la vie] couverte par le brouillard des illusions de sorte qu’il n’y a plus de repères. Il faut donc monter dans le bateau qu’est le vœu d’Amida et s’éloigner de ce monde.
(La sieste sous l’aile du cormoran. H.O. Rotermund. L’harmattan 1998)