"Lorsque l'homme fut créé, sa fonction était d'exprimer la vie par la prière et l'art, en la signifiant."
(Léopold Sédar Senghor)
« Les chansons (…) sont des pensées chantées et portées par le souffle, quand on est mu par de grandes forces et que les discours ordinaires ne suffisent plus. » (Orpingalik)
(Pieds nus sur la terre sacrée. TC Mac Luhan. Denoël 1974)
… extraire des êtres cachés : ceux-ci habitent dans une autre dimension du cosmos (…) avant d'être découverts et arrachés par les personnages du mythe, qui les apportent au monde de l'homme.
(Les paradis de brume. Alfredo Lopez-Austin. Maisonneuve et Larose 1997)
… il était européen, la littérature pour lui, avait le cours navigable d'un fleuve (…) et non un ouragan observé aux confins inaccessibles de la Terre…
(Etoile distante. Roberto Bolano. Titres 2002)
... il s'y trouvait toujours quelque lieu, maison ou couvent, fontaine séculaire ou vieille croix, auquel se rattachait un récit singulier ou merveilleux. On racontait leurs chroniques aux veillées, ou dans les petites villes par les chaudes soirées d'été, lorsque les voisins, assis sur le pas des portes, causaient en prenant le frais. Il y avait même des rues où ces réunions étaient pour ainsi dire de fondation (...). C'est ainsi qu'à Matignon (Côtes du Nord), la rue Saint Jean, siège de l'un de ces "parlements", était surnommée le Pertuis Caquet…
(Croyances, mythes et légendes des pays de France. Paul Sébillot. Omnibus août 2002)
Notre réalité finit toujours par devenir un spectre : tout d'abord pour les autres, presque aussitôt après, pour nous-mêmes. Il n'y a pas moyen d'éviter cela et je n'ai jamais compris pourquoi "apparition" est synonyme de "fantôme" alors qu'un "fantôme" est un "disparu", une âme en peine condamnée à demeurer hors du temps et des lieux, une présence inopportune.
(Mantra. Rodrigo Fresan. Passage du Nord-Ouest 2006)
… le long silence des vaincus…
(La lampe d'Aladino. Luis Sepulveda. Métaillé 2009)
Dans le mythe de la tour de Babel, Dieu fait advenir à son identité véritable en séparant les peuples et les langues.
(Comment notre monde est devenu chrétien. Marie-Françoise Baslez. CLD 2008)
… des mots désormais inamovibles dans le commerce quotidien de la parole, les mots de la peur en expansion, les mots d'ordre qui appelaient ceux qui étaient « à part entière, enfants du pays réel » à se préparer pour « l'oeuvre de punition » à l'encontre de ceux qui étaient « entièrement à part », à qui on promettait une affliction durable.
(Solo d'un revenant. Kossi Efoni. Seuil 2008)
Ce qui ne peut être dit, il faut le taire.
(Un mal sans remède. Antonio Caballero. Belfond 2009)
… écrire n'est pas vivre et lire ne l'est pas non plus.
(El ultimo lector. David Toscana. Zulma 2009)
Avez-vous remarqué à quel point, de nos jours, personne n'a d'opinion personnelle ? Les gens parlent trop et n'écoutent jamais et ils parlent, ils parlent pour ne rien dire.
(Rupture. Simon Lelic. Editions du masque 2010)
… ceux qui sont pris dans « les choses matérielles et usuelles » et demeurent, à l'égard de la vérité, dans une « nuit profondément obscure ». (…) une dissymétrie entre le dire et le voir entraîne que la nature du langage semble obscurcir ce que la vision aperçoit clairement. Autrement dit, même celui qui discerne clairement l'essence des choses ne saurait pourtant l'exprimer clairement. (…) le destinataire de l'enseignement ne saurait en aucun cas être l'ignorant ou le disciple qui aurait précisément besoin qu'on lui enseigne quelque chose de l'extérieur pour ainsi dire, parce qu'il ne serait pas en mesure de le trouver par lui-même. Mais, au contraire et paradoxalement, le destinataire d'un enseignement doit être seulement celui qui peut le trouver par sa propre intelligence. (…) il ne s'agit pas, en effet, d'enseigner clairement quelque chose, mais de montrer le mode même par lequel la vérité se manifeste dans une clarté qui dissimule.
(La mythologie de l'antiquité à la modernité. Jean-Pierre Aygon, Corinne Bonnet, Cristina Noacco. PUR)
… la réécriture du mythe antique offre « le moyen d'écrire ce qui ne peut s'écrire », « comme si les mythes antiques étaient seuls capables d'exprimer la filiation et la mort, le lien de la filiation et de la mort. »
( J. le Brun. Fénelon : un fils tué. Droz 2004)
Harmonie, alphabet et solfège, une grammaire musicale, nombres, lettres et syllabes illustrent le rapport de l'âme au savoir. La « dunamis », la puissance propre à la dialectique, se déroule « comme dans un rêve ».
(Musiques et danses dans l'Antiquité. Marie-Hélène Delavaud-Roux. Presses Universitaires de Rennes)
Parler ou écrire d'ailleurs, c'est pour les nains, pour ceux qui n'ont pas reçu le don de la musique.
(Et si on dansait ? Erik Orsenna. Le livre de poche. Stock 2009)
« Parmi les manifestations les plus frappantes de ces croyances, de ces rites, est le rôle immense de la Parole, surtout bien dite, « juste voix » du Nom, du Nom sacré et secret ; prononcé avec exactitude le mot qui désigne, qui définit pour la pensée un être, un objet, c'est les créer ou, s'ils existaient déjà, les dominer. » (Georges Raynaud : Les dieux, les héros et les hommes du Guatemala ancien)
(Légendes du Guatemala. Miguel Angel Asturias. Folio 1953)
Est-ce réellement la pauvreté qui nous pousse hors de nos frontières ou l'impossibilité de dire ce que nous sommes exactement ? L'impossibilité de nous créer dans nos propres pays, l'impossibilité d'y accomplir nos propres identités, l'impossibilité de nous prendre véritablement en charge. Nous, pris dans la langue de nos bienfaiteurs, (…) pris dans la langue d'un monde qui n'existe pas, (…) les mots suspendus à un avenir de rente et de placement.
Ici, en Occident, la mort du verbe est occultée par les slogans, les pubs et toutes ces belles choses de la vie quotidienne. On peut vivre hors du verbe en avalant tous ces programmes stupides de la télé, on peut vivre hors du verbe dans le virtuel des jeux, des forums de discussions où l'on se pavane, orgueilleux de son intelligence, de sa pertinence et impertinence, dans la vanité du travail et de la réussite, dans l'or, dans l'apparat, prendre rêve et personnalité parmi les stars, ou hommes ou femmes médiatiques, autres intellectuels habiles au discours. On ne nomme plus, on se fond dans une langue déjà faite, qui rassure, flatte, fait passer le temps, fait oublier la mort, masque la déchéance. Exactement ce qu'il faut à beaucoup d'entre nous les damnés, vivre dans l'insouciance, la mort de la pensée et des interrogations perpétuelles.
Le silence ne peut être oubli. L'absence de mots ne peut être éradication de la mémoire. (…) La langue du présent, comme éternelle soumise, se donne bien trop souvent aux désirs des dominants. Prendre pause alors et distance instaurer. Prendre silence et se laisser dépouiller de la possibilité immédiate de dire. (…) L'oubli nous unit dans cette peur vague du passé…
(Les cauchemars du gecko. Raharimanana. Vents d'ailleurs 2011)
Plus la vie en société se durcit et plus le discours est pacifié.
(Disours mou, société dure. Francis Doidy. Le monde 10 février 2006)
C'est alors que m'est tombée dessus toute l'horreur de Paris, toute l'horreur de la langue française, (…) de notre condition de métèques…
Toutes les langues, tous les murmures ne sont qu'une manière seconde de préserver notre identité dans une époque livrée aux aléas.
(Les détectives sauvages. Roberto Bolano. Folio 2006)
On dirait la grise litanie d'un chœur de moines (…) litanie de terre, de sueur, de poussière, litanie de la nuit cherchant le jour, depuis que la terre est terre, infinissable (…) Je sens autour de moi, présent, presque palpable, tout ce qui s'est retiré de notre monde blanc, depuis que les mots sont devenus des sachets vides, depuis que nous avons désincarné le verbe.
(L'expédition Orénoque Amazone. Alain Gheerbrant. Gallimard 1952)
… le chaman (…), en tant que médiateur, raconte en extase le sens du groupe…
(Souci de soi, conscience du monde. Raphaël Liogier. Armand Colin 2012)
L'air ambiant est à l'oralité dévorante, la jouissance sans limites. Nous avons glissé vers le matriarcat, comme si la société était un gros sein, dispensateur de tous les biens possibles. (…) Les papas poules sont des secondes mamans, d'où la surconsommation qui est une dépendance addictive qui peut pousser son principe jusqu'à l'effondrement. (…) « Profiter » est un leitmotiv principal. (…) Les slogans publicitaires vous font croire que tout est possible. Ils réduisent l'écart entre la pulsion et le réel. La jouissance conçue comme éternelle de l'enfant s'épanouit lorsque la réflexion disparaît ou n'est pas apparue. L'image domine outrageusement le langage.
(Dominique Barbier. Nexus novembre 2013)
… l'énergie qu'il avait en réserve et qui était restée jusque-là obscure, aveugle ; énergie prête à s'épanouir à condition qu'il croie à ce qu'il disait…
… il mourrait sans dire un mot, ce qui était la preuve qu'il était devenu un homme…
(Christophe et son œuf. Carlos Fuentes. Gallimard 1990)
… il n'y a pas le même bonheur à parler qu'à rester muet.
Elle n'arrive pas à comprendre qu'un artiste ne parle pas pour ne rien dire et n'écoute pas les bavardages inutiles.
(Requiem pour un autre temps. Krishna Baldev Vaïd. Infolio 2012)
… il se pourrait bien que les mots, et même pire encore les arguments (…) soient devenus trop lents pour la vitesse du monde de la modernité tardive. Les modèles capitalistes de distribution sont donc devenus plus ou moins inaccessibles ou imperméables aux revendications de justice : alors qu'il est extrêmement difficile d'évaluer les arguments pour ou contre certains modèles de distribution, ces modèles sont tout simplement construits et reconstruits à une vitesse désarmante par le flux des courants socio-économiques.
(Aliénation et accélération. Hartmut Rosa. La Découverte 2012)
Tout ce qui subsiste de l'existence physique et sociale des morts doit être détruit ou oblitéré : leurs possessions, leurs traces, l'usage de leur nom et les cendres de leurs ossements. Ce travail (…) constitue ainsi un effort, toujours précaire, pour garantir la séparation entre le monde des morts et celui des vivants. (…) Contrevenir à ce devoir primordial aurait condamné les revenants de leurs proches à errer entre deux mondes et les vivants à souffrir les affres d'une mélancolie infinie bien pire que la mort elle-même.
Il rapporte des propos venus d'autres terres qui nous sont inconnues (…) Ils voient des choses que nous ne connaissons pas !
Cet homme est vraiment devenu esprit ! Les paroles de ses chants nous sont inconnues !
Aujourd'hui, tous ces discours sur les Blancs font obstacle à nos pensées. La forêt a perdu son silence (…) Leurs mots entrent dans nos pensées et les assombrissent.
Nos anciens chamans possédaient des paroles sur les Blancs depuis toujours. (…) Ils avaient déjà contemplé leur terre lointaine et entendu leur langue emmêlée bien avant de les avoir rencontrés.
Maintenant que les Blancs ont inventé leurs paroles d'écologie, ils ne doivent pas se contenter de les répéter en vain pour en faire de nouveaux mensonges.
Aucun prix, je l'ai dit, ne peut acheter la terre, la forêt, les collines et les rivières. Leur argent ne vaudra rien contre la valeur des chamans et celles des xapiri. (…) Depuis qu'Omama les a données à nos ancêtres, nous conservons les paroles des esprits afin de nous protéger.
(La chute du ciel. Davi Kopenawa. Plon 2010)
Les Taulipang (…) pensaient que chaque homme possédait cinq âmes, « pareilles aux hommes mais sans corps, l'une dont le départ pouvait provoquer la maladie et la mort, une autre plus légère et une troisième plus légère encore, la quatrième très légère mais encore une ombre. La cinquième âme est la seule douée de parole. » (…) Seule « l'âme qui parle » rejoignait l'autre monde après la mort ; une autre restait avec le cadavre et une troisième se transformait en oiseau de proie.
Les Shipaya croyaient que l'âme possédait deux parties : l'une (…) était l'enveloppe de l'autre et l'équivalent du fantôme. Les chamanes traduisaient le nom de l'autre partie par langage, coeur d'une personne.
Selon les Apapocuva-Guarani, deux âmes coexistaient en chaque homme. L'une (…) était de nature paisible et douce, et avait un appétit insatiable pour les végétaux. L'autre était une âme animale (…) qui logeait dans le cou d'une personne ; cette âme conditionnait le tempérament d'un individu.
[Les Apapocuva-Guarani] recourent au chant à la moindre difficulté ou même lorsqu'ils se sentent déprimés. Il est très rare qu'une seule nuit ne se passe sans que quelqu'un entonne un chant magique. (…) le premier ancêtre [ona] qui inventa le chant était capable de tuer un cétacé et de le ramener jusqu'au rivage par ce seul moyen. (…) dans la mythologie des Witoto (…) les mots, c'est-à-dire les chants, étaient considérés comme plus importants que les dieux, parce que sans les rites et les fêtes au cours desquelles ils étaient chantés, les dieux ne pouvaient rien réaliser.
(Ecrits d'Amazonie. Alfred Métraux. CNRS Editions 2013)
Tout ce qui peut être dit peut être dit différemment. Mais dire différemment la même chose, c'est dire autre chose.
(Quand le moi devient autre. François Laplantine. CNRS Editions 2012)
« Dans toute étude de la pensée indienne il faut prendre en considération ce qui n'aura pas été dit. L'expression entière et complète n'est pas coutumière chez l'Indien. L'élément non prononcé peut être l'objet d'une compréhension mutuelle dont rien ne transparaît dans les mots... » (Frances Densmore)
(Pieds nus sur la terre sacrée. TC Mac Luhan. Denoël 1974)
… il est possible que le livre soit le dernier refuge de l'homme libre.
(André Suarez)
« Il n'y a donc pas à opposer le symbolique et le réel, puisque c'est la façon dont l'expérience mystique colore les représentations symboliques qui les rend réelles... » (Kech)
« Rien n'est étrange comme un paysage canaque vrai – j'entends vu sous l'angle canaque – où chaque pierre a un nom, une histoire, une vie, on pourrait même dire une personnalité, à cause de l'esprit enfermé en elles. Souvent, dans les vallées, je me suis fait nommer chaque détail du terrain, chaque arbre remarquable ; le paysage se transposait en un plan impossible à transcrire sur une carte et où chaque nom était une tête de chapitre. » (M Leenhardt)
« Là où finit la connaissance certaine, la mythologie commence. Mais le passage est tout à fait insensible. C'est nous qui mettons une différence entre le naturel et le surnaturel, autant que nous le permet notre connaissance des lois de la nature. Mais, pour l'Eskimo, cette différence n'existe pas. » (Birket-Smith)
Que de fois, dans des civilisations plus avancées que les leurs, ne s'est-on pas senti fortifié par l'expérience dans des croyances qui, plus tard, ont été reconnues vaines !
… sans les mythes, les légendes, les contes, et tout ce qui est inséparablement associé dans la vie mentale et en particulier dans les émotions des primitifs, en un mot sans la tradition, il serait tout à fait impossible de rendre compte d'une expérience mystique (…). Mais la tradition, à son tour, implique la vie en société, et que ce soit une société d'hommes, c'est-à-dire que ses membres pensent et parlent, de sorte que chaque génération soit capable de transmettre à la suivante le précieux patrimoine reçu par elle de la précédente.
… l'expérience des primitifs a pris un double aspect. En tant qu'ordinaire, elle les fait vivre et se mouvoir dans la réalité ambiante. En tant que mystique, elle les met au contact d'une réalité différente. (…) Si l'expérience n'avait jamais révélé à l'homme d'autre réalité que celle du monde sensible où il est plongé, sans doute son activité mentale serait-elle demeurée foncièrement semblable à celle des autres animaux supérieurs (…). Rien ne l'aurait incité à s'élever au-dessus de la réalité immédiatement sentie et perçue (…). Que les choses puissent être autrement qu'elles ne sont, cette idée ne pouvait naître que de l'expérience mystique…
(L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs. Lucien Lévy-Bruhl. Dunod 2014)
La parole prononcée est d'argent, celle qui n'est pas prononcée est d'or.
(La guerre et la paix II. Tolstoï. Folio 1972)
Si par la fiction nous parvenons à capturer les racines sauvages, invisibles dans la vraie vie (…), pourquoi se soucier des vérités de surface ?
Ainsi « Chez Zhang, clés » était rebaptisé « Grande serrurerie du bourg de Zhalie ». Un « Wang, tailleur » devenait « Univers de la couture du Bourg de Zhalie ». De même les petits restaurants, les gargotes et jusqu'au marchand des rues avec son triporteur, celui à qui il suffisait autrefois de graver les caractères « Poulet rôti » sur la vitre et auquel les gens (…) demandaient à présent d'y renoncer pour quelque chose du genre : « Maître rôtisseur du bourg de Zhalie ». Ou s'il s'agissait de galettes : « Roi de la galette du bourg de Zhalie ». La plus humble boutique de nouilles et de pain était obligée de se déclarer « Au palais des saveurs anciennes de Zhalie » ou « Congrégation des gourmets du bourg de Zhalie ». Enfin, des noms ronflants et hauts en couleur qui devait illustrer la prestance et la puissance, la magnificence et l'héroïsme inhérents à ce village devenu bourg.
(Les chroniques de Zhalie. Yan Lianke. Philippe Picquier 2015)
Mamihlapinatapai, en yagan, langue amérindienne parlée en Terre de Feu, est réputé l'un des mots les plus difficiles à traduire. Il signifie un regard échangé entre deux personnes dont chacune espère que l'autre va prendre l'initiative de quelque chose que toutes deux désirent, sans qu'aucune des deux n'y parvienne.
(Traduire Shakespeare. Jean-Michel Déprats. Le Monde Diplomatique septembre 2016)
Aton est un « dieu » qui semble démuni de la plus fondamentale des capacités de la personne, le don de l'expression, partant de la pensée.
(La religion d'Akhénaton : monothéisme ou autre chose? Christian Cannuyer. Deus Unicus. Brepols 2014)
… cette innocence que donnent les sentiments qui n'ont pas encore été abîmés par les paroles.
(Les pigeons de Paris. Victor del Arbol. La contre allée 2016)
Les mots sont des brouillons qui ne peuvent transpercer la réalité (…). Les choses importantes n'ont pas besoin d'être dites pour être vraies, parfois le silence est la seule vérité possible.
(Toutes les vagues de l'océan. Victor del Arbol. Actes Sud 2015)
... nous choisissons dans le fatras de possibilités, de probabilités, d'irréalités et d'étrangetés, une seule structure que nous nommons "réalité" et sur laquelle nous nous reposons pour pouvoir vivre.
... la douleur est un des autres noms de la réalité.
(Solénoïde. Mircea Cartarescu. Noir sur Blanc 2019)
... qu'est-ce que l'humilité? C'est l'humus, la terre humide, imprégnée de la salive divine d'où a été créé l'être humain. Est homme (...) qui est fait d'humus.
(Le symbolique, le Sacré et l’Homme. Henri de Lumley. CNRS Editions 2019)
... le fascisme dépendait de la contamination et de la destruction causées par une langue à la fois faible et forte, incapable de dire la vérité, parce que planant au-dessus d’un vide qui ne peut se reproduire que par duplication. La vérité du fascisme est ce qui n’a ni preuve ni fondement, ce n’est qu’une parodie, un dédoublement éternel au-dessus du vide, un monde sans correspondance ni fin. C’est une langue qui reproduit ce qu’elle suppose que l’autre veut entendre et le séduit comme un miroir sonore. Il est difficile d’en sortir indemne. Dans le meilleur des cas, les illusions s’envolent. Dans le pire, on se noie dans une illusion mortelle, comme Narcisse dans le lac.
(Sympathie pour le démon. Bernardo Carvalho. Métailier 2016)
La réalité se trouve en quelque sorte aliénée dans la fiction des mots...
L'homme délègue son être au langage.
... les mots sont la réalité en différé.
... la vérité insaisissable de la condition humaine, dont l'expression est à la charge des poètes.
... conjurer par le mythe et les liturgies le danger du délire (...). Aujourd'hui, le langage est vécu et théorisé comme pure information, les sciences laïcisées ont recyclé les doctrines démodées à travers la sophistication technique de la notion de message. Cependant, le seul fait d'interroger le monde, fût-ce par le truchement de machines toujours plus perfectionnées, témoigne de l'inéluctable impératif scénique.
(Pierre Legendre. Argumenta et Dogmatica. Mille et une nuits 2012)
De façon générale, les Yakoutes attribuent au verbe et à la prosodie chantées des vertus miraculeuses. La parole humaine à leurs yeux possède une force intérieure propre à attirer l'attention des esprits.
(Gavriil Ksenofontov. Les chamanes de Sibérie et leur tradition orale. Albin Michel 1998)
... dans cette maison, chacun vivait de son côté, oui de son côté, il n'y avait pas de joyeux désordre ni de discussions enflammées, seulement ce silence qui tombait, humiliant.
(Malacqua. Nicola Pugliese. Do 2018)
... la violence peut aussi pousser à la mort du Verbe fondateur, socle du pouvoir. (...) La violence peut enfin conduire à la mort de soi, par suicide physique, ou intellectuel en imaginant des systèmes destructeurs de tout ce qu'il peut y avoir d'humain chez l'homme.
(Dieux et hommes, modèles et héritages antiques, volume I. Jacques Bouineau. L'Harmattan 2018)
… on ne cherche son semblable que pour se trouver soi-même, pour se reconnaître dans la forme externée de soi qu’est l’autre… Le bavardage le plus insipide révèle la soif d’amour ; l’homme ne parle que pour s’assurer qu’il est bien deux, ne serait-ce qu’avec lui-même.
(Y Delege)
Les religions et les Etats, les entreprises et les pays n’existent après tout que dans notre tête, dans les histoires que nous racontent nos chefs et que nous racontons à nous-mêmes. Personne n’a jamais rencontré « la France ». Personne n’a jamais serré la main à « l’Église catholique, apostolique et romaine ». Mais cela ne fait rien tant que nous avons le sentiment d’être partie prenante de telles fictions.
(Humanité. Rutger Bregman. Seuil 2020)
… un mythe est un lieu vide, que remplit la culture de l’époque. Il est adapté par les générations successives à leurs propres conceptions religieuses, idéologiques et éthiques.
Spinoza (1677) considérait que l’Homme était prisonnier de son imaginaire. S’il perçoit les choses et forment des notions universelles, c’est à partir de données filtrées par les sens, ou encore des signes, autrement dit des ouï-dire. (…) Il est impossible de vivre hors du mythe : le mythe détermine le sens, le sens informe notre vision du monde, notre vision du monde inspire et étaye le mythe. A l’instar de l’art selon le peintre Paul Klee (1920), le mythe ne reproduit pas le visible, il rend visible. Le langage, qui remplace la réalité, se substitue à ce qu’il nomme, rendant indiscernables les murs qui nous entourent.
(…) Le mythe crée pour lui un espace de liberté, néantisant le monde objectif et créant à sa place un monde nouveau à partir des signes de l’objet contemplé (Sartre, 1940). Face au vide, nous n’abandonnons un mythe que pour nous hâter d’en adopter un nouveau.
Ce que nous apprend l’étude de la mythologie à cet égard, c’est qu’Homo Sapiens est une espèce affabulatrice qui croit dans ses mensonges.
(Cosmogonies. Julien d’Huy. La Découverte 2020)
Depuis la Libération, il n’est pas un progrès de l’organisation capitaliste de la vie qui n’ait été précédé de sa légitimation de gauche.
(Orwell anarchiste tory. Flammarion 2020)
Le mythe est un récit qui cherche à rendre compte de phénomènes difficilement compréhensibles concernant, par exemple, l’origine, le présent ou l’avenir. Le mythe organise la compréhension des actions et des relations sociales, individuelles, collectives… La mythologie est le reflet de la structure sociale et des rapports sociaux.
(Carole Fritz. Dossiers d’archéologie janvier 2021)
Soyez prudent lorsque vous parlez. Vous créez le monde autour de vous avec vos mots.
(Navajo)
Le langage des Blancs doit être très fluide, car ils peuvent faire passer le bien pour le mal, et le mal pour le bien.
(Black Hawk. Sauk)
La sécularisation de nos modes de vie et de nos imaginaires, les transformations des liens familiaux et des formes de dépendance, la vulgarisation des idées de la médecine au XIXème siècle et de la psychanalyse au siècle dernier, les séquelles de tous les romantismes rendent opaques les catégories et les émotions des débuts de l’âge moderne.
(Conversation avec un métis de la Nouvelle Espagne. Serge Cruzinski. Fayard 2021)
… la cosmogonie bambara postule l’existence d’un vide originel appelé gla d’où sortit une voix, le verbe, qui, en exprimant son intention de créer, produisit son double et s’unit à lui.
(Jean Loïc le Quellec. Natives été 2021)
… en nommant, il a l’illusion de créer.
(L’aventurière de l’Etoile. Christel Mouchard. Tallandier 2020)
La seule façon de continuer est de raconter une histoire et il n'y a pas d'autre moyen. Vos enfants ne survivront pas si vous ne leur racontez pas quelque chose sur eux-mêmes...
(Partition rouge. Points 1988)
... les gens se dirent: "Qui sont ces personnes étranges et d'où viennent-elles?" et en parlèrent beaucoup, suivant la sotte coutume de notre peuple.
... la grande épopée de la création, récitée par un prêtre masqué et magnifiquement paré. (...) Elle est retenue et transmise mot pour mot par quatre prêtres, et si l'un d'entre eux meurt, un autre membre de la société du Kâ'-kâ prend aussitôt sa place. Un de ces prêtres répète l'intégralité de ce poème rituel (...). Chaque récitation dure six heures (...).
... en mai, le "mois sans nom".
Ainsi, lorsque par exemple, on doit donner un nom à un enfant appartenant à l'un de ces clans totémiques, il faut engager une démarche de divination pour déterminer quelle sera sa relation aux créatures et à l'être divin d'une région ou d'une autre (...). Car on estime essentiel que cette relation sacrée soit symbolisée, d'une façon ou d'une autre, dans le choix de son nom totémique...
... les langues originelles de l'homme, pour le moins variées, sont nées jadis déjà ordonnées et constituées avant même leur naissance, comme le sont aujourd'hui les enfants des hommes.
... du "vocabulaire dont nous sommes obligés de nous servir pour la description et l'analyse des processus de la mentalité primitive. Il est tout à fait inadéquat, et risque à chaque instant de les fausser. Il a été construit par des psychologues, des philosophes, des logiciens formés par la doctrine aristotélicienne et aussi peu fait que possible pour l'étude de processus qui sont loin d'être semblables à ceux qu'Aristote se proposait pour objets." (Levy-Bruhl)
(Tenatsali ou l'ethnologue qui fut transformé en Indien. CNRS Editions 2022)
... réel et réalité ont des acceptions proches, désignant ce qui existe indépendamment du sujet, une manifestation autonome des choses qui n'est pas un produit de la pensée. Les théories scientifiques, elles, sont des produits de la pensée.
(Croire au monde qui nous entoure. Philippe Pajot. La Recherche octobre 2022)
... la réalité des phénomènes est souvent trop complexe pour faire l'objet d'une représentation lisse et exhaustive. Partant, la finalité des modèles ne doit pas être de décrire fidèlement cette réalité, mais de rendre son appréhension moins opaque en trouvant les moyens mathématiques d'esquiver sa complexité.
(Jimmy Degroote. La Recherche octobre 2022)
Est-ce bien l'intelligence qui nous distingue le plus de Neandertal? Ce qui nous différencie le plus de lui, ne serait-ce pas plutôt notre aptitude à élaborer et conter des récits complexes? Nous sommes l'espèce fabulatrice: Homo narrans.
"Quand une nouvelle pensée mobilise les mots, elle retrouve en réalité en eux des pensées déjà faites, qui l'enveloppent à son insu, qui l'emportent là où elle ne croyait pas aller." (Jean Ladrière)
Le terme "symbolique" est trop souvent utilisé par les archéologues dans un sens très vague, qui n'est qu'une "façon de masquer l'ignorance, non pas d'un auteur, mais de l'ensemble de la communauté scientifique." (Delporte 1996)
"La capacité symbolique a été représentée pendant des siècles comme une dotation spécifique ou une improvisation réservée à l'Homme, ce qui assurait à la théologie la faculté de maintenir son emprise territoriale avec l'assentiment tacite d'une science qui, plus ou moins consciemment, rejetait encore les implications ultimes du continuisme phylogénétique et de son consubstantiel matérialisme." (Tort 2019)
... "le symbolique, dans sa préhistoire animale, se définit, sur le modèle de tous les caractères sexuels secondaires hyper-développés, comme un excès de signes surexprimant la puissance et dissimulant un affaiblissement réel de la qualité même qu'il exhibe." (Tort 2019)
Ce concept d'hypertélie s'applique parfaitement à l'humanité, qui a converti le désavantage de sa trop grande faiblesse native (absence d'armes naturelles, longue dépendance des enfants...) en dispositifs culturels dont le développement lui a permis de devenir l'être vivant le plus dangereux de tous... y compris pour lui-même.
... l'approche psychanalytique en général, qui repose sur une recherche s'assumant comme non scientifique, ainsi que le rappelle Robert Neuburger, (...) quand il déclare que "la raison est l'ennemie de toute recherche psychanalytique".
... l'ensemble des commentaires publiés par les psychanalystes sur les arts paléolithiques: ils relèvent de la mythologie contemporaine, et prouvent avant tout que les images pariétales restent agissantes dans notre propre société. (...) C'est même toute la psychanalyse que l'on peut regarder comme une fabrique de mythes, ainsi que l'a fort bien vu Lévi-Strauss.
... "l'usage symbolique de termes comme mana, tabou, totem et chamanisme pourrait bien être considéré comme une maladie initiatique (chamanique) de notre érudition". (Mihaly Hoppal)
... l'érudition risque toujours de contribuer à la construction de systèmes réunissant des faits sélectionnés, gauchis et/ou abusivement généralisés, comme ce fut plus récemment le cas chez Carl Gustav Jung...
(La caverne originelle. Jean-Loïc le Quellec. La Découverte 2022)
Le langage humain possède cette faculté créatrice, cette puissance de réification qui consiste à donner le sentiment de réalité quand seul le mot qui prétend la désigner existe. L'énoncé d'une abstraction, inventée de toutes pièces, suffit presque aussitôt à en faire oublier l'origine subjective.
(Débauches antiques. Christian Georges Schwentzel. Vendémiaire 2023)
... si la gravité se comporte conformément à la théorie de la relativité générale d'Einstein, la matière noire doit exister!
Le problème est-il donc résolu? Pas du tout! Le fait que nous ayons trouvé de fortes présomptions de l'existence de la matière noire et un nom accrocheur ne signifie pas que nous soyons plus avancés sur sa compréhension.
La matière qui nous entoure, que nous percevons comme solide et compacte, est en réalité composée de minuscules "îlots" de masse séparés par un "océan" d'espace presque entièrement vide.
(Entre deux infinis. Gianfranco Bertone. Quanto 2023)
... dans son sens premier, le mythe est un récit proposant une explication sur les origines cosmiques et culturelles "qui sous-tendent les institutions assurant la survie et le maintien de la société, (le mythe) représente ainsi, symboliquement, le rapport qu'entretient l'humanité avec son environnement et avec les entités surnaturelles qui le contrôlent" (P Mac Cana). (...) il incarne une puissance vitale. Il exprime les modes de pensée à travers lesquels un groupe définit et formule sa conscience identitaire (...). C'est sous l'influence des mythes que l'homme vit, meurt, et, bien souvent, tue. Le mythe opère en faisant remonter au temps présent un passé sacré qui se trouve paradoxalement "hors du temps".
Il ne donne rien à son fils Oengus (le Mac Oc ou "le fils jeune"), qui est pourtant à la recherche d'un logis, lui accordant seulement un jour et une nuit dans le "brug". Or Oengus en prend possession, déclarant que "le monde entier est jour et nuit, et c'est ce qui m'a été accordé".
... Oengus obtient le "brug" grâce au pouvoir des mots, c'est-à-dire une agilité ou magie verbale impliquant la manipulation du temps.
(L'archéologie et la mythologie celtique. John Waddell. Sidestone 2022)
Langues et religions sont toutes deux (...) "créatrices de mondes" (...). Si les langues fournissent des structures fondamentales de communication, les religions font quelque chose d'analogue: car même si elles ne constituent sans doute pas des "visions du monde", leurs "jeux de langage" fondent des conceptions différentes du monde, de la vie et des façons d'agir.
Le "fonctionnement" des "jeux de langage" religieux requiert en outre des ensembles plus étendus, structurés de manière narrative: les "grands récits". En font partie, par exemple, les récits de la création du monde ou ceux qui portent sur les époques les plus reculées de l'histoire, où ont pris forme les pratiques culturelles.
(Zarathoustra et sa religion. Michael Stausberg. Les belles lettres 2022)
Nul prix ne s'attachera plus au serment tenu, au juste, au bien: c'est à l'artisan de crimes, à l'homme tout démesure qu'ira leurs respects; leur seul droit sera la force, la conscience n'existera plus. Le lâche attaquera le brave avec des mots tortueux, qu'il appuiera d'un faux serment. (...) contre le mal, il ne sera point de recours. (Hésiode)
... "l'entreprise scientifique relève aussi du monde des histoires (story) et des mythes que les autres (...) elle n'est ni meilleure ni pire que les autres "histoires et mythes"." (N. Chomsky)
Le mythe est donc intemporel, polymorphe tel Protée, et polysémique (...). Sans auteur connu, il est généralement constitué de représentations collectives qui se manifestent dans les institutions, les mœurs, les jeux, le langage... D'ailleurs le langage tout comme le mythe permet de découper, d'organiser, de classer et de bien ordonner le monde et permet à l'homme de le domestiquer et de s'y situer. (...) Le mythe persiste toujours car il répond à un besoin toujours réel chez l'homme de comprendre le monde, de l'ordonner, de le maîtriser. (...) D'ailleurs qu'est-ce qui n'est pas mythologique dans notre vision du monde?
(Une mythologie berbère. Hassane Benamara. L'Harmattan 2022)
"... le bois interdit des jeunes filles invincibles dont nous tremblons de prononcer le nom, et près desquelles nous passons sans regard, sans voix, sans parole, en n'usant que d'un langage, celui du recueillement." (Sophocle)
(Au plaisir des dieux. Adeline Grand Clément. Anacharsis 2023)
Mais le créateur dut vite admettre que tous les Hommes devaient dormir (...). Il vint donc un matin et poussa d'abord un cri de vie. Personne ne lui répondit. Puis il cria: "Mourez! Mourez!" Ce fut le moment que choisirent les êtres humains pour se réveiller et lui répondre par l'affirmative. C'est pourquoi, depuis ce jour-là, les Hommes meurent.
... nous ne sommes jamais seuls avec notre pensée, car les mots et les jeux de langage dont nous avons hérité constituent la condition même de celle-ci.
(L'aube des mythes. Julien d'Huy. La Découverte 2023)
... le geste de l'homme soufflant sur la vulve de sa partenaire, à la sortie de l'édifice, n'est pas sans évoquer la conception ésotérique du vent et de la parole, assimilée à une projection de sperme.
... un des noms du diable est (...) "mangeur de nom", le manducateur de toute créature humaine.
(La moitié du monde. Jacques Galinier. PUF 1997)
Le vrai nom de Yambuane, son nom secret ou "nom de tombe", est "N'Senné", ce qui signifie: "J'ai cherché en vain" ou "J'ai souffert dans ma quête".
Sa bouche tremble. Mais elle tremble constamment. Soit parce qu'il a perdu presque toutes ses dents, soit parce qu'il "retient dans son ventre la moitié de ses paroles".
Bien que la nudité soit de tradition, je n'ai jamais vu d'homme regarder avec insistance une femme. Si l'un d'eux croise une jeune fille s'aspergeant à un marigot, son regard glisse sur elle, il ne la salue pas, feint de ne pas l'avoir vue. (...) Il faut croire que le spectacle seul de l'union d'un couple recèle une puissance dévastatrice - l'accouplement animal rappelant l'acte sexuel indifférencié - pour qu'il soit confiné dans le "no man's land" du non-dit.
Pour un Otammari, se taire signifie se mettre à l'écoute, comme le chasseur qui, prostré dans la brousse, tient en éveil son ouïe, "le sens de la nuit". Faire silence devant la maison de deuil, c'est se mettre à l'écoute de la nuit. Ecouter souffler le vent à travers les tiges de mil, les branches nues des baobabs, les herbes de la plaine.
En assimilant la vraie mort d'une personne à la disparition de son souvenir de la mémoire des vivants, les Batammariba ont fait reculer la frontière de la mort sur une distance prodigieuse, introduisant un espace de liberté où (presque) tout devient possible. A condition de se souvenir. De se souvenir de ses morts.
Un défunt a besoin que son nom, en lequel s'incarne désormais son "diyuani", continue à être invoqué par une voix humaine.
... une vérité que, pour ma part, je ne fais qu'entrevoir. Seul le rite nocturne d'un "tibènti" parvient à l'exprimer, mais dans le langage impossible à traduire des trompes et des tambours, au travers des gestes des Vrais Hommes.
Qu'apprend un enfant-opon auprès de ses amis les arbres? A rebours des initiés, il s'initie seul, avant d'avoir atteint l'âge du "difwani", aux forces de la terre. De retour au village, il ne dit rien du lien qui les unit, ni leur manière de communiquer. Mais quand ses parents le voient revenir l'air calme et heureux, ayant "tout oublié de sa folie", ils se doutent que dans la brousse, quelque chose a renouvelé ses forces.
A celui qui arrive, ou revient, pour peu qu'il ne pose pas de questions à l'Otammari assis à ses côtés, ne manifeste pas d'impatience, sera offerte la faculté rare, propre aux Batammariba, de se taire avec lui. Et dans ce silence s'exprime la "façon d'être des Otammari".
... la langue maternelle, inflencée par le milieu, l'histoire et même les composantes physiques ou sensorielles, détermine la vision de la réalité.
... la manière dont ils se taisent pendant la nuit d'un "tibènti". C'est alors qu'ils redeviennent ce qu'ils sont, peuple du vent et de la nuit, à l'écoute des voix de leurs morts et de "ceux de sous terre", ces esprits qui s'incarnent dans certains arbres, sources ou pierres.
"Les nobles hommes silencieux sont le sel de la terre, disait Carlyle, et le pays qui n'a pas de ces hommes ou qui en a trop peu... est une forêt qui n'a pas de racines, toute tournée en feuilles et branches, qui bientôt doit se faner." Avons-nous perdu en Occident l'aptitude à nous taire?
(Le souffle du mort. Dominique Sewane. Plon 2020)
Umberto Ecco identifie l'usage de telles copies, faites pour paraître (presque) réelles, comme un des traits distinctifs de la postmodernité qui repose, selon lui, précisément, sur le recours constant à ce qu'il nomme le "faux authentique" (...) leur fausseté, leur caractère décalé et le fait qu'ils renvoient à leurs origines sur le mode de la citation plutôt que de l'identification contribuent (...) à la construction de l'identité dilatée de ceux qui les mobilisent.
(Corps rituels. Agnieszka Kedierska Manzon. Maison des sciences de l'homme 2023)
"Tout ce qui s'exprime par symbole peut tenir sur une marche d'une coudée."
Il employait pour le mot symbole, une expression composée dont le sens littéral était "parole de ce bas monde".
... on évitait (...) de parler aux femmes écrasant le fruit du Lannea acida, car on eût compromis, par la voix, la limpidité de l'huile. (...) C'était donc un morcellement infini, une mise au carreau du sol sous les pieds des hommes, comme s'ils l'avaient organisé pierre à pierre, motte à motte, l'imprégnant de leur vie, l'imprégnant de noms, le reconstruisant à leur image, donnant à chaque établissement, symboliquement, l'ordonnance de la première terre organisée autour du point de chute du grenier céleste.
Il entendait que mettre un vêtement c'était se couvrir des paroles du Nommo de rang sept. Il entendait aussi, et surtout, que mettre des parures, pour une femme c'était se travestir en Nommo Septième.
"Le pagne est serré pour qu'on ne voie pas le sexe de la femme. Mais il donne à tous l'envie de voir ce qui est dessous. C'est à cause de la parole que le Nommo a mise dans le tissu. Cette parole est le secret de chaque femme et c'est cela qui attire l'homme. (...) Etre nu, c'est être sans parole."
C'est que jeter un nom, c'est jeter une forme, un support, la forme la meilleure, le support le plus apte à recevoir la force vitale de l'être. En jetant la parole, l'orateur projette certes une force qui provient de lui, que porte la buée sortie de sa bouche, qui se confond avec la buée. Mais cette force ne fait que préfigurer celle de l'invoqué, elle l'informe, elle la met en voix. Et cette forme, qui sera la meilleure pour l'appelé, va comme piéger sa force vitale, va l'obliger à comparaître, va surgir à la voix.
"L'animal est supérieur à l'homme, car il est de la brousse, et il n'est pas astreint au travail. Beaucoup de bêtes se nourrissent de ce que l'homme cultive avec peine." Il allait même jusqu'à dire que les animaux étaient plus perfectionnés que les hommes, attendu qu'ils n'avaient pas la parole. Entendait-il par là que la parole, véhicule du progrès, fondement de l'organisation du monde, était finalement une calamité?
En parlant à une femme on la féconde. Ou du moins en introduisant en elle un germe céleste, on la met en état d'être humainement fécondée.
Le même verbe, qui prédisposait les matrices à l'union, attirait les hommes dans les plis du pagne dont chaîne et trame enserraient dans leurs fils les paroles des huit ancêtres.
"Frapper les graines, c'est frapper brutalement les forces, c'est-à-dire la parole, qu'elles contiennent." Ainsi les chants forment un réseau sonore dans lequel vient se prendre la force bénéfique, la bonne parole extraite par la violence.
"Le frappement du fonio, c'est comme si un homme égorgeait une victime sur un autel." (...) La graine (...) contenait bonne et mauvaise parole. Ce qu'elle avait de bon en était extrait et mêlé aux chants; ce qui était mauvais restait en elle, tombait au sol avec elle sous les coups des fléaux, tombait comme un sang. Comme dans le sacrifice, il y avait la séparation des principes spirituels de la victime; avec les chants était captée la bonne vertu; dans les graines répandues restait le mauvais principe, le sang menstruel représentant la dette due à la terre.
(Dieu d'eau. Marcel Griaule. Fayard 1966)
Les Joséphins ont donc utilisé le langage pour se couvrir et non pour se découvrir, et la plupart de leurs tournures et de leurs proverbes révèlent que l'on voit le visage mais que l'on ne connaît pas le cœur
(Les barrières de la solitude. Luis Gonzalez. Plon 1982)
Fa, c'est la "Parole perdue", que chaque devin tente d'approcher, de reconstituer, d'attraper: (...) c'est littéralement "le père qui possède les secrets".
(Vaudou. Philippe Charlier. Plon 2022)
Tant qu'on n'est pas initié, tant qu'on ne porte pas le labret, on n'est qu'un embogi, un pénis. Mais c'est justement à partir du moment où, porteur de labret, le jeune homme passe au groupe des betagi et cesse d'être embogi, c'est alors précisément qu'il peut se servir de son pénis et séduire les femmes (...) l'homme, c'est son sexe, et le moment où un kybuchu n'est plus qualifié par son pénis, c'est bien celui où l'on reconnaît qu'il en a un. Double et même dissimulation du langage qui nomme la chose absente et la masque présente: on est un pénis tant qu'on n'en a pas, on cesse de l'être dès qu'on en possède un.
... moyennant la fidélité aux mots et aux gestes de toujours, le monde reste rassurant, il écrit la même prose, il n'est pas énigmatique.
Là-même gît le secret, et le savoir qu'en ont les Indiens: l'excès, la démesure sans cesse tentent d'altérer le mouvement des choses, et la tâche des hommes, c'est d'œuvrer à empêcher cela, c'est garantir la vie collective contre le désordre. On ne peut être à la fois enfant et adulte, kybuchu et séducteur de femmes, c'est l'un ou l'autre, l'un après l'autre, d'abord on est Pénis, ensuite Labret: on ne doit pas laisser les choses se confondre, les vivants ici, les morts là-bas, les enfants d'un côté, les initiés de l'autre.
... les mois passés loin de sa femme avaient calmé son courroux, il n'était plus "sans corps", hors de lui...
Les maris sont d'ailleurs identifiés par la partie du corps de l'épouse qui leur est affectée.
... le grand mythe d'origine de toutes les tribus guarani, qui raconte les aventures des jumeaux divins, Notre Frère Aîné et Notre Frère Cadet. Tout le malheur des hommes et leur condition d'habitants de la Terre Mauvaise, proviennent de ce que la mère des jumeaux, doublement grosse des œuvres de son époux, le dieu Nanderuvusu, et de son amant, Notre Père qui sait les choses, refusa d'écouter ses enfants qui, de ses entrailles, s'adressaient à elle: "Comment! Toi qui es encore à naître, tu me parles?" Et elle s'appliqua une claque violente sur le ventre tendu. Ulcérés, les enfants ne lui dirent plus rien, elle se trompa de chemin, parvint chez les jaguars qui la dévorèrent: l'histoire du monde était commencée, elle dure encore.
Les Aché, quant à eux, écoutent parler les enfants. Ils ne pourraient pas s'en passer.
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)
La langue chamanique est secrète.
Le nom est, en effet, comme une sorte d'âme qui met le nouveau-né ou l'adulte en communication immédiate avec le défunt patronyme. (...) Le nom relie, allie.
L'enfant porteur du nom d'un mort est bien le mort réincarné: l'esprit de ce mort aide l'enfant dans son adolescence.
... intime croyance que le "dire" fait perdre de sa force à la pensée et à l'énergie qui la sous-tend. Le regard ou l'éloquence du silence suffit.
Les charmes, transmis en secret d'angakkoq à angakkoq, relèvent sans doute d'une langue archaïque proto-esquimaude. Ils viennent du fond des âges. Les chasseurs savaient alors parler aux bêtes et les filles des Inuit étaient engrossées par les chiens pour donner naissance aux peuples du monde. (...) La loi des lois respectée ici est de ne jamais contrarier le courant des forces, de la force vitale (sila) aux aspects multiformes.
... nommer, c'est s'octroyer un pouvoir de vie ou de mort sur qui l'on a nommé, comme si la création était liée au langage parlé ("Au commencement était le Verbe", dit la Bible).
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)
L'heure était propice à répéter sans trêve, afin de n'en pas omettre un mot, les beaux parlers originels: où s'enferment, assurent les maîtres, l'éclosion des mondes, la naissance des étoiles, le façonnage des vivants, les ruts et les monstrueux labeurs des dieux Maori. Et c'est affaires aux promeneurs-de-nuit, aux haèré-po à la mémoire longue, de se livrer, d'autel en autel et de sacrificateur à disciple, les histoires premières et les gestes qui ne doivent pas mourir.
... il composait avec grand soin ces faisceaux de cordelettes dont les brins, partant d'un nouet unique, s'écartent en longueurs diverses interrompues de nœuds réguliers. (...) Cette tresse, on la nommait "Origine-du-Verbe", car elle semblait faire naître les paroles. (...) les Dires consacrés se suivaient à la longue d'eux-mêmes, dans sa bouche, comme se suivent l'un l'autre en files continues les feuillages tressés qu'on lance à la dérive, et qu'on ramène, à pleines brasses, chargés de poissons miroitants.
Car on sait qu'aux changements des êtres, afin que cela soit irrévocable, doit s'ajouter l'extermination des mots, et que les mots périssent en entraînant ceux qui les ont créés.
Car le Récit a cette puissance que toute douleur s'allège, que toute faiblesse devient force à dire les mots. Car les mots sont dieux.
"Vous avez perdu les mots qui vous armaient (...) Vous avez oublié tout... et laissé fuir les temps d'autrefois... Les bêtes sans défense? Les autres les mangent! Les Immémoriaux que vous êtes, on les traque, on les disperse, on les détruit!"
(Les Immémoriaux. Victor Segalen. Points 1907)
« En vérité, quoi que tu aies appris, ce ne sont que des noms. »
Les deux plans, individuel et spirituel (divin), ne doivent pas être posés en termes dualistes, car « l’Homme conscient, un et sans parties, ne peut se dupliquer ». Il ne peut y avoir qu’identité de l’un et de l’autre, car il s’agit de forme : la forme est l’espace de la différence, elle ne fonde aucune différence.
Tout ce qui est humide, il l'a créé de sa semence, et c'est le Soma. (...) Ce monde était alors indifférencié; Il n'est différencié que par nom et forme, on dit: "Il est ce nom, il est cette forme".
On dit: "Je n'ai pas vu, j'avais l'esprit ailleurs; je n'ai pas entendu, j'avais l'esprit ailleurs", car c'est par le mental qu'on voit, par le mental qu'on entend. (...)
Dieux, ancêtres, humains ils sont aussi: les dieux sont la parole, les ancêtres sont le mental, les humains sont le souffle.
Père, mère et enfant ils sont aussi: le père est le mental, la mère est la parole, l'enfant est le souffle.
(...) quoi que quelqu'un connaisse, c'est une forme de parole, car la parole est le connu. (...)
Quoi que quelqu'un désire connaître, c'est une forme de mental, car le mental est ce qu'on désire connaître (...)
Quel que soit ce qu'il ne connaît pas, c'est une forme de souffle, car le souffle est l'inconnu.
La terre est corps de la parole et ce feu ici, sa forme de lumière. (...)
Le ciel est corps de ce mental et le soleil là-haut, sa forme de lumière. (...) Les deux formant couple se sont unis et de cela est né le souffle. (...)
Les eaux sont corps de ce souffle et la lune là-haut, sa forme de lumière.
Ce monde en vérité est une triade: nom, forme et acte. La parole est l'uktha, la récitation (...). Elle est le saman, la mélodie, parmi eux car elle est égale à tous les noms (...). Ainsi est pointée la nature du monde comme flux de transmigration dont la sphère est l'ignorance.
La parole en vérité est un preneur. Elle est saisie par le nom, c'est le repreneur, car on prononce les noms par la parole. (...)
Le mental en vérité est un preneur. Il est saisi par le désir, c'est le repreneur, car on désire des désirs par le mental. (...)
... quand un homme meurt, qu'est-ce qui ne le quitte pas? Son nom, dit-il, un nom est sans-fin, et les-tous-les-dieux sont sans-fin.
Le brahman en vérité est parole (pensant), celui qui ne parle pas, que peut-il être?
Mais quand le soleil est couché, Yajnavalkya, que la lune est couchée, que le feu est éteint, quelle lumière est l'homme?
- La parole est sa lumière...
Sa est une syllabe; ti une syllabe; yam une syllabe. La première et la dernière syllabes sont réalité; celle du milieu est chaos. Ce chaos est bordé de chaque côté par la réalité, il devient ainsi plus principalement réalité.
Le visage de la réalité
est recouvert d'un vase d'or...
Et pour celui qui sait ainsi: comme préservation dans la parole; acquisition et préservation dans le souffle-vers-le-dehors et le souffle-dedans; action dans les mains; mouvement dans les pieds; évacuation dans l'anus - ce sont les appellations humaines.
Voici les appellations divines: comme contentement dans la pluie; force dans l'éclair;
gloire dans le bétail; lumière dans les étoiles; descendance, immortalité, félicité dans l'organe génital; totalité dans l'espace.
Je suis poète. Je suis poète. Je suis poète.
Je suis le premier-né de l'ordre,
avant les dieux, dans le nombril de l'immortalité.
Le désir "asa" signifie précisément "le désir d'une chose désirable qui peut être obtenue et qui n'est pas inconnue, au contraire de "pratiksa", l'attente, qui est l'attente d'une chose désirable qui peut être obtenue, bien qu'inconnue.
"Viraj" est le premier-né du dieu Brahma ayant divisé son corps en part féminine et masculine. (...) Le feu est Viraj (...), mais [il] est aussi un principe féminin, actif et lumineux et comme tel, il est ici placé dans l'intelligence d'éveil des hommes de connaissance.
Le Soi, sache-le, est le maître du char,
le corps est le char lui-même,
sache que l'intelligence est le cocher
et le mental, les rênes.
(...) La traduction ne peut rendre compte de ce que dit la langue, du lien linguistique qui lit le maître du char et le cocher. Le char se dit "ratha", le maître du char se dit "rathin", littéralement "celui qui possède un char" - c'est le Soi -, et le cocher "sarathi", littéralement "celui qui est avec le char", mais l'on entend "sa-rathi", soit "celui qui est avec le maître du char, qui a relation avec le maître du char, le Soi".
A celui qui sait ainsi, l'enseignement secret est: "Il ne doit pas demander."
En vérité, aussi longtemps qu'un homme parle, il ne peut respirer. Alors il fait offrande du souffle dans la parole. Aussi longtemps qu'un homme respire, il ne peut parler. Il fait alors offrande de la parole dans le souffle.
"Seigneur, combien de dieux supportent la créature? Lesquels l'illuminent? Lequel d'entre eux est le meilleur?"
Pippalada lui dit: "L'espace en vérité est ce dieu - l'air, le feu, l'eau, la terre, la parole, le mental ...
(Les Upanisad. Alyette Degrâces. Fayard 2014)
... une sorte de sacralisation du droit romain qui "correspond à une forme d'emprise maximale de l'écrit (savant, latin, romain) sur la parole publique. Si les juristes parlent comme des livres" (Pierre Thévenin), s'il existe un "lien intime entre le droit et la langue" (Marie Cornu), c'est bien parce que nous sommes là à la genèse même de la force spécifique du droit, à ce qui est constitutif de son identité et de son exceptionnel pouvoir structurant.
... leurs "compétences sociales associées à l'érudition et à l'élégance du verbe", de leur "éloquence rhétorique" ou encore de leur "culture savante" indissociable de leur appartenance à la "culture des classes supérieures". (Dzovinar Kevonian)
(L'esprit politique des savoirs. Jacques Commaille. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2023)
Les forces surnaturelles ne doivent jamais être appelées ouvertement par leur nom quand leur pouvoir est à son apogée, pas plus qu'on ne peut prononcer le nom d'un homme en s'adressant à lui: ce serait un sujet d'embarras qui le mettrait involontairement à la merci de son interlocuteur.
Le texte des chants, en tembé archaïque et difficile, lui échappait, comme à tous les Urubu.
De l'aveu de Meister Eckhart, "les théologiens s'accordent à dire que Dieu le Père conçut sa propre nature quand Il créa le Verbe éternel et toutes les créatures".
A quoi rimait cette cérémonie où personne ne s'était orné de plumes? Où on ne s'était pas saoulé? Où nul n'avait entendu le nom du bébé, ni répété ce nom après le parrain pour être sûr de le savoir? Où personne, enfin, n'avait dansé ni chanté?
(Aimables sauvages. Francis Huxley. Plon 1980)
Celui-là sait tendre (la fibre), (il sait) tisser,
il dira ce qui est à dire selon la juste norme...
"Voilà l'œuvre du Taureau-Vache.
Les dieux ont mesuré à l'aide des noms le compagnon de la Vache."
Quel est celui dont le fils dirait ici ce qui est à dire,
au delà de (ce qu'a fait), en deçà, son propre père?
Tel qui a des yeux n'a pas vu la Parole,
tel qui a des oreilles ne l'entend point.
Pour tel autre, elle a ouvert son corps,
comme fait pour son mari l'épouse consentante, bien parée.
(Hymnes spéculatifs du Véda. Louis Renou. Gallimard 1956)
... Yama a manifesté la force poétique qui était en lui: le chemin est aussi bien découvert que créé, comparable en cela au poème védique qui résulte simultanément d'une révélation (le poète a "vu" le poème et l'a traduit en paroles), d'une inspiration (le poète a l'enthousiasme et la présence d'esprit nécessaire au travail poétique) et d'une construction (le poète "tisse", "charpente" son œuvre). (...) le chemin vers l'au-delà est aussi œuvre de langage; il est fait des paroles que les survivants doivent prononcer pour que le défunt accomplisse sa transformation en Père et parvienne à sa destination.
Les institutions de la vie n'ont de sens que si on les rapporte à la mort. La pure inéluctabilité de la mort est retravaillée, repensée, dans la mythologie et la spéculation védiques, de manière à former un cadre juridique et social qui la rende intelligible.
(Le jumeau solaire. Charles Malamoud. Seuil 2002)
... les trois oblations consécutives sont chez l'homme les trois parties du sexe mâle. Et la plus longue des trois récitations qui accompagne ces oblations est la partie la plus longue du sexe mâle.
... Prajapati arda l'Ardeur. Il créa les Eaux, à partir de la Parole, c'est-à-dire à partir du monde. (...) elle pénétra toutes choses ici-bas. (...) elle recouvrit toutes choses...
Une des données essentielles, la plus profonde peut-être de la condition humaine, c’est qu’il n’y a pas de relation naturelle, immédiate et directe entre l’homme et le monde, ni entre l’homme et l’homme. (Benveniste) (1963 : I-29)
Ce qui fait lever le soleil, ce qui à chaque instant crée à nouveau l'univers tout entier, et le perpétue en chacune de ses parties, c'est l'énergie mise en oeuvre dans le sacrifice, c'est le brahman. (...) Le brahman n'est donc pas à proprement parler présent partout pour le bénéfice de tous: il entre dans tel objet, tel animal, tel homme lorsqu'est prononcée la parole de consécration...
L’Âme prend les formes qu'elle veut; elle est aussi rapide que l'esprit, véridique lorsqu'elle conçoit, douée de toutes les odeurs, de toutes les saveurs; elle emplit tous les orients, elle pénètre toutes choses, et cependant reste muette, indifférente.
(Mythes et légendes extrait des Brâhmanas. Jean Varenne. Gallimard 1967)
« Que si l'on veut identifier Mercure avec la parole (comme font ceux qui dérivent Mercure de "medius currens", parce que la parole court au milieu des hommes; et c'est pourquoi, selon eux, Mercure s’appelle en grec Ermes, parce que la parole ou l’interprétation de la pensée se dit ermenia, d’où vient encore que Mercure préside au commerce, où la parole sert de médiatrice entre les vendeurs et les acheteurs ; et si ce dieu a des ailes à la tête et aux pieds, c’est que la parole est un son qui s’envole ; et enfin le nom de messager qu’on lui donne vient de ce que la parole est la messagère de nos pensées), tout cela posé, que s’ensuit-il, sinon que Mercure, n’étant autre que le langage, n’est pas vraiment un dieu. » (Augustin)
(Le culte de Mercure en Afrique. Nacera Benseddik. Tautem 2024)
La parole n’est pas seulement un souffle. Celui qui parle a quelque chose à exprimer. Mais ce quelque chose n’est jamais tout à fait déterminé par la parole.
C’est en fixant le réel fuyant et continu en des noms fixes et distincts que l’homme parvient à se [re?]présenter les choses telles qu’elles sont.
Quiconque est l’esclave de ses passions éructe ses paroles comme s’il vomissait.
« Ils sont véridiques sans savoir ce qu’est la loyauté ; ils tiennent parole sans connaître la valeur de l’engagement. Ils s’entraident sans considérer qu’ils font des libéralités. C’est pourquoi leurs actes ne laissent pas de traces et pourquoi leur histoire n’est pas transmise à la postérité. »
Le livre n’est composé que de mots. Ce qu’il y a de précieux dans le mot, c’est l’idée. Mais l’idée relève de quelque chose qui est ineffable.
Ce que les Anciens n’ont pu transmettre est bien mort et les livres que vous lisez ne sont que leur lie.
« Ce qu’on ne peut exprimer en paroles, c’est le gros des choses ; ce qu’on peut atteindre en idées, c’est le fin des choses. Tout ce qu’on ne peut exprimer en paroles et qu’on ne peut atteindre en idées dépasse à la fois le fin et le gros. »
« Eh, dit le fou courbé, je le sais et vais vous le dire », mais tout en voulant parler, il oublia ce qu’il voulait dire. [note6] Le fou courbé représente symboliquement une étape de l’expérience métaphysique, étape où l’être se présente lumineusement et indubitablement et où il est quelque chose de très négatif et de presque rien qui fuit toute fixation du langage.
(…) celui qui sait ne parle pas ; celui qui parle ne sait pas.
Le fou courbé symbolisant l’être concret et indivis jugea que le Souverain Jaune dans sa critique du langage connaissait la vraie valeur du langage dont le rôle ne consiste pas à exprimer adéquatement la vérité, mais à la suggérer de manière indirecte.
Tout ce qui peut s’exprimer en paroles et se former en idées s’écarte de la vérité première. (…) Si la parole ne suffit pas, nous pourrons parler toute la journée sans sortir du domaine des êtres.
L’enfant n’a pas besoin d’un grand maître pour apprendre à parler ; il lui suffit d’être avec des gens qui savent parler.
La parole sert à exprimer l’idée ; quand l’idée est saisie, oubliez la parole. Comment pourrais-je rencontrer quelqu’un qui oublie la parole, et dialoguer avec lui ?
Les paroles de circonstance qui s’écoulent tous les jours comme d’un vase qui déborde conformément à la loi naturelle, se multiplient constamment afin de pouvoir s’adapter à toutes les circonstances changeantes de la vie humaine.
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)
C’est le dieu de l’orage, le dieu aux bras de foudre, maître des eaux, qui féconde la terre. A droite, (…) une figure réniforme symbolisant l’oreille, est pénétrée par une flèche (…) l’arme du sacrifice (…). Elle peut symboliser aussi le message, celui adressé par les orants au maître des eaux qui écoute.
(Les gravures rupestres du Bego. sldd Henry de Lumley. CNRS Editions 2024)
… un grand prêtre au Cuzco, le Villac umu (« le devin ou sorcier qui parle »)…
La première coupe de cheveux constituait un rite important qui s’effectuait lorsque l’on donnait leur nom définitif aux enfants, vers 10 ou 12 ans ; les cheveux coupés étaient précieusement conservés.
(Les Incas. Peter Eeckhout. Taillandier 2024)
… la « science opérative des lettres » (sîmîya) (…) n’est pas (…) simplement une pratique divinatoire : elle agit sur l’homme à travers la lecture et le sens caché des mots. (…) la divination pratiquée pour Norouz permet donc une transmutation de – et par – la parole. (…) on peut atteindre ce « mystère des lettres » que – selon le savant algérien soufi Ahmad Al-Bunî – la « raison discursive » ne suffit pas à nous faire percevoir ?
(Le matin des dieux. Salvatore D’Onofrio. Editions Mimésis 2018)
… on ne pouvait s’adresser la parole avant le bain du matin.
… il y avait de multiples façons de prolonger la conversation autour de l’objet ou du service désiré. (…) le refus n’étant pas nettement formulé, ce genre de conversation pouvait durer fort longtemps, montrant à l’évidence que l’objet était désiré sans que le désir en soit explicité.
De toute évidence, pour les Abron, du moins à Diassenpa, le seul sens du mont « Ntoro » était : sperme. On n’en parlait pas, même entre hommes. Prononcer ce mot devant des femmes était commettre un grave impair.
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)
Avec des écoles « de fortune », nous avons fait des lettrés « de fortune » qui, privés de leurs très anciens et très vivants moyens d’expression, paraissent souvent des machines à parler tournant à vide.
… cet abandon au fleuve des mots, cette difficulté à maîtriser la pensée…
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)
L’unité de notre culture reste essentiellement tributaire de la formulation de problèmes unificateurs, c’est-à-dire de nature à effacer les partitions académiques du savoir (…), donc à vaincre, grâce à leur fonction relationnelle, la durable emprise de la tendance positiviste à la particularisation et à la fragmentation.
« Mais aujourd'hui la nature de nos esprits civilisés est si détachée des sens, même chez le commun des hommes, par toutes les abstractions dont sont remplies les langues avec tous leurs mots abstraits, elle est si affinée par l’art d’écrire et spiritualisée pour ainsi dire par la pratique des nombres, puisque même le vulgaire sait compter et calculer, qu’il nous est naturellement refusé de pouvoir former la vaste image de cette femme que certains appellent la « Nature sympathique » (…) ; il nous est aujourd'hui de la même façon naturellement refusé de pouvoir entrer dans la vaste faculté imaginative de ces premiers hommes (…) nous pouvons à peine comprendre, et absolument pas imaginer, comment pensaient les premiers hommes qui fondèrent l’humanité païenne. » (Vico)
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)
… un pouvoir contenu dans le nom d’un être ou d’une chose. Dès la « première fois », les êtres animés comme les choses sont créés parce que le démiurge prononce leur nom. L’existence de tous et tout dépend de ce nom. (…) Avoir la connaissance du nom d’un être, divin ou humain, c’est avoir du pouvoir sur lui, c’est accaparer sa puissance, sa magie, ses capacités, en bref sa personne entière.
« … c’est quand on énonce son nom à haute voix qu’un homme vit. » (…) Et la Majesté de Râ dit : « Donne-moi tes oreilles, ma fille Isis, afin que mon nom sorte de mon ventre vers ton ventre. »
« Je suis celle qui t’a créé, je suis celle qui t’a envoyé. (…) Le poison est mort grâce aux paroles d’Isis la Grande, la Maîtresse des dieux, qui connaît Râ par son propre nom. »
« Ces savants qui annonçaient l’avenir, ce qui est sorti de leur bouche s’est réalisé. C’est dans leur discours, écrit dans leurs livres, qu’on le trouve. (…) Ils ont dissimulé leur magie à l’humanité, mais cela est lu en tant qu’enseignement.
Ils s’en sont allés, leur nom a été oublié, mais ce sont les écrits qui permettent que l’on se souvienne d’eux. »
(Lettres égyptiennes. Michel Dessoudeix. Actes sud 2025)
… ces torts et préjudices qui circonscrivent la créature varient tellement en espèce, en degré, en couleur : et sont doués d’une aptitude infinie à induire en erreur : étant d’autant d’espèces que cela qui est donné à recevoir et à percevoir, et est matière à réaction et à réflexion, dans un registre donné des sens et de l’intelligence sensible : tout ce qui est « physique », tout ce qui est de « l’esprit », tout ce qui est des « émotions », tout ce qui est « l’économique » et le « mental » et le « glandulaire » et l’état « médical », tout ce qui est de la « foi » et de « l’habitude », et de la « moralité », et est de la « peur », de « l’orgueil, besoin d’amour », de « chaleur », d’être « approuvé », et tout ce qui s’attache aux « significations », des « idées », « mots », « actions », « choses », « symboles » …
… on ne peut écrire qu’un mot à la fois, et s’il semble qu’il ne doive s’agir que de listes et d’inventaires, de choses en elles-mêmes mortes, dépourvues de réciprocité magnétique, et si elles disparaissent à la vue, perdent le mouvement, le nombre, l’intention ...
Si ce n’est qu’il s’abuse sur lui-même, il n’y aurait pas à mettre le journalisme en accusation ou à le mépriser ; c’est-à-dire s’il n’était en son énorme pouvoir d’accréditer ses propres illusions auprès du public, et ainsi de faire accroire qu’il dit la vérité, même s’il lui arrive de la dire. (…) le journalisme n’a pas à être blâmé ; et pas plus qu’une vache ne peut être blâmée de ne pas être un cheval. La différence tient au fait, et c’est la raison pour laquelle on peut respecter la vache, en tout cas, l’approuver, qu’assez peu de vaches s’abusent sur elles-mêmes au point de se prendre pour des chevaux (…), et qu’aucune d’entre elles ne réussirait dans ce faire-accroire (…). La semence du journalisme, au contraire, son sang même, tiennent en une forme épanouie du mensonge, et en un faire-accroire qui a son succès.
… la seule tentative d’examiner ma propre confusion consumerait des volumes.
(Louons maintenant les grands hommes. Agee/Evans. Plon 2017)
Connaître le nom d’un être, c’est connaître son essence. Car le nom est étroitement lié au monde créé, puisque le [langage] est d’origine divine.
« … c’est le verbe de la déesse, tout autant que ses flèches, éléments tangibles de son intervention sur terre, qui apportent aux humains leurs maux. » (S. Sauneron) (…) « Methyer prononça sept propos pour amener la création à l’existence. Ces émanations verbales s’incarnèrent pour devenir les prototypes des dieux du temps, de l’écriture et de la construction des temples. (…) Or, dans le même temps, certains textes assez importants en nombre vont [les] montrer hors de leur rôle bénéfique. (…) Ils deviennent alors des génies destructeurs agissant en groupe, mais totalement autonomes. » (J.-C. Goyon)
Le lien entre le cœur et la parole est une conception proprement égyptienne : « Le cœur comme centre de l’intelligence et de la volonté est l’organe qui invente et conçoit les phénomènes que l’autorité de la parole mettra à exécution. (…) Le cœur et la langue sont les organes créateurs du monde... » (S. Bickel)
(Le papyrus des sept propos de Mehet Ouret. Yvan Koening. Institut français d’archéologie orientale 2024)
Dans le cadre de cette culture [grecque] l’immortalité ne pouvait prendre que deux formes : ou une immortalité « sociale » par le maintien dans la mémoire collective du nom, (…) ou l’élaboration d’une nouvelle catégorie « non-corporelle », l’âme, opposée au corps dans le corps, fixée en lui comme un élément étranger, une parcelle impérissable du divin.
Le dieu est situé dans les institutions qu’il instaure. Sa puissance, sa nature, son lieu propre, son essence, sa structure (…), il ne faut pas la chercher ailleurs que dans sa loi, c’est-à-dire dans la manière dont il manifeste l’ordre cosmique (le rta). En sorte que ce qu’il y a de plus concret et de plus individualisé dans le corps des dieux, ce sont les paroles védiques.
Le sujet taoïste est donc lui-même issu de la séance d’écriture primordiale ; il est lui-même signe, symbole, trace. Mais ce n’est pas son corps visible qui constitue sa forme véritable, son « je » ; c’est son corps de souffles, l’ensemble des esprits qui habitent son corps...
… Jésus-Christ, en imprimant « son nom autour de son cœur », lui donne de prolixes leçons, son Nom devenant l’acrostiche de pieuses devises ; bavardes, les « significations » s’accrochent à ce Nom, selon le mot du confesseur de la Mère Clément ; le corps de la religieuse est perdu sous les paroles.
… dans les biographies, une place de plus en plus grande prise par la maladie, les travaux du corps brisé, souffrant, mourant. Le martyre, ce thème central dans la vocation religieuse et dans l’imaginaire de la mortification, n’est perceptible qu’à travers une mise en scène du corps souffrant organisée par la médecine et la chirurgie. (…) présence du bourreau et de la victime, l’homme et la femme, ostension du corps ouvert et déchiré, l’acharnement, le fer, le feu, et, à l’entour, le cercle des religieuses figées dans une horreur priante. Désormais muets, sans Nom, les corps ne manifestent plus que leur expansion ou leur exténuation, selon le rythme de l’hydropisie et de l’étisie, au gré des maladies et des époques.
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)
« Quand Dieu nous rendra nos corps et notre chair – pas notre chair terrestre mais un corps allégé et glorieux, comme celui du Christ en son Ascension – nous n’aurons plus besoin de noms car nous aurons tous le même visage, les mêmes traits. (…) C’est cela l’égalité dans le Seigneur. » (Un ermite russe)
Toute l’histoire du théâtre grec est celle d’un nouveau langage. (…) D’un côté, le mythe devient histoire, d’un autre le récitant devient acteur. La parole se fait autonome et les silhouettes floues (…), les fantômes sans corps (…) deviennent des êtres (…) nantis d’un langage individualisé. (…) Alors, une fois apparus ce changement d’échelle, ce nouvel espace intérieur et ce nouveau regard, tout pouvait devenir théâtre. (…) C’est pour cela que dans mon essai sur Sophocle, j’ai comparé l’apparition du théâtre en Grèce à celle du cinéma : comme la naissance d’un art, d’un langage et d’un regard nouveaux impliquant une véritable mutation dans les consciences.
Car, dit l’un des plus vieux mythes égyptiens sur l’origine du monde, le mot et les organes qui le profèrent (langue, dents et bouche) sont la forme sonore et vibrante du sperme et des mains : eux aussi peuvent engendrer et façonner. Ici, ce n’est plus de sens qu’il s’agit (…) mais du son lui-même, de son énergie vibratoire, de sa profération.
André Breton disait qu’il ne faut pas confondre les livres qu’on lit en voyage et ceux qui font voyager.
… j’ai saisi brusquement ce matin-là sur cette plage, ce qu’est véritablement une langue, en tant que véhicule d’une histoire, d’une culture et d’une tradition. C’est la force inconsciente des mots (…) qui leur assure cette pérennité remarquable.
Le miracle (…) c’est qu’à travers les flux et reflux de son histoire, les aléas de sa culture, les continuels va-et-vient d’une population d’Argonautes éternels, la Grèce ait continué d’exister et de rester la Grèce. C’est là le vrai miracle à mes yeux : celui de ces enfants disant « charopalévi » ou celui que cite Séféris et qui, d’Homère à un paysan grec d’aujourd’hui formule avec des mots presque semblables : la lumière du soleil.
(L’été grec. Jacques Lacarrière. Plon 1975)
La magie verbale relève du domaine du sympathique et repose sur la conviction qu’il existe un lien entre la parole [prononcée] et la chose qu’elle désigne, (…) une force sui generis inhérente aux mots [koto-dama « esprit des mots »]…
Il s’agit bien ici de l’offrande d’un poème qui renferme le nom de la divinité, apaisant de la sorte la colère de celle-ci ; au fond, c’est l’idée qui veut que la connaissance du nom confère comme un pouvoir magique sur la personne ainsi désignée.
Ce poème (…) semble évoquer l’unité, la communion de toute existence dans une interminable suite de vies et de morts. (…) Le corbeau qui ne croasse point représenterait les lettres dans tous les textes sacrés (…). Ces lettres, sans voix, certes, parlent néanmoins, et tous les enseignements, ainsi que les paroles des anciens, transmettent à l’homme leur signification profonde.
(La sieste sous l’aile du cormoran. H.O. Rotermund. L’harmattan 1998)