… les êtres de ce monde étaient en partie des dieux cloîtrés, cristallisés, limités dans leur pouvoir (…) le cosmos est formé de deux types de matière : l'une subtile, imperceptible ou presque, à l'être humain dans des conditions normales et l'autre pesante qui peut être perçue normalement par les sens de l'homme. (…) Les êtres terrestres (…) sont une combinaison des deux matières : à leur composition lourde, dure, perceptible, ils ajoutent une intériorité, une « âme », de matière subtile semblable à celle des dieux…
Un jeu des essences se livrait à l'intérieur de chaque individu, où l'influence des dieux convertis en temps venait s'ajouter ou se soustraire à l'unité animique.
Les Tzotzil distinguent deux âmes dans le corps humains. La première, le ch'utel, est transcendante, tandis que la seconde, le wayjel, associe l'extériorité de l'individu à un animal et elle est indispensable à sa vie sur terre.
Les Otomi distinguent (…) deux âmes : la première est la force vitale et la seconde est appelée « souffle-âme » ou « ombre ». C'est cette « ombre » que l'homme partage avec un alter ego animal, par un lien issu de la moitié inférieure de son corps.
(Les paradis de brume. Alfredo Lopez-Austin. Maisonneuve et Larose 1997)


Nous pouvons aussi mourir lorsque des gens très lointains (…) flèchent nos doubles animaux (…) Ces doubles animaux, qui sont aussi ceux de nos ancêtres, vivent dans la forêt auprès de gens inconnus sur le haut rio Parima, autour d'une grande cataracte nommée Xama xi pora, protégée par d'innombrables nids de guêpes et les bourrasques d'un vent très puissant. (…) Notre véritable intérieur se trouve là-bas, à très grande distance de notre peau qui seule est présente, étendue dans notre hamac !
(La chute du ciel. Davi Kopenawa. Plon 2010)


C'est que l'individu ne naît pas complet ; il naît par fragments successifs, par étapes, de telle sorte qu'il ne meurt pas non plus en une seule fois, quand il rend le dernier soupir ; il meurt aussi peu à peu. L'homme n'existe en tant qu'homme, que lorsqu'il possède un certain nombre d'âmes, toute une stratification psychologique intérieure…
(Il y a des dieux. Frédérique Ildefonse. PUF 2012)


La tradition africaine considère que, dans la personne physique, il existe plusieurs autres personnes portant le nom de « doubles », chacun de ces doubles étant plus profond, ou plus « fin », que le précédent. (…) Les maladies sont censées résulter d'une perturbation de ces doubles. Lorsque la perturbation n'arrive pas à s'extérioriser en une maladie extérieure, elle devient maladie mentale.
(L'étrange destin de Wangrin. Hampaté Bâ. 10/18 1992)


Les Taulipang (…) pensaient que chaque homme possédait cinq âmes, « pareilles aux hommes mais sans corps, l'une dont le départ pouvait provoquer la maladie et la mort, une autre plus légère et une troisième plus légère encore, la quatrième très légère mais encore une ombre. La cinquième âme est la seule douée de parole. » (…) Seule « l'âme qui parle » rejoignait l'autre monde après la mort ; une autre restait avec le cadavre et une troisième se transformait en oiseau de proie.
Les Shipaya croyaient que l'âme possédait deux parties : l'une (…) était l'enveloppe de l'autre et l'équivalent du fantôme. Les chamanes traduisaient le nom de l'autre partie par langage, coeur d'une personne.
Selon les Apapocuva-Guarani, deux âmes coexistaient en chaque homme. L'une (…) était de nature paisible et douce, et avait un appétit insatiable pour les végétaux. L'autre était une âme animale (…) qui logeait dans le cou d'une personne ; cette âme conditionnait le tempérament d'un individu.
(Ecrits d'Amazonie. Alfred Métraux. CNRS Editions 2013)


L’âme avait été bousculée. C’est pourquoi le corps est tombé très malade. Car lorsque l’âme est atteinte, perturbée, celle-ci s’éloigne un peu du corps pour se réfugier dans les énergies du cosmos. Elle est une force naturelle qui peut, par exemple, aller se ressourcer dans les énergies de la forêt pour ramener de la vitalité à la personne. Mais heureusement, l’âme ne peut pas partir totalement avant la mort, elle va errer un peu partout, dans l’air, dans la forêt, dans les eaux… (…) Les danses et les chants sacrés te donnent le choix d’exclure le mauvais.
(Assossa Soumouna. Natives automne 2021)


... un certain tabou de l'Inde ancienne qui interdisait aux rois de marcher pieds nus, pour que leur puissance ne se disperse pas dans la terre. (...) on trouve un autre exemple dans une statuette de bronze représentant Mercure, dont le pied gauche est chaussé tandis que le droit reste à nu. S'il s'agit, comme cela a été dit, d'une représentation de Mercure en dieu psychopompe "guide des âmes" conduisant les morts vers l'Au-delà, le lien avec l'Autre Monde est évident.
(L'archéologie et la mythologie celtique. John Waddell. Sidestone 2022)


... certains masques de Colombie Britannique présentaient des affinités avec les séismes, les poissons et le cuivre. (...) L'assimilation du métal à des excréments, attestée au Japon, existe aussi chez les Athapaskan (qui l'appellent "excréments d'ours" ou "de castor") (...) les tremblements de terre et l'obtention du cuivre sont parfois liés aux morts. (...) les âmes des morts rejoignent les esprits surnaturels, et le maître des richesses. Son palais et son mobilier sont ainsi entièrement faits de cuivre.
Le double victorieux gravit une immense colline, au sommet de laquelle des femmes l'attendent. Elles le saluent et lui offrent des bananes. L'âme ne doit surtout pas accepter leur offre, ni même leur répondre ou les saluer, sous peine de dévaler la pente raide (...). L'âme serait alors précipitée dans la Fosse-sous-la-Terre, et amener à s'y dissoudre ou, plus rarement, se métamorphoserait en bête carnivore ou en dangereux serpent.
(L'aube des mythes. Julien d'Huy. La Découverte 2023)


... n'importe quel individu, homme, femme ou enfant, est capable dans certaines circonstances de faire franchir à son âme les limites étroites de la corporéité, afin de se mettre en relation dialogique directe avec le double d'un autre être de la nature, qu'il soit homme, plante, animal ou esprit surnaturel.
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)


Qui est le nouveau-né? Le défunt revenu chez les vivants? L'enfant qu'il a formé? Il est simultanément les deux. Il est le père, très vieux, dont le chemin passe par le labyrinthe de réincarnations successives, et l'enfant re-né de lui-même avec une force de vie intacte que n'alourdit pas la mémoire - c'est-à-dire l'ombre - d'autres existences, à l'instant où "il se lève" - où il naît - sa vie antérieure s'évanouit comme un rêve.
... il me jette un regard amusé et me fuit, évitant poliment l'objectif de mon appareil. Car j'ai encore ce laid réflexe d'Occidental, qui prétend se rendre maître de ce qui le dépasse, en l'emprisonnant dans une pellicule qu'il pourra manipuler à loisir. J'ignore que pour un "okwoti", toute surface réfléchissante a le don de capter l'ombre d'une personne, double de son souffle.
(Le souffle du mort. Dominique Sewane. Plon 2020)


... la mort libère l'âme du corps qui jusque là la retenait comme "prisonnière" incapable de nuire; mais elle refuse sa nouvelle liberté, elle cherche tout de suite à y échapper en essayant de trouver un autre corps, en tentant d'envahir celui d'un vivant. (...) Lorsque la mort a brisé l'unité vivante corps-âme, chacun des termes composants subsiste désormais pour soi, extérieur à l'autre, ils sont définitivement séparés.
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)


L'âme proprement dite est nommée ang, qui signifie littéralement ombre (...) un homme ne peut voir son âme que quand brille le soleil (ou plutôt le Soleil, puisqu'il s'agit de mythologie).
... l'âme, comme l'ombre, est la projection d'une image, autrement dit une image négative. Quand l'âme rencontre un esprit trop fort pour elle, elle perd ce sentiment d'appartenance solaire et se laisse dévorer.
(Aimables sauvages. Francis Huxley. Plon 1980)


Suivant [les doctrines des mystères], les âmes préexistent dans l'empyrée, et, lorsqu'elles s'abaissent vers la terre pour animer le corps où elles vont s'enfermer, elles traversent les sphères des planètes, et reçoivent de chacune quelques-unes de leurs qualité.
(Les Mystères de Mithra. Franz Cumont. WW 2023)


L’Âme prend les formes qu'elle veut; elle est aussi rapide que l'esprit, véridique lorsqu'elle conçoit, douée de toutes les odeurs, de toutes les saveurs; elle emplit tous les orients, elle pénètre toutes choses, et cependant reste muette, indifférente.
... lorsque la vie quitte quelqu'un, il meurt mais la vie, elle, ne meurt pas qui est identique à l'essence subtile. L'univers tout entier s'identifie à cette essence subtile, qui n'est autre que l’Âme! Et toi aussi tu es Cela...
(Mythes et légendes extrait des Brâhmanas. Jean Varenne. Gallimard 1967)


Le ciel et la terre sont le père et la mère de tous les êtres. Par leur union, ils forment le corps ; par leur séparation, on retourne à l’origine. Ainsi, qui garde l’intégrité de son corps et de son âme sait s’adapter à toute circonstance changeante.
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)


… selon la conception inca, le corps est tripartite et comprend les parties molles (viscères et autres), les parties dures (les ossements et l’enveloppe corporelle) et une troisième part, immatérielle, que l’on pourrait par facilité comparer à l’âme, et qui est parfois représentée ou conceptualisée sous la forme d’un insecte qui quitte le corps mais peut y revenir par la suite (…). 
(Les Incas. Peter Eeckhout. Taillandier 2024)


Tout individu se compose de bodgya (sang) et de kra (esprit). Le sang vient de la lignée féminine, et l‘esprit de la lignée masculine. Cette notion représente la combinaison des éléments mâles et femelles : du sang et du sperme, de l’esprit et du corps.
… l’âme (ngose), distincte de l’esprit, se scinde au moment de la mort en deux parties. L’une, le punungo, va au ciel et l’autre, le punungo bo bokogo (esprit du tabouret) investit un tabouret sculpté pour le défunt de son vivant.
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)


… nos préjugés culturels nous rendent imperméables au drame existentiel magique et nous empêchent d’en comprendre les thèmes caractéristiques.
(…) « Le mot « atai » - écrit Codrington – semble avoir eu, à Mota, le sens propre et premier de désigner quelque chose qui est lié à une personne de façon particulière et intime, et qui pour cela est sacré (…), l’homme a cru qu’il s’agissait de son reflet (reflection) de sa propre personne : celle-ci et son atai prospèrent, souffrent, vivent et meurent ensemble. »
L’âme se « perdrait » vite si une création culturelle, se référant à une tradition accréditée, ne permettait de redresser l’échine qui ploie sous l’anéantissement de la présence.
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)


Dans le cadre de cette culture [grecque] l’immortalité ne pouvait prendre que deux formes : ou une immortalité « sociale » par le maintien dans la mémoire collective du nom, (…) ou l’élaboration d’une nouvelle catégorie « non-corporelle », l’âme, opposée au corps dans le corps, fixée en lui comme un élément étranger, une parcelle impérissable du divin.
Les âmes tiennent à quitter la demeure du corps qu’elles considèrent comme une prison pour la bonne raison qu’elles ne sont rien d’autre que les gui, des esprits, ou des dieux qui reçoivent un sacrifice sanglant.
… « l’« âme » est-elle dans l’image ? » Le bodhisattva interlocuteur répond : »Elle n’y est pas. »
Sous terre donc, le souffle circule sous forme d’eau – l’eau vivifiante, fécondante – dans un vaste réseau de veines avant de remonter à la surface irriguer les champs ou former des nuages. A l’image de l’eau, l’homme appartient à la fois au ciel et à la terre et circule entre les deux : (…) il est composé de sept âmes « terrestres » (…) et de trois âmes « célestes » qui animent ses trois centres vitaux – le bas-ventre, le cœur, le cerveau…
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)


Kon-paku désigne deux types d’âmes : l’une spirituelle, subsisterait après la mort, séparée du corps, alors que l’autre serait plutôt une âme sensitive.
(La sieste sous l’aile du cormoran. H.O. Rotermund. L’harmattan 1998)