On naît et on devient chamane à la fois. Refuser d'assumer son destin, c'est-à-dire d'écouter les esprits, conduit à hâter la folie, à appeler la mort ; la persécution ouverte des esprits – ils vous apparaissent en songe ou à la fenêtre, volent le sommeil, etc. - est pire encore pour le malheureux élu que le faix de la charge assumée.
(Le chagrin de l'ours. Dominique Samson Normand de Chambourg. Indiens de tous pays 2010)


… nous, chamans, nous n'avons que faire de tels papiers de chants. Nous préférons garder la voix des esprits dans notre pensée. (…) j'ai vu moi-même, après nos anciens, les innombrables lèvres mouvantes des arbres à chants et la multitude des xapiri qui s'en approchaient ! Je les ai vus de très près, en état de revenant (…). J'ai vraiment entendu s'entrelacer leurs mélodies infinies !
… chaque fois que de nouveaux esprits arrivent auprès de nous, ils nous blessent avec la même violence. C'est ce qui, à force, rend les reins et la nuque des chamans aussi douloureux ! Ce sont ces parties du corps que les esprits préfèrent atteindre et les souffrances qu'ils nous imposent sont intenses.
Il rapporte des propos venus d'autres terres qui nous sont inconnues (…) Ils voient des choses que nous ne connaissons pas !
Cet homme est vraiment devenu esprit ! Les paroles de ses chants nous sont inconnues !
Ses esprits m'ont frappé de terreur. Ils m'ont fait traverser la poitrine du ciel de part en part, enveloppé dans une clarté aveuglante. (…) je suis parvenu si haut que j'ai eu peur de mourir !
Les Blancs ont déjà bien assez de métal pour fabriquer leurs marchandises et leurs machines ; de terres pour planter leur nourriture ; de tissus pour se couvrir ; de voitures et d'avions pour se déplacer. Pourtant, ils convoitent maintenant le métal de notre forêt pour en fabriquer encore plus (…). Les esprits du ciel hutukarari maintiennent [le souffle maléfique] encore à distance, loin de nous. Mais, plus tard, après ma mort et celle des autres chamans, son obscurité descendra peut-être jusque sur nos maisons et, alors, les enfants de nos enfants cesseront de voir le soleil.
… j'ai pu visiter en rêve l'endroit où vivent ces xapiri des ancêtres blancs dans la fraîcheur des hautes montagnes. J'ai ainsi pu connaître toutes sortes d'esprits étrangers aux danses magnifiques qui se sont réfugiés dans ces hauteurs depuis que les Blancs ont cessé de les appeler à eux.
Les xapiri s'efforcent de défendre les Blancs au même titre que nous. (…) Si (…) Omama, l'être du temps sec, s'installe chez eux à demeure, ils n'auront plus à boire que des filets d'eau sale et ils mourront de soif. C'est ce qui pourrait bien leur arriver ! Pourtant, les xapiri combattent avec bravoure pour nous défendre tous (…). Ils le font parce que les humains leur paraissent seuls et désemparés.
(La chute du ciel. Davi Kopenawa. Plon 2010)


Dans le Chaco, prévalait également la croyance selon laquelle tous les chamanes étaient choisis par un esprit qui leur apparaissait de manière soudaine. L'appel surnaturel se manifestait par une agitation inhabituelle, des tremblements et un comportement particulier.
Les Cagaba expliquaient la puissance magique des danses qu'ils exécutaient en affirmant qu'elles leur avaient été transmises par les esprits – ceux-là même qui causaient les maladies et d'autres troubles - , et que ces esprits étaient contraints de renoncer à leurs intentions malveillantes lorsque les danses étaient exécutées.
(Ecrits d'Amazonie. Alfred Métraux. CNRS Editions 2013)


… pour les Iakoutes, il y avait une dissociation du corps en une ou plusieurs composantes immatérielles, (…) l'existence, en plus du monde quotidiennement vécu, d'un « autre monde », l'idée que les êtres qui peuplaient ce « monde autre » étaient responsables des bienfaits de ce monde-ci et surtout de ses malheurs.
… un esprit qui torturait les vivants si l'une des composantes immatérielles (…) n'atteignait pas le monde des morts.
… un tuktuyè, boîte où les Iakoutes enfermaient l'esprit des morts décédés de façon non naturelle, car ils craignaient le retour des esprits malins…
(Vainqueurs ou vaincus ? Crubézy – Nikolaeva. Odile Jacob 2017)


… le réel est davantage que ce qui existe.
… le monde au-delà de l'humain n'est pas un monde dénué de sens, auquel les humains donneraient du sens. (…) L'animisme, l'enchantement de ces lieux autres qu'humains, est davantage qu'une croyance…
Selon les gens d'Avila, lorsque « les morts » vont « ucuta », à l'intérieur du domaine des esprits maîtres, ils deviennent « libres ». (…) A l'intérieur du domaine perpétuellement toujours déjà des maîtres de la forêt, les morts continuent à exister - libres.
… les gens d'Avila qualifient souvent la réalité du domaine des esprits maîtres d'« ucuta » (à l'intérieur), par opposition au domaine humain de tous les jours, qui est « jahuaman » (à la surface).
(Comment pensent les forêts. Eduardo Kohn. Zones sensibles 2017)


… les êtres de l'Autre-Monde ont toujours soit une taille anormale (nains ou géants), soit des tares physiques (boiteux, manchot, aveugle, etc.), soit un comportement bizarre …
… celui qui revient du pays des Fées constitue un danger redoutable puisqu'il connaît les secrets de l'Autre-Monde (…). Ainsi donc, l'Autre-Monde (…) n'est pas dans la même ellipse que le monde des humains, il est dans une sorte de « quatrième dimension », présente partout mais insaisissable, et dont la frontière est bien souvent invisible.
(La tradition celtique. Jean Markale. Payot 1975)


... les démons et les mauvais esprits sont invisibles, signalés seulement par une mauvaise odeur. Ils pénètrent en vous dans les entrailles et vous font gonfler le ventre.
üyor (âme des personnes mortes avant l'heure et transformées en mauvais esprit)
Avant d'aller dire ses incantations aux mauvais esprits, il commençait par s'adresser à tous les aïyy, esprits créateurs, en disant : "Comme les hommes et le bétail sont brimés par les mauvais esprits, pour les défendre je dois parler à ces derniers!"
(Gavriil Ksenofontov. Les chamanes de Sibérie et leur tradition orale. Albin Michel 1998)


… autochtones et Français de souche populaire partagent une sensibilité commune envers les forces invisibles qui régissent le monde. Imprégné de magie, le catholicisme de l’époque classique peut aisément se brancher sur l’univers animiste des Amérindiens pour créer un semblant de continuité. Brûlé, comme ses compatriotes du XVIIème siècle, croit aux pouvoirs des sorcières, des démons, des revenants et des loups-garous. Les Français, s’ils n’observent chez les « Sauvages » ni credo officiel, ni clergé, ni véritables lieux de culte, ne se trouvent guère décontenancés par l’omniprésence du sacré et de la magie.
(L’Amérique fantôme. Gilles Havard. Flammarion 2019)


La croyance à l'influence néfaste du mois de mai, qui existe en matière de mariage, et parfois de naissance, s'applique aussi à certaines cultures.
(Croyances, mythes et légendes des pays de France. Paul Sébillot. Omnibus août 2002)


Ainsi, lorsque par exemple, on doit donner un nom à un enfant appartenant à l'un de ces clans totémiques, il faut engager une démarche de divination pour déterminer quelle sera sa relation aux créatures et à l'être divin d'une région ou d'une autre (...). Car on estime essentiel que cette relation sacrée soit symbolisée, d'une façon ou d'une autre, dans le choix de son nom totémique…
(Tenatsali ou l'ethnologue qui fut transformé en Indien. CNRS Editions 2022)


Dans la Vie de Saint Hilarion, rédigé à la fin du IV° siècle, un épisode censé se dérouler aux alentours de Gaza sous le règne de Constance II est révélateur: un soldat de la garde impériale, dont il est précisé qu'il ne parle que le latin et le "franc", est possédé d'un démon; ce démon s'exprime, par la bouche du soldat, en un araméen parfait...
(Le Proche-Orient. Catherine Saliou. Belin 2020)


... s'ils tiennent compte de la fertilité différentielle des sols, les Indiens affirment aussi que la durée de vie et la productivité d'un jardin sont autant fonction des aptitudes magiques de la femme qui le travaille que des contraintes écologiques locales. Ces aptitudes sont spécifiées par l'expression "anentin" qui, appliquées à un individu, dénote tout à la fois l'ampleur de ses connaissances magiques, sa capacités à manipuler les champs symboliques propres à son sexe et les rapports particulièrement féconds qu'il entretient avec les esprits tutélaires gouvernant les sphères d'activités où il s'engage. (...) L'exigence constitutive de l'état "anentin" est la connaissance de nombreux chants magiques "anent" (...). Le terme "anent" procède de la même racine qu'"initai", "le coeur", organe dont les Achuar pense qu'il est le siège de la pensée, de la mémoire et des émotions (...). Les incantations "anent" sont donc des discours du coeur, des suppliques intimes destinées à influer sur le cours des choses.
Lorsqu'une femme joue le personnage de Nunkui dans un "anent", elle opère donc une mise en scène visant au captage des attributs de l'esprit tutélaire, tout en sachant pertinemment que leurs deux essences restent distinguées et que Nunkui ne vient pas s'incarner en elle.
En s'identifiant à Nunkui et en détournant une partie de l'autorité maternelle que celle-ci exerce sur les plantes cultivées, les femmes se représentent leur jardin comme un univers où règne la connivence de la consanguinité. Le peuple du manioc se constitue en enfant paradigmatique...
... les "anent" sont des trésors personnels jalousement thésaurisés et transmis seulement par des proches parents du même sexe (...). Il arrive parfois qu'on puisse les acquérir d'un esprit au cours d'un des "voyages" de l’âme, par exemple lors des rêves ou des transes induites par des hallucinogènes.
En s'identifiant à Nunkui, la femme achuar s'approprie de façon putative la relation de maternité entre Nunkui et les plantes cultivées. Nunkui n'est donc pas une terre-mère auprès de laquelle il faudrait quémander des fruits, mais le rapport social qui vient constituer le jardin en un univers de consanguinité.
En se représentant la jungle comme une immense plantation réalisée et gérée par un esprit anthropomorphe, les Achuar constituent donc leurs propres jardins en modèle conceptuel d'une nature non travaillée par l'homme. En d'autres termes, le jardin n'est pas tant pour eux la transformation culturelle d'une portion d'espace naturel, que l'homologie culturelle dans l'ordre humain d'une réalité culturelle de même statut dans l'ordre surhumain.
Pour que la chasse soit possible, il faut donc trouver un modus vivendi avec ces "mères du gibier" et former avec elles une entente tacite.
Chaque espèce de gibier peut être représentée comme une collection d'individus solidaires, car chaque espèce est dotée d'un chef qui (...) en surveille les destinées. Nommé "amana", cet animal est un peu plus grand que ses congénères et il se dissimule si bien dans la forêt qu'il est exceptionnel de l'apercevoir.
La liaison postulée entre une femme et Nunkui étant fondamentalement un rapport d'identification, la relation qui s'établit entre cette femme et les plantes qu'elle cultive doit être conçue comme un doublet du rapport de maternité que Nunkui entretient avec ses enfants végétaux. Il en est tout autrement pour la chasse, dont l'effectivité est fondée sur l'interaction de trois éléments: l'homme, les truchements ("mères du gibier" et "amana du gibier") et les animaux chassés. Le rapport de connivence et de séduction que le chasseur entretient avec les truchements est très similaire à celui qui prévaut dans ses relations avec les beaux-frères animaux. Par ailleurs, et à l'inverse du jardinage, la menace cannibale ne provient pas des êtres que l'on consomme, mais de leurs protecteurs, qu'il est donc impératif de ménager. Comme on l'a vu, certains de ces protecteurs ont, à l'égard de leur troupeau animal, une attitude très ambiguë, en ce que leur maternité est littéralement dévorante. (...) alors que Nunkui est un paradigme auquel on s'identifie, les truchements sont des intermédiaires avec lesquels on négocie.
(...) les Achuar ne conçoivent pas le travail comme nous le faisons, c'est-à-dire sous la forme du prélèvement et de la transformation des entités naturelles qui sont nécessaires à la satisfaction des besoins naturels, mais comme un commerce permanent avec un monde dominé par les esprits qu'il faut séduire, contraindre ou apitoyer par des techniques symboliques appropriées.
Le dernier échelon de la hiérarchie des êtres de langage est occupé par les solitaires: leur mise à l'écart de toute vie sociale les confine à la jointure de la culture et de la nature. Incarnations de l'âme des morts les esprits "iwianch" sont condamnés à une solitude désespérante qu'ils cherchent à combler en enlevant des enfants.
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)


... la bonne marche de l'univers appelle inexorablement l'anéantissement du sexe masculin, une "coupure" au contact de l'élément féminin qu'il fécondera. C'est en cela que les morts sont des êtres impuissants, émasculés, tels ces vieux ridés que nous dépeint la geste carnavalesque. Mais "coupure", dans l'acceptation otomi du terme, ne signifie pas disparition définitive. (...) les défunts, une fois revitalisés par l'absorption de nourriture, fertiliseront à nouveau l'univers.
(La moitié du monde. Jacques Galinier. PUF 1997)


Le masque est une personnification de l'esprit. La personne masquée ne s'identifie pas, elle est possédée jusqu'à entrer en transe. A partir de cet instant, la personne devient l'instrument de l'esprit. Le porteur du masque perd son identité pour que s'exprime le temps de la cérémonie, la divinité ou l'esprit qu'il incarne.
(Ethnosociologie du corps dans les pratiques et les rituels chez les Bandjoun de l'ouest-Cameroun. Raymond Charlie Tamoufe Simo. Connaissances et savoirs 2017)


... la manière dont ils se taisent pendant la nuit d'un "tibènti". C'est alors qu'ils redeviennent ce qu'ils sont, peuple du vent et de la nuit, à l'écoute des voix de leurs morts et de "ceux de sous terre", ces esprits qui s'incarnent dans certains arbres, sources ou pierres.
(Le souffle du mort. Dominique Sewane. Plon 2020)


Tel est certainement le résultat de la mort: un dédoublement du manove en fantôme ennemi d'une part, en "esprit" neutre de l'autre, lequel s'en va innocemment habiter, du côté du soleil couchant, la demeure des morts, que les Aché décrivent soit comme une grande savane, soit comme la Forêt Invisible.
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)


Ce n'est pas que les dieux sont faillibles, c'est qu'ils sont soumis, eux aussi, aux forces circulantes que certains esprits préparés arrivent à maîtriser. Mais il faut se méfier, car le vent tourne, et les vodouns peuvent alors prendre leur revanche sur les humains qui se sont joués d'eux.
(Vaudou. Philippe Charlier. Plon 2022)


"... toi, comme tous les Qallunaat, tu ne comprendras jamais rien (...) son esprit s'était échappé par un trou, un tout petit trou, dans le sol de la cabane. Le sifflement? c'était son souffle qui s'en était allé. Il partait consulter Nerrivik, la grande déesse des eaux."
L'enfant porteur du nom d'un mort est bien le mort réincarné: l'esprit de ce mort aide l'enfant dans son adolescence. L'enfant a donc deux personnalités (...). Ce n'est qu'à douze-treize ans que l'enfant est jugé adulte: on pense que l'esprit du mort se désincarne alors…
... la belle amante de Neqi (...) chantera en 1971, lors de son agonie à l'hôpital de Thulé, les vieux ayayak, appelant désespérément à son aide les chers esprits familiers.
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)


C'est cette petite voix intérieure qui nous incite à nous questionner, à nous remettre en cause et qui nous dicte des décisions quelque peu incongrues au premier abord. Est-ce le daïmôn de Socrate? Est-ce le noyau dur de l'être humain, celui que Maître Eckhart appelle l'homme le plus intérieur, cette petite pierre cachée qui nous incite à suivre, malgré nous, un chemin qui s'impose - souvent en contradiction avec notre culture, avec nos modèles familiaux?
(Cinq tambours pour deux serpents. Mireille Aïn. Plon 2022)


Chez les Arunta, les esprits Arumburinga (…) sont parfois bons, parfois malins : les esprits malins          « peuvent chercher à faire perdre la vie à un homme qui marche dans la forêt (…). Les Arumburinga suivent leur victime et la rendent « erita wideriga », c’est-à-dire « stupide ».
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)


Deux déités, l’Esprit du bien et celui du mal, se disputent le contrôle de la terre, de la mer et du ciel. (…) Depuis la naissance de l’homme jusqu’à sa mort, l’Esprit du bien est à côté de lui et se bat pour défendre l’existence humaine contre l’esprit adverse, le seul coupable de la maladie et de la mort…
(Une race qui disparaît. Ramon Lista. Interfolio 2019)


Le sujet taoïste est donc lui-même issu de la séance d’écriture primordiale ; il est lui-même signe, symbole, trace. Mais ce n’est pas son corps visible qui constitue sa forme véritable, son « je » ; c’est son corps de souffles, l’ensemble des esprits qui habitent son corps...
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)


L’offrande d’esprits vitaux et sensoriels par un poème peut aussi (…) être accompagnée d’un geste qui consiste à nouer ensemble des herbes ou branches d’un arbre pour y fixer une partie des forces qui deviennent une sorte d’offrande à une divinité, mais on peut aussi bien penser à l’intention de ligoter un esprit malveillant.
L’époque de Heian, non seulement vivait dans la peur des « esprits des choses », mais craignait aussi les bruits et cris insolites…
(La sieste sous l’aile du cormoran. H.O. Rotermund. L’harmattan 1998)