Nous ne commercialisions pas notre croyance. Nos hommes-médecine ne recevaient pas de salaire. L'enfer nous était inconnu. Nous avions confiance les uns dans les autres et notre parole était aussi bonne qu'aujourd'hui l'or des Blancs . Nous étions donc de vrais chrétiens.
(Souvenirs d'un chef sioux. Ours debout. Payot 1931)
... Faucon Noir (Black Hawk), lors de sa reddition à la Prairie du Chien en 1832, fit d'abord ses adieux à sa nation puis à lui-même.
(Partition rouge. Points 1988)
Paul accomplit une véritable révolution mentale, en dissociant pour la première fois religion et culture : il affirme qu'on peut vivre son christianisme, sa religion, « en Grec » comme « en Juif », alors que dans la tradition antique, être Grec ou être Juif, c'était tout à la fois honorer le(s) même(s) dieu(x), parler la même langue et donc avoir la même culture.
… le christianisme n'est pas une religion comme les autres, comme toutes celles venues d'Orient : c'était une religion nouvelle, sans traditions, (…) qui n'était pas la religion d'un peuple, alors que le principe de tolérance antique limitait la liberté religieuse au droit pour un peuple de continuer son culte ancestral pour maintenir son identité.
… le fonctionnement des communautés médiatisait ce nouvel humanisme chrétien, qui établissait une identité et une parité spirituelles entre tous les membres – chacun étant engagé dans un processus de re-création par le Christ - , en allant bien au-delà des simples mécanismes de régulation sociale à l’œuvre dans les autres associations. Peut-être cela répondait-il à une anxiété diffuse, générée par une époque de grande mobilité sociale. Comme Paul, beaucoup de convertis (…) sont des gens « entre deux mondes », à la double nationalité et à la double culture, voire des gens au statut ambivalent…
(Comment notre monde est devenu chrétien. Marie-Françoise Baslez. CLD 2008)
La géographie qui les dévore accepte comme ultime horizon la notion de déracinement et l'abandon de la mémoire communautaire d'une terre qui les a expulsés. Ils sont à la recherche d'une nouvelle identité nomade où le milieu d'origine, la famille, les amis restent en arrière pour être remplacés par un univers vertigineux de technicité et de productivité, de marchandises et de calculs…
Dans cette zone frontalière, sans doute la plus mexicaine du Nord de par son folklore et ses coutumes, la haine des origines est très forte. Beaucoup cherchent à faire le grand saut pour échapper à leur ombre dans le souci de parvenir à une régénération perverse et destructrice.
(Des os dans le désert. Sergio Gonzalez Rodriguez. Passage du Nord-Ouest 2007)
Vous savez ce que je pense ? Que c'est vraiment un siècle de merde : il a dévoré lentement tous les idéaux, il les a fait se consumer dans les tragédies des cinquante premières années, brûlés comme dans une fournaise, et ensuite, avec cette fausse paix, il a fait en sorte que personne n'ait plus envie d'en rechercher d'autres. Le résultat, vous l'avez devant vos yeux : rien en quoi croire, rien à espérer…
(Du temps perdu. Laureano)
Comment avez-vous [les Tlaxcaltèques alliés des Espagnols] pu changer si vite et vous soumettre à ces barbares étrangers, inconnus jusqu'ici dans le monde ? Dites-nous où vous avez trouvé ces mercenaires pour votre vengeance, misérables qui avez sali la gloire immortelle de vos ancêtres, héritiers du sang limpide des anciens Téochichimèques qui ont peuplé ces terres inhabitables. Qu'allez-vous devenir malheureux ? Très bientôt, vous verrez s 'abattre sur vous le châtiment de notre dieu Quetzalcoatl.
(La Conquête. Récits aztèques. Georges Baudet et Tzvetan Todorov. Seuil 1983)
La société de consommation consume toute interrogation. Le passé devient obsolète. Si bien que les gens perdent leur individualité, le sens de leur identité, et qu'ils trouvent alors un ennemi par rapport à qui se définir. Et quelle que soit son appartenance ethnique ou religieuse, on trouve toujours l'ennemi parmi les pauvres.
(De l'écrivain à la démocratie. John Berger. Le monde diplomatique)
Expropriés de notre culture, dépouillés des valeurs dont nous étions épris – pureté de l'eau et de l'air, grâce de la nature, diversité des espèces animales et végétales, tous indiens désormais, nous sommes en train de faire de nous ce que nous avons fait d'eux.
(Claude Lévi-Strauss)
Ne sommes-nous pas à maints égards en chemin vers un monde humainement invivable? (…) reconnaître à l'être humain une dignité, c'est poser qu'il est « sans prix » ; tout ramener à une évaluation en argent institue l'indignité générale. (…) sans valeurs valant « en soi et sans restriction », il n'y a plus d'humanité civilisée. Or nous vivons désormais ce drame quotidien : sans cesse sont désormais bafoués le souci du vrai, celui du juste, celui du digne… (…) Nous sommes au seuil tragique d'un monde où l'être humain ne vaut plus rien. (…) ce qu'Aimé Césaire appelait la « fabrication des hommes jetables ». (…) Échappant à la maîtrise collective, dans la fabuleuse carence de démocratie vraie où nous plonge le tout-privé, nos créations matérielles et spirituelles deviennent des forces aveugles qui nous subjuguent et nous écrasent (…). D'où ce sentiment répandu d'une humanité sans pilote fonçant inexorablement dans le mur (…) Marchandisation de l'humain, dévaluation des valeurs, évanouissement du sens – osons le mot : est en cours une décivilisation sans rivage.
(Sauver le genre humain,… Lucien Sève. Le monde diplomatique novembre 2011)
Les gringos, tu vois, ils ne sont ni d'ici, ni d'ailleurs, ils sont du côté du fric. Voilà leur patrie !
(El sexto. José Maria Arguedas. Métailié 2011)
Il allait être, à son tour, une de ces silhouettes qui n'ont ni nom ni histoire, dont personne ne sait rien (…). Il allait se fondre dans la vaste foule de ceux qui marchent, avec rage, vers d'autres terres. Ailleurs. Toujours ailleurs.
(Eldorado. Laurent Gaudé. Actes Sud 2006)
Cette société est devenue un édifice immense, d'une monstrueuse complexité, chacun vit et meurt dans une loge étroite, minuscule, une catégorie qui le protège et l'enferme, le lien est partout mais il n'est plus véritable, nous avons perdu le lien.
(Cheyenn. François Emmanuel. Seuil 2011)
Rome a perdu son ancienne unité, elle a subi une coupure qui bientôt ne nous permettra plus de communiquer ni de nous entendre, bref de guérir notre maladie en mettant fin aux tourments que nous nous infligeons les uns aux autres.
(Plutarque)
L'âme collective de la tribu a disparu et rien ne l'a remplacée. (…) La maladie, et surtout cette fatigue de ne plus comprendre ce qu'ils sont ni ce qu'il faut qu'ils fassent les abat comme des épis qui n'auraient plus la force de pomper dans le sol de quoi se nourrir. (…) bientôt il n'y en aura plus un seul.
(L'expédition Orénoque Amazone. Alain Gheerbrant. Gallimard 1952)
… il se pourrait bien que le corps et le psychisme humains soient eux aussi surchargés par le tempo rapide de la société. (…) les gens qui tombent en dépression vivent un changement soudain dans leur perception du temps : ils tombent d'un temps dynamique et mouvementé vers un bourbier temporel où le temps semble ne plus avancer, mais plutôt rester immobile. Tout lien signifiant entre passé, présent et avenir semble totalement brisé.
(Aliénation et accélération. Hartmut Rosa. La Découverte 2012)
La pensée qui se forme avec la seule histoire, comme celle qui se tourne contre toute histoire, enlèvent à l'homme le moyen ou la raison de vivre. La première le pousse à l'extrême déchéance du « pourquoi vivre » ; la seconde au « comment vivre ».
(L'homme révolté. Albert Camus. Folio 1951)
Les Amérindiens, plutôt que subir, préfèrent mourir. (…) Les déterminants du suicide (…) ont pour noms (…) l'éloignement imposé aux tout jeunes enfants, la destruction de la culture et de l'identité amérindiennes, (…) l'emprise des sectes, qui agissent en toute impunité.
« Au sein de la communauté wayana du fleuve Maroni, l'empoisonnement au mercure se poursuit lentement, tandis que les suicides se multiplient. Le retard scolaire est considérable, la situation sanitaire est désastreuse. (…) les politiques publiques (…) n'ont guère consisté qu'à généraliser les revenus sociaux de transferts, créant et entretenant une situation d'assistanat. On observe ainsi d'année en année la déstructuration dont sont victimes, dans leurs institutions, dans leur relationnel, et finalement dans leur nature profonde, les sociétés autochtones de Guyane. » (Brigitte Wyngaarde)
(Les abandonnés de la république. Gery, Mathieu, Gruner. Albin Michel 2014)
La blockchain permet donc d'avoir un système fondé sur la confiance, sans avoir besoin que les parties engagées dans une transaction se fassent confiance, grâce à une technologie fondée sur la preuve collective : la confiance est déléguée à la technologie.
(La machine à créer de la confiance et beaucoup d'espoirs. Charles Cuvelliez, Olivier Markowitch, Jean-Jacques Quisquater. La recherche septembre 2016)
Aujourd'hui, chaque décision entraînait un changement de mode de vie. (…) Pourquoi les obliger à ne plus compter les uns sur les autres ?
(Comme des ombres sur la terre. James Welch. Albin Michel 2010)
… la communication loupée est d'une certaine manière la marque de fabrique de notre époque…
(Candide et lubrique. Adam Thirlwell. L'olivier 2016)
Réservées aux seniors, aux célibataires, aux femmes, aux adultes sans enfants… ces formules font un carton. (…) La sélection par le prix ne suffit plus !
(Vacances, clubs ou ghettos ? Brigitte Valotto. Version fémina 31 juillet 2017)
… désormais ce qui était n'est plus ce que c'était et n'est plus là où c'était, et on ne sait plus qui est qui ni qui est d'où, d'ici, de là, ou de nulle part.
(Le chasseur d'histoires. Eduardo Galeano. Lux 2017)
Je pense que nous avons créé des outils qui déchirent le tissu social.
(Chamath Palihapitiya ex-vice-président de Facebook)
... dès qu'on sort un peu de son carcan sociologique, on est frappé par la coexistence de catégories socioculturelles qui ne se mélangent que très peu. Et chacune d'entre elles (...) a désormais son propre espace géographique. (...) l'apparition de frontières d'un nouveau genre, souvent plus froides et plus sournoises. Dans ce monde de l'immédiateté, la frontière se dilue. (...) elle devient une chape de plomb pour celui qui reste à quai. (...) Les grands marcheurs et les cyclistes sont aussi pleinement conscients de ce passage de la frontière poétique à la frontière oppressive. (...) Ils se sont perdus dans des lotissements en cul-de-sac, sans âme qui vive à qui demander son chemin. Ils ont été bloqués par des clôtures à n'en plus finir en tentant de traverser des voies rapides, des zones d'activité ou des zones commerciales.
(Victor Locuratolo. La décroissance septembre 2019)
... que la résignation s'était transformée en indifférence, et que, dans la vie, on s'habitue à tout.
... la fiction joyeuse du fait collectif s'était maintenant transformée en un dur constat de solitude. De la ville irremplaçable, il restait cela, cela seulement, et l'ombre d'un passé décoloré, la rhétorique qui se prétendait poésie, et rien, rien...
(Malacqua. Nicola Pugliese. Do 2018)
... une double crise religieuse et politique dans les sociétés monothéistes contemporaines, qui serait caractérisée par une absence de consensus sur un système de valeurs politiques susceptibles d'organiser les rapports entre sociétés et individus, entre le collectif et l'individuel.
(Dieux et hommes, modèles et héritages antiques, volume II. Jacques Bouineau. L'Harmattan 2018)
… cette immense ville grise où chacun devait survivre par ses propres moyens et où, à cause de l’isolement forcé auquel elle soumettait ses habitants et qui était devenu une espèce de norme, la notion même de société, banalisée par l’usage, semblait avoir perdu tout sens.
(L’enquête. JJ Saer. Le Seuil 1996)
Cette profusion constitue un défi lancé à l’éthique locale de partage. (…) on le somme de distribuer ses biens. En les gardant pour lui, il viole une des règles les plus élémentaires de la sociabilité. L’enjeu dépasse celui de la générosité ; c’est aussi parce que la masculinité est symboliquement associée, chez les Sioux, à l’immatérialité, que les convenances exigent du riche voyageur qu’il se défasse de ses effets et les distribue autour de lui.
(L’Amérique fantôme. Gilles Havard. Flammarion 2019)
Sur les bords tristes et calmes d’un de ces lacs sont venus camper les débris de la race indienne ; ces misérables n’ont conservé du passé que leur type et leur couleur, et n’ont pris à la civilisation avancée qui les entoure, que ses vices les plus dégradants. Ils vivent péniblement de chasse et de pêche, parcourant les forêts, ou remontant les lacs sur leurs légères pirogues d’écorces de bouleaux ; leur accoutrement est un grotesque mélange des costumes traditionnels et des modes modernes, et tout annonce en eux le plus complet avilissement.
(Loti en Amérique. Bleu autour. Mai 2018)
… le merveilleux quitte la terre et la culture de la terre, et avec le merveilleux la compréhension profonde et le lien. (…) L’homme qui est plus que sa nature chimique, qui marche dans sa terre, (…) qui s’agenouille par terre pour déjeuner ; cet homme qui est plus que les éléments dont il est formé connaît la terre qui est plus que son analyse. Mais l’homme-machine qui conduit un tracteur mort sur une terre qu’il ne connaît pas, qu’il n’aime pas, ne comprend que la chimie, et il méprise la terre et se méprise lui-même. Quand les portes de tôle sont refermées il rentre chez lui, et son chez-lui n’est pas la terre.
(Les Raisins de la colère. John Steinbeck)
Non, la nature sauvage n’est pas un luxe mais un besoin fondamental de l’esprit humain, aussi vital pour l’homme que l’eau et le bon pain. Une civilisation qui détruit le peu qu’il reste de sauvage, de vierge, d’originel, se coupe elle-même de ses origines et trahit le principe même de civilisation.
(Désert solitaire. Edward Abbey)
Si autrefois le mariage était une affaire de communauté ou de deux familles, celle de la femme et celle de l'homme, aujourd'hui il n'est plus ou presque qu'une affaire individuelle.
(Une mythologie berbère. Hassane Benamara. L'Harmattan 2022)
Il est vrai que l'expansion du protestantisme en pays otomi s'est traduite, là où il a bénéficié d'une solide implantation, par un effondrement de tout le système rituel ancien (...) les réseaux autochtones de solidarité se désagrègent rapidement...
(La moitié du monde. Jacques Galinier. PUF 1997)
... les messages culturels généralisent les conduites de restriction alimentaire dès l'adolescence et multiplient les mesures de contrôle du corps et de ses formes. La morphologie est alors de plus en plus considérée comme le fruit d'un travail, l’indicateur d'une compétence, un signe de distinction. Il faut mentionner la culture adéquate et l'argent nécessaire à la beauté. Par rapport au hasard biologique, riches et pauvres se répartissent selon une échelle de beauté. (...) Le traditionnel dualisme corps/esprit fait place au dualisme contemporain qui distingue l'homme de son corps. Le corps est instrumentalisé, il est perçu comme une matière à travailler. Cet imaginaire du corps suit le processus d'individualisation qui marque les sociétés occidentales depuis la fin des années soixante.
Face à cette désymbolisation du monde, à la perte de repères sociaux rassurants, le corps devient un refuge, une valeur ultime, ce qui explique l'investissement croissant qu'il suscite. Face à l'effacement du lien social, il s'opère un mouvement de retour sur soi et le corps devient le seul repère. (...) L'agencement de signes corporels marque une identité sociale dans la recherche d'une unité en tant que sujet.
(Ethnosociologie du corps dans les pratiques et les rituels chez les Bandjoun de l'ouest-Cameroun. Raymond Charlie Tamoufe Simo. Connaissances et savoirs 2017)
"Lorsque le cordon ombilical est coupé entre l'enfant et son milieu, et qu'on tente de le rétablir à un âge avancé, on se heurte à une barrière psychologique qu'il est difficile de franchir." (N'Baah Santy)
... le besoin de recourir à de nombreux procédés rituels afin de se prémunir contre tout malheur et pour garantir sa réussite dans un monde conçu comme opaque et menaçant. (...) une incertitude généralisée quant aux intentions et à la véritable identité de tous les êtres. (...) Ils se présentent dès lors à nous comme imprévisibles, peu fiables et potentiellement dangereux.
(Corps rituels. Agnieszka Kedierska Manzon. Maison des sciences de l'homme 2023)
"Pour pouvoir étudier une société primitive, il faut qu'elle soit déjà un peu pourrie." (Alfred Métraux)
"Nous sommes perdants dès le départ si nous décidons de suivre le même chemin que l'Europe en reproduisant jusqu'à ce qui fait son malheur." (N'Baah Santy)
(Le souffle du mort. Dominique Sewane. Plon 2020)
C'est pourtant à partir de 1861 que les lois ancestrales représentées par l'autorité patriarcale et le gouvernement local imposé par la tradition commencent à être minés, par l'Eglise d'abord, puis par l'Etat. (...) Au régime patriarcal succède le régime théocratique, représenté surtout par le prêtre.
(Les barrières de la solitude. Luis Gonzalez. Plon 1982)
Rompu le lien entre eux-mêmes et leur propre substance, le respect de la loi et la croyance en sa valeur ne pouvaient que se dégrader. C'est pourquoi Chachugi a eu peur: sa crainte, indice de son désarroi, c'est aussi le premier symptôme de la maladie qui guette les Aché, le désespoir. Il ne fallait pas quitter la forêt, il ne fallait pas venir chez les Blancs: "Auprès des Beeru, les Aché ont cessé d'être des Aché. Quelle tristesse!" Ainsi Jyvukugi, la mort dans l'âme, chanta-t-il sa douleur, toute une longue nuit.
La fête était finie, le tö kybairu était passé. Ce fut le dernier. Plaisir et désir de vivre quittèrent peu à peu le coeur des Aché.
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)
"... il ne part plus à l'aventure pour un oui ou un non, comme nous, pour le seul plaisir de la chasse et d'être ensemble entre hommes. (...) Chez lui, tout est prévu, organisé pour amasser."
Aujourd'hui, un "code de lois qui semble avoir été fait pour un citoyen "idéal", naissant enfant trouvé et mourant célibataire, un code qui rend tout viager, où la famille est un inconvénient pour l'homme, où toute oeuvre collective et à longue échéance est interdite, où les unités morales sont dissoutes à chaque décès, où l'homme avisé est l'égoïste qui s'organise pour avoir le moins de devoirs possibles, où la propriété est connue non comme une chose morale, mais comme une jouissance toujours appréciable en argent. Comment ne pas se rendre à l'évidence qu'un tel code ne peut engendrer que faiblesse et petitesse." (Ernest Renan)
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)
Déchirées entre leur propre morale, qu'elles ont rejetée, et celle des Brésiliens, qu'elles ne comprennent pas, les tribus indiennes finissent par vivre dans une sorte de pénombre spirituelle où, après quelques générations, les hommes meurent du désespoir de n'appartenir à rien. Les diverses tribus timbira du rio Gurupi ont toutes disparu en tant que tribus, et les quelques Timbira isolés qui existent encore doivent leur survie au fait qu'ils ont adopté le mode de vie des paysans brésiliens et rejeté leurs propres traditions indiennes.
(Aimables sauvages. Francis Huxley. Plon 1980)
… la volonté impériale de briser les structures traditionnelles de réciprocité afin de s’assurer d’un contrôle direct et absolu de la main-d’œuvre et, partant, de la population.
Isoler des individus de leurs communautés natives, casser en quelque sorte les liens familiaux traditionnels pour faire des yana et des aclla des classes sociales directement assujetties à l’Inca, des sortes de serfs pour reprendre notre terminologie médiévale (…). Et pour parfaire encore la symbolique, des domestiques issus des quatre coins de l’Empire. Une image du monde sublimée, idéalisée...
(Les Incas. Peter Eeckhout. Taillandier 2024)
Avec le déclin du système lignager et l’introduction de la propriété privée, l’attitude vis-à-vis du travail s’est légèrement modifiée. (…) Les musulmans et les chrétiens, plus touchées par les valeurs occidentales, sont plus soucieux d’amasser des richesses. Ils enseignent à leurs enfants la valeur de l’argent et ajoutent la scolarisation à l’éducation traditionnelle. Mais si, de ce fait, leur ascension économique devient probable, leur départ du village le devient tout autant.
Là où des groupes isolés, qui n’ont pas été versés dans la main-d’œuvre internationale, ont échappé à la toile d’araignée de la consommation, un nouveau tourisme exotique concourt à l’ethnocide, c’est-à-dire à la destruction d’un mode de vie particulier. (...)
Ainsi, le touriste moyen participe-t-il à un spectacle qui n’est autre que la négation des cultures vivantes. En groupe, tels des écoliers visitant un zoo ou un musée, ils laissent des traces de leur propre culture, qui compromettent la survivance des sociétés indigènes (…). Les jeunes sont alors touchés par le monde occidental sans y avoir accès, sans le comprendre et délaissent leur ancienne culture sans que rien ne vienne la remplacer. (…) Aux survivants ne restent souvent que les bidonvilles, le travail à la chaîne, et plus souvent encore le chômage. (...)
Ceux qui participent à cette farce tragique dévastent l’univers des hommes, de la même façon qu’ont été dévastées et exterminées des milliers d’espèces sauvages.
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)
C’est à partir [de la femme] que se tisse le réseau des relations cordiales et coopératives entre clans, tellement importantes dans le cas d’une société comme celle-ci, où le pouvoir reste diffus. (...) L’émancipation de la femme africaine qui entraîne (…) la versatilité des rapports entre sexes, l’affirmation de la « sexualité libidineuse », selon l’expression du sociologue Roger Bastide, au détriment de la « sexualité socialisée », ce sont autant de révolutions dans les mœurs que la société ne peut encore absorber sans secousses graves. Et le mal reste d’autant plus accusé que les cadres moraux se sont dégradés, sans qu’un suffisant mouvement de reconstruction ait pu intervenir.
Là où existait une répartition, que l’on pourrait dire planifiée, des femmes et des alliances, apparaît maintenant une compétition où seule joue la richesse.
Encore les lébou ont-ils les cadres que l’Islam a surimposé par-delà leurs traditions bouleversées. La situation semble plus grave dans les régions où le christianisme s’est diffusé, suffisamment pour porter atteinte aux anciennes réglementations mais trop en surface pour imposer son propre système de valeurs.
… l’essentiel réside dans les rapports entre les individus, entre les hommes et les choses dont la société des masques est comme le décalque. (…) Dans les civilisations à fragiles structures matérielles, l’effacement des dieux a plus de conséquences que dans nos civilisations à héritage durable. Il ne reste ni temples grandioses ni livres impérissables pour témoigner de leur royauté passée. Rien que ces personnages costumés dont les jeunes gens commencent à se gausser.
« Ce sont les missionnaires qui ont tué notre religion. (…) La religion catholique ne nous convient pas. (…) Nous ne savons plus si nous sommes encore des Bakongo, des Basoundi, des Balari… »
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)
« L’art du sorcier donne des signes profonds de décadence, aucun aspect de l’ensemble culturel selk’nam n’a été épargné par l’européisme. » (Gusinde)
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)
L’école primaire avait été surtout l’école de la nature. Les leçons de choses vous faisaient vivre au rythme des saisons. On apportait des têtards à la fin du printemps, des hannetons au mois de juin, des pommes en automne. Ce qui m’a le plus frappé dès que je connus le lycée, ce fut le sentiment d’entrer dans un univers où les saisons n’existaient pas. On y enseignait des matières intemporelles, comme les mathématiques, le latin ou le grec.
« … pour devenir un homme nouveau, il faut tuer en soi le vieil homme. Eh bien, cette année-là, le vieil homme est mort et peut-être fallait-il cette Révolution pour le tuer. C’est alors que j’ai choisi un nouveau nom et que j’ai prononcé mes vœux. » (un ermite russe)
Tout comme Œdipe incestueux, Oreste matricide voit s’ouvrir la lumière d’un nouveau monde où le Crime par excellence se mue en exorcisme bienfaisant, le sang maudit en signe d’une nouvelle alliance. Il fallait chez Oreste le long cheminement contre son propre sang, cette révolte extrême contre l’image et le corps de sa propre mère, pour qu’il parvienne à provoquer cette collective mutation des consciences. (…) Oreste émerge par son acte à l’orée du monde athénien, comme si cet acte abolissait et l’histoire et le temps, (…) Oreste abolit l’ancestrale sujétion du génos et du clan, et, ayant tué sa mère, n’a plus qu’à se trouver des frères.
(L’été grec. Jacques Lacarrière. Plon 1975)