La fusion de différentes entités pour produire un nouvel être…
Si les dieux se trouvent plongés dans un processus cyclique, leur nature se transforme au fur et à mesure qu'ils avancent sur leur chemin, ou que le temps passe.
… [le] complexe de chaque individu (…) porte en lui son histoire et son passé propre. Il est en fait un microcosme changeant immergé dans le complexe de ses essences animiques, qui forme la mosaïque de son intériorité invisible.
La création du monde se répète dans la création quotidienne de chaque individualité.
La montagne de Culhuacan permet à qui la gravit de choisir l'âge qu'il veut avoir (…). Celui qui atteint le sommet redescend de la montagne transformé en enfant.
(Les paradis de brume. Alfredo Lopez-Austin. Maisonneuve et Larose 1997)


Avoir été initiée au fait que la conscience est quelque chose d'étrange. Et le vivre profondément, à chaque instant, est quelque chose comme une épreuve dont on ne revient pas…
(Il y a des dieux. Frédérique Ildefonse. PUF 2012)


L'esprit de l'Indien (…) reste indifférent à une exigence logique que nous jugeons impérative, souveraine. A nos yeux, ce qui n'est pas possible ne saurait être réel. Aux siens, ce que son expérience lui présente comme réel est accepté pour tel, sans condition. (…) Les mythes sont à leurs yeux des histoires vraies, dans toute la force du terme. Ce qu'ils racontent est vraiment arrivé, est encore réel, puisque le temps mythique n'est pas celui de notre monde. Donc la fluidité du monde mythique, les transformations extraordinaires que les êtres y subissent, leur bi-présence, leur multiprésence, etc., tout cela est réel.
(L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs. Lucien Lévy-Bruhl. Dunod 2014)
Toutes les structures observées dans l'Univers – y compris nous-mêmes – ne sont, en quelque sorte, que des fluctuations quantiques du vide…
(L'inflation à l'épreuve des données. Jérôme Martin. La Recherche octobre 2017)


Il est remarquable que la désignation indo-européenne de l'être et du monde soit un concept dynamique: c'est ce qui croît, ce qui est en devenir, par opposition au logos immuable et incréé du Yahvé biblique.
(Une généalogie des mots. Xavier Delamarre. Errance 2019)


« Le monde objectif est simplement, il n'advient pas. Ce n'est qu'au regard de ma conscience, rampant le long de la ligne de vie de mon corps, qu'une section de ce monde vient à la vie comme une image flottant dans l'espace et changeant continuellement dans le temps. » (Hermann Weyl 1949)
(Temps de la nature, nature du temps. SLDD Bouton-Huneman. CNRS Editions 2018)


Danser comme si le temps ne comptait que pour en garder la mesure, danser comme si le temps lui-même était discontinu, disparaissait, fuyait, ou en plongeant dans le néant sous nos pieds, sauter, rentrer les épaules comme pour esquiver l’air dans lequel on est suspendu, nos plumes se changeant en palpitations de l’écho des siècles passés, tout notre être prenant la forme d’une envolée.
(Ici n’est plus ici. Tommy Orange. Albin Michel 2019)


... l'identité a quelque chose de mouvant et donc de périlleux.
(Pierre Legendre. Argumenta et Dogmatica. Mille et une nuits 2012)


Le corps vivant, animal ou végétal, est un composé de molécules incessamment changeantes, que les organes de la respiration ou de la nutrition ont saisies au-dehors et fait entrer dans le tourbillon de la vie ; entraînées par le torrent circulatoire de la sève, du sang ou d’autres liquides, elles prennent place dans un tissu, puis dans un autre, et dans un autre encore ; elles voyagent ainsi dans tout l’organisme jusqu’à ce qu’elles soient enfin expulsées et rentrent dans ce grand monde extérieur (…) chacun de nous, en dépit de son squelette et des formes arrêtées de son corps, n’est autre chose qu’une masse liquide, un fleuve où coulent avec une vitesse plus ou moins grande, comme un lit préparé d’avance, des molécules sans nombre, provenant de toutes les régions de la terre et de l’espace, et recommençant leur voyage infini, après un court passage dans notre organisme. Semblable au ruisseau qui s’enfuit, nous changeons à chaque instant ; notre vie se renouvelle de minute en minute, et si nous croyons rester les mêmes, ce n’est que pure illusion de notre esprit.
(Histoire d’un ruisseau. Elisée Reclus Babel 1995)


L'unicité qui nous fascine apparaît enfin pour ce qu'elle est, un leurre. La forme se reconstruit selon un schéma qui lui est propre mais avec des éléments qui sont, eux, tous exogènes.
(Croire aux fauves. Nastassja Martin. Verticales 2019)



... des preuves de l'irréalité du temps lui-même, de la coexistence et de l'interpénétration des âges, des époques, des corps, dans l'hallucination unanime de l'esprit et du monde.
J'ai su alors que n'existent ni le moi, ni la volonté, ni la raison, ni la peau, ni les organes internes, qu'au-delà de leur illusion est un monde sculpté dans le plaisir, le plaisir pur, comme un jaillissement aveuglant au-delà duquel il n'existe même plus rien.
(Solénoïde. Mircea Cartarescu. Noir sur Blanc 2019)


… plutôt qu’un paysage ethnique figé, clairement compartimenté en un nombre réduit de « nations », on observe un enchevêtrement de communautés indépendantes, en flux constant et aux alliances aussi variées que changeantes.
Pour eux, le bison, comme tout animal (toute « personne ») ne se définit pas principalement par sa morphologie corporelle mais par une présence associée à des agissements particuliers. Les vieillards deviennent des bisons à partir du moment où leurs agissements sont ceux de l’agir-bison.
(L’Amérique fantôme. Gilles Havard. Flammarion 2019)


… l’arbre ne devient solide que grâce au vent qui l’éprouve.
Une des raisons d’être du mythe est d’apporter dans notre expérience du monde la force du passé. Le décalage temporel apparaît essentiel dans la mesure où celui-ci garantit à ceux qui adhèrent au mythe la permanence du monde (…). Le présent ne cesse de s’évanouir dans le passé, ajoutant de la continuité à la continuité, sans interruption ou irrégularité. Comme la médecine moderne le ferait avec le corps humain (Foucault, 1963), la mythologie définit donc un idéal, un univers modèle, en bonne santé (…). C’est ce qui la fonde à régenter les rapports physiques et moraux de la société où elle se déploie. L’univers ne serait cependant pas perçu comme statique, mais toujours en perpétuel recommencement, suivant un cycle qu’un rien suffirait à faire basculer dans l’inconnu. Le monde serait alors action, mobilité, et nécessiterait un effort constant pour résister à sa dissolution.
(Cosmogonies. Julien d’Huy. La Découverte 2020)


… je veux trouver la rédemption dans l’aujourd’hui, dans le tout de suite, dans la réalité en train d’être, et non dans la promesse, je veux trouver la joie dans cet instant-ci (…) quand bien même cela signifie (…) le pire et (…) l’infernal.
… c’était de la boue, et pas même une boue séchée mais de la boue encore humide et encore vivante, c’était une boue où se remuaient avec une lenteur insupportable les racines de mon identité.
Etre vivant est un stade très élevé (…). C’est un équilibre instable tellement haut placé que je sais que je ne vais pas pouvoir demeurer très longtemps à connaître cet équilibre – la grâce de la passion est brève.
(La passion selon G.H. Clarice Lispector. des femmes 2020)


… moment où la connaissance n’est plus captation de savoirs, mais où elle transforme l’être humain le rendant apte à déplisser tous les niveaux.
L’air, en vérité, est un absorbant (…). Quand le feu s’éteint, c’est dans l’air qu’il meure (…). Quand les eaux s’assèchent, c’est dans l’air qu’elles rentrent, (…) voilà, le point de vue divin.
A présent, le point de vue individuel : le souffle (…) est un absorbant. Quand on dort, la parole rentre dans le souffle, la vue dans le souffle, l’ouïe dans le souffle, le mental dans le souffle, car le souffle les absorbe tous.
« La connaissance n’est pas le résultat d’un acte », disent les Brahmasutra. Elle n’est pas un résultat mais une expérience qui transforme l’être humain.
La connaissance se fait par le passage de méconnaissance en méconnaissance, à travers les différents états (veille, rêve, sommeil).
... le mental en vérité est sans-fin et les-Tous-les-dieux sont sans-fin. (...) Dans la relation à l'extérieur, le sujet est saisisseur par l'intermédiaire des organes et des facultés des sens. (...) l'incroyable possibilité de réification de l'être humain. Il peut être comme "avalé" par l'objet qu'il cherche à saisir ou qu'il semble avoir saisi.
(Les Upanisad. Alyette Degrâces. Fayard 2014)


« Il faudrait, au lieu de concepts rigides, découvrir des notions en quelque sorte liquides, capables de décrire des phénomènes de fusion, d’ébullition, d’interpénétration, qui se mouleraient sur une réalité vivante, en perpétuelle transformation. » (Roger Bastide)
(Les gens de l’or. Michèle Baj Strobel. Terre humaine 2020)


C'étaient des êtres merveilleux, plus que ne l'est l'ordinaire des hommes d'aujourd'hui, car ils étaient au temps de la création et de la nouveauté du monde (...). Comme tous les êtres supérieurs, ils étaient 'hlimnawiho capables de se transformer à volonté; d'ailleurs, toutes choses étaient k'yaiyuna, plastiques, quand le monde était neuf, tandis que maintenant…
... la logique de compartiments sociaux propres aux Pueblo. Comme dans une fractale, chaque partie est une miniature du tout, assurant ainsi la possibilité d'une régénération complète de la société à partir de l'un de ses segments. Cette mise en abîme concerne autant la structure des clans que le savoir religieux, les dits mythologiques, voire les emblèmes et attributs sacrés.
Cette capacité infinie à s'approprier les figures de l'altérité et à les caser dans une configuration mythologique préexistante explique en bonne partie l'habileté bricoleuse des sociétés amérindiennes à préserver un équilibre symbolique, en dépit des aléas de l'histoire.
... la cérémonie de transformation (ou l'échange de ma personne spirituelle) (...) car ces Indiens (...) considèrent que le danseur dans les drames sacrés, après s'être convenablement peint le visage (...) peut changer ou transformer sa personnalité en mettant ou enlevant simplement son masque...
(Tenatsali ou l'ethnologue qui fut transformé en Indien. CNRS Editions 2022)


""Ca provient" semble dire la figure, et il faut saisir ce qui provient - et d'où cela peut parvenir (...) Ce sont là, à vrai dire, comme des forces en réserve (...), des forces en forme de formes..." (Alain Médam)
(La caverne originelle. Jean-Loïc le Quellec. La Découverte 2022)


Il est fascinant de penser que l'Univers s'est peut-être développé en une fraction de seconde, à partir des fluctuations de l'énergie du vide.
Une grande partie de la masse de l'Univers connu, et en particulier de nous-mêmes, provient de ces minuscules "nœuds d'énergie" enfermés dans les noyaux atomiques.
(Entre deux infinis. Gianfranco Bertone. Quanto 2023)


La débauche et la folie se justifient [selon R. Caillois] pour faire le contraire de l'habituel et pour être sûr de retrouver les conditions d'existence du passé mythique.
(Une mythologie berbère. Hassane Benamara. L'Harmattan 2022) 


Le feu, générant des changements d'état de la matière et activant des flux de circulation, joue ici un rôle central. Il transforme des produits solides en odeurs et fumées qui s'élèvent et finissent par se dissiper, mais dont la trace olfactive se fixe sur des objets, des étoffes ou des éléments du corps humain (en particulier les chevelures). Dès lors, plutôt que de considérer que le sacrifice équivaut à une destruction des offrandes par la combustion, il devient possible de l'apparenter davantage à une opération de transfert de matière.
(Au plaisir des dieux. Adeline Grand Clément. Anacharsis 2023)


Plutôt qu'une promesse d'une vie éternelle ou de transmigration des âmes (...), la sérénité semble ici émaner du transfert de vitalité du défunt vers le blé. (...) Cette sérénité se fonde sur un transfert de vitalité du défunt vers la nature, sur sa métamorphose en un être immortel fusionnant avec les puissances cosmiques (...). Au vu d'un tel message, il n'est pas étonnant de voir les philosophes de l'Antiquité vanter les mystères d'Eleusis qui, selon eux, rendaient l'homme non seulement plus serein, mais encore "plus juste et meilleur en toutes choses". Ce contenu clarifie l'incompatibilité d'une pareille révélation avec la religion officielle établissant une séparation très nette entre la condition humaine et celle des dieux. (...) il semblerait que cette démarche forma le support d'une conception religieuse universaliste autant que sereine. Celle-ci transcendait les croyances véhiculées par la religion officielle et les institutions qui en dépendent.
(Les graines de l'au-delà. Nissim Amzallag. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2023)


La maison porte ainsi témoignage jusqu'à maintenant d'une ancienne continuité matérielle entre le monde céleste, le monde terrestre et le monde chthonien, continuité dont la rupture a brutalement inauguré un nouvel ordre des choses, sans pour autant effacer complètement le souvenir de l'ancien, inscrit à jamais dans l'architectonique de la charpente. (...) En ce sens, le procès d'édification n'est pas tant la simple reproduction d'une forme originale, qu'une sorte d'acte de recréation, par lequel les Achuar produisent une nouvelle forme de vie en combinant de manière réglée les vies atomisées déjà présentes dans chacun des éléments constitutifs de la maison.
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)


"Lorsqu'un acteur Nô sort de scène parce que le spectacle au sens propre du terme est terminé, il a une conduite étrange: il sort très lentement (...). Ce n'est plus le personnage (...) mais ce n'est pas encore l'acteur dans sa réalité quotidienne. C'est précisément un état intermédiaire..." (Barba)
(Corps rituels. Agnieszka Kedierska Manzon. Maison des sciences de l'homme 2023)


Il voulait dire que ce qui faisait la vie, ce n'était pas tellement des forces, mais bien plutôt des mouvements de forces.
(Dieu d'eau. Marcel Griaule. Fayard 1966)


... le cycle du solstice d'hiver fournit un cadre qui se prête à visualiser le "grand temps", un infini présent, à opérer la combustion du passé chargé des erreurs de l'individu comme du groupe, à localiser la puissance du sacré dont l'irruption va permettre d'assumer le quotidien à venir tout en aspirant à une autre dimension vitale. Les propriétés de la "crise du solstice" - l'évidence des contraires, des dualités hiver-printemps, jour-nuit, abondance-terre nue, mort-vivant - apparaissent ainsi liées à l'idée de régénération perpétuelle.
(Solstice païen. Loude, Lièvre, Nègre. Editions Findakly 2007)


Quand il se soumet aux épreuves de la consécration préalable, le sacrifiant n'est qu'un sacrifiant en projet. En fait, il se constitue en victime, il s'engage auprès des dieux à leur faire cette offrande qu'est sa propre personne. (...) Quand la période (...) d'acquisition de l'état de consacré prend fin, il recouvre sa personne en la rachetant par une victime animale qui est sa propre image, sa réplique. C'est alors, par ce geste anticipateur, sacrifice portant sur un être qui n'est pas lui-même mais son substitut, qu'il devient véritablement, personnellement, le sacrifiant…
(Le jumeau solaire. Charles Malamoud. Seuil 2002)


Si telle chose que vous jugez possible selon votre capacité parfois devient impossible, c’est que vos doutes et vos hésitations ont laissé échapper l’unique chance de votre vie. (…) C’est qu’une tâche possible dans un temps et dans un espace donnés devient impossible dans un autre temps et dans un autre espace.
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)


… l’humidité, le résidu vivant et graisseux qui part du corps et laisse derrière lui un ancêtre desséché associé à la fertilité, tel une graine.
(Les Incas. Peter Eeckhout. Taillandier 2024)


L’atai (…) ne se comprend qu’au sein d’un monde historique où l’identification reste une tâche à accomplir, et il exprime le drame de la présence à soi qui, devant le risque de se dissoudre dans le monde, se retrouve et se possède comme alter ego.
En général, le drame magique – c’est-à-dire la lutte de l’être-là qui se sent ébranlé et menacé pour pouvoir se rétablir – éclate à certains moments critiques de l’existence, quand la présence à soi et au monde est appelée à un effort au-dessus de l’ordinaire.

… le problème de la magie n’est pas de « connaître » le monde ou de le « changer », mais plutôt de garantir un monde auquel un être-là se rend présent. Dans la magie, le monde n’est pas encore « décidé », et la présence est encore engagée dans cette œuvre de décision de soi et du monde.

La réalité, conçue comme l’indépendance du donné, comme la présentification d’un monde observable, comme une altérité définie et garantie, est une formation historique propre à notre civilisation, c’est-à-dire corrélative à la présence décidée et garantie qui caractérise celle-ci. Cette réalité, que nous pourrions aussi appeler « naturalité », s’exprime ainsi : je suis un donné du monde qui se donne à moi, sans que cette double « présentification » pose de problème culturel. Mais le monde magique, qui est un monde en voie de décision, comporte des formes de réalité qui, dans notre civilisation (quand elle reste fidèle à ce qui la caractérise historiquement), n’ont aucune valeur culturelle et sont niées de manière polémique. (…) dans notre civilisation même (…) de telles formes peuvent subsister ou se reproduire (…) : qu’il suffise de penser (…) à la magie des cercles spirites et à celle qui se rattache à certains états psychopathiques, comme la psychasthénie, la schizophrénie, la paranoïa. (…) Du reste, même l’homme cultivé et « normal » peut être touché plus ou moins furtivement, dans sa vie quotidienne, par ces états archaïques. Que la forme magique de la réalité se reproduise même chez l’homme occidental cultivé indique bien que la présence à soi et au monde, décidée et garantie, est un acquis historique, révocable sous certaines conditions. Dans la vie de l’esprit, tout peut être remis en cause, y compris ces conquêtes qui semblaient à l’abri de tout risque, y compris donc la conquête fondamentale de l’être-là. En situation de souffrance et de privations particulières (…), l’être-là peut ne pas résister à cette tension exceptionnelle, et donc à nouveau s’ouvrir au drame existentiel magique.
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)


… le plus « vrai » de l’expérience n’est plus désormais qu’elle ait été heure après heure telle et telle, ni le « souvenir » assez exact de son déroulement chronologique, heure après heure, que j’en ai gardé ; bien plutôt, ce que l’expérience a de plus « vrai » émergera dans une re-connaissance, qui ignorera toute progression de cette nature, et projettera ses lumières et associations en avant et en arrière, sur le passé d’alors et le futur d’alors, à travers le champ de l’expérience en cause. S’il doit en être ainsi, le livre dans son entièreté empruntera sa forme et son motif de tonalités moins au mode narratif qu’à la musique.
(Louons maintenant les grands hommes. Agee/Evans. Plon 2017)


Il y a donc un parallélisme implicite établi par notre texte entre le voyage nocturne du soleil, le séjour du défunt dans l’au-delà et le passage de la maladie à la guérison, que va connaître le patient auquel le texte s’adresse. Ce mouvement de résurrection suppose, comme le constate E. Hornung, que « le défunt dépasse les limites de l’Être pour faire l’expérience d’une « initiation » aux plus profonds mystères, à ceux du ciel et du monde inférieur.
(Le papyrus des sept propos de Mehet Ouret. Yvan Koening. Institut français d’archéologie orientale 2024)


Le sanskrit dispose de deux termes pour nommer l’idole en tant que telle : (…) La pratima n’est que la copie d’un original inaccessible ; dans la murti se coagule l’insaisissable fluidité divine. De fait, les doctrinaires enseignent que l’image ne nous donne des dieux qu’un « savoir inférieur ».
Les théoriciens et les artistes hindous (…) enseignent qu’il faut, pour devenir sculpteur ou peintre, d’abord passer par l’apprentissage du chant, puis de la musique instrumentale, enfin se familiariser avec les techniques de la danse : façon de dire, semble-t-il, que tous les arts ont en commun le mouvement et le rythme.
… la capacité qu’ont les dieux de créer pour eux-mêmes et chez autrui des identités plurielles et (…) leur pouvoir de structurer le réel, donc, de toute manière, de produire du multiple.
Un dieu se manifeste sous la forme d’un dragon (…), mais il sera représenté dans son temple sous les traits d’un mandarin imposant, car c’est un bureaucrate – sitôt qu’on est dieu on a rang dans l’administration…
« L’identification de la pierre-génie et de l’officiant (…) n’est pas un transfert, mais une bi-présence. La pierre ne cesse pas d’être le dieu, mais celui-ci, simultanément, et pour un temps, est aussi l’officiant. Il n’y a pas contradiction, car c’est son être informe et permanent que conserve le dieu-pierre dans la pierre, tandis que c’est une personne d’un autre ordre, projetée sur un autre plan, corporel et temporaire, que lui offre (l’officiant)... » (Paul Mus).
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)


J’ai rarement ressenti comme en ces années-là l’ivresse de la totale liberté, le sentiment d’être un errant heureux sans autre attache que le village ou le visage qui m’accepterait pour un soir. (…) je laissais mon corps, tous mes sens, se modeler, se transformer au rythme et au poids des chemins comme si chaque jour des milliers de cellules mouraient en moi pour que d’autres renaissent.
… ces syllabes primordiales (…) que les mythes imaginent dans la bouche des dieux créateurs et qui, à l’origine du monde, donnèrent frissons à l’air, ondes à l’eau, vie à la terre jusque-là immobile et stérile.
Car, dit l’un des plus vieux mythes égyptiens sur l’origine du monde, le mot et les organes qui le profèrent (langue, dents et bouche) sont la forme sonore et vibrante du sperme et des mains : eux aussi peuvent engendrer et façonner. Ici, ce n’est plus de sens qu’il s’agit (…) mais du son lui-même, de son énergie vibratoire, de sa profération.
(L’été grec. Jacques Lacarrière. Plon 1975)