"Nous apprenons des alphabets et nous ne savons pas lire les arbres. Les chênes sont des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes, les plantes grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des accusations, le romarin est une chanson, le laurier une prophétie."
(Erri de Luca)
… faites comme les aborigènes : entrez dans cet état d'engourdissement et d'enfermement qui constitue leur mode de veille et dans lequel ils peuvent rester heure après heure, jour après jour si nécessaire.
(Le léopard. Jo Nesbo. Gallimard 2009)
J'étais vraiment surpris d'entendre parler quelques-uns de ces jeunes Indiens à cheveux longs et sans instruction. Ils avaient l'habitude de rouler leur couverture autour de leur ceinture et de faire des remarques vraiment intelligentes. Ils n'avaient pas de connaissances livresques, mais possédaient un sérieux bagage d'expérience personnelle.
(Souvenirs d'un chef sioux. Ours debout. Payot 1931)
… traverser le monde entier pour arriver là où nous allions nous découvrir nous-mêmes, parmi les fellahin du monde, indiens universels, qui ceignent la planète depuis la Malaisie jusqu'à l'Inde, l'Arabie, le Maroc, le Mexique, et au-delà, la Polynésie (…) yeux bridés, manières feutrées ; ce n'était ni des crétins ni des clowns, mais de grands Indiens graves, pères et origine du genre humain. Et ils le savaient en nous voyant passer, nous les Américains m'as-tu vu et pleins aux as, en cavale sur leurs terres ; ils savaient qui était le père et qui était le fils au commencement des temps, alors ils ne faisaient pas de commentaires.
(Sur la route. Jack Kerouac. Folio 2010)
C'est Cejovuma, notre hôte, le plus grand chanteur de la nation maquiritare, celui qui sait, détail par détail, toute l'histoire de la création du monde et des animaux, toutes les métamorphoses des fils du soleil…
Nous, chamans (…), nous rêvons de tout ce que nous voulons connaître.
(La chute du ciel. Davi Kopenawa. Plon 2010)
Nous connaissions dix variétés de maïs différents, sept de citrouilles, huit de haricots .
Chacun connaissait son rôle, défini par les Anciens, qui avaient reçu l'enseignement des Etoiles.
(Pawnee (vie de Fils de l'Ours). Giovanni Michel des Franco. Le chant des hommes 2012)
Les plus gras et les plus stupides sont les premiers dans la marmite. Ce sont toujours les plus maigres, les laissés-pour-compte, les canards de bas étage, qui veillent. Est un bon Indien celui qui garde les yeux ouverts.
(De mémoire indienne. Lame Deer et Jean-Jacques Roudière. 2009)
« Même les croyances excessivement fictives peuvent s'adapter pour autant qu'elles motivent des comportements d'adaptation au monde réel. (…) Le savoir factuel ne suffit pas toujours par lui-même à motiver un comportement d'adaptation. Parfois un système symbolique de croyances qui s'écarte de la réalité factuelle convient mieux. » (Wilson)
(Le Monde jusqu'à hier. Jared Diamond. Gallimard 2013)
… dans la mentalité primitive, la nature et la « surnature » bien que senties comme qualitativement distinctes, n'en sont pas moins comprises dans une unique réalité.
« Là où finit la connaissance certaine, la mythologie commence. Mais le passage est tout à fait insensible. C'est nous qui mettons une différence entre le naturel et le surnaturel, autant que nous le permet notre connaissance des lois de la nature. Mais, pour l'Eskimo, cette différence n'existe pas. » (Birket-Smith)
(L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs. Lucien Lévy-Bruhl. Dunod 2014)
La beauté pour eux n'est pas atteinte par le paroxysme, le rêve et le désordre, mais par le rythme, qui est pour eux la séquence infiniment reproduite où alternent le rejet et l'accueil, l'exorcisme et la guérison, la jeunesse et le vieil âge, le haut et le bas, le mal et la bonté des Dieux…
(Partition rouge. Points 1988)
... tous les chemins de la connaissance convergent vers un point incandescent, mystico-poético-logico-mathématique…
(Solénoïde. Mircea Cartarescu. Noir sur Blanc 2019)
L'homme primitif, non moins que l'enfant, est le plus accompli des observateurs, parce que la façon dont il regarde les choses et l'intérieur des choses n'est pas consciente d'elle-même; elle est instinctive et sans idées préconçues, donc attentive à la totalité comme au détail.
... l'Indien zugni, et quelques-uns de ses frères et élèves de l'ouest, les Moqui (i.e. Hopi), ont ainsi été les seuls êtres humains qui ont réussi, sans irrigation puisée dans les cours d'eaux vives, à porter à maturité une récolte de maïs, et ce malgré l'aridité.
... la spécificité des humains, avec leur obstination illimitée à conjuguer logiquement les facultés exceptionnelles de leur imagination dans l'entretien d'une relation intime et interactive avec les êtres, phénomènes et processus observables dans la nature.
... en montrant que toute abstraction s'enracine dans le geste humain, que le sens de la relativité et des valeurs naît de la dextérité première (le comptage et la distinction des doigts), Cushing réconciliait le corps individuel, les techniques, l'intellect et la sociologie, le sauvage avec le civilisé.
(Tenatsali ou l'ethnologue qui fut transformé en Indien. CNRS Editions 2022)
L'électricité devint l'agent par lequel Dieu règne sur le monde, son mystérieux et omniprésent émissaire. Dans la même veine, certains auteurs identifiaient Dieu lui-même à l'électricité, développant ainsi une mystique sur la base d'une méditation des phénomènes observés. (...) Toutes ces histoires font aujourd'hui sourire. Elles illustrent en quoi la "pensée sauvage" est bien présente dans le monde moderne, et génère le même type de croyances que dans les sociétés archaïques. Mais nous autres qui vivons dans un monde officiellement rationalisé et aseptisé, regardons cette réalité comme l'avatar d'un temps révolu de l'humanité. (...) Les exhibitions ne furent pas seulement une source de revenus pour les premiers électriciens, mais bien une passion stimulant une volonté de comprendre le phénomène et ses résonances, et de pousser toujours plus loin la découverte de pans encore ignorés de cette mystérieuse réalité. Il en ressort que la composante cosmologique n'est pas un phénomène annexe, mais bien une dimension intrinsèque à la domestication de l'électricité.
(Les graines de l'au-delà. Nissim Amzallag. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2023)
... avec un investissement moyen individuel dans la chasse et l'horticulture inférieur à trois heures par jour, on obtient en retour 3111,5 kcal et 82,5 g de protéines. Des résultats aussi remarquables font paraître bien modeste en retour la productivité brute de la France agricole dans un XVIIe siècle traversé par les grandes famines.
(La nature domestique. Philippe Descola. Editions de la Maison des sciences de l'homme 2019)
S’il fallait mettre ensemble tous ceux qui connaissent exactement l’endroit où nous sommes assis, Bonis, Indiens, Créoles, eh bien on aurait une ville ici ! (…) Il n’y a pas de forêt vierge !
… une pure affaire de relations denses et enchevêtrées entre les hommes et les forces surnaturelles, entre vivants et morts dans une configuration en carrefour ! Il ne percevait pas du tout le site comme moi, dans une dimension individuelle, physique, esthétique et émotionnelle, mais tout à l’opposé, dans sa dimension historique, collective et surnaturelle.
(Les gens de l’or. Michèle Baj Strobel. Terre humaine 2020)
... on ne peut tout savoir, toujours résiste un irréductible impossible à maîtriser...
... il faut persister à voir dans l'eau et le feu un couple structuralement lié, un système à envisager tel quel si on veut le comprendre.
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)
La vie exemplaire de ces trois cents chasseurs, sans bois flotté, sans métaux, et pour lesquels une aiguille, un clou, une planche représentaient un trésor, témoignera peut-être pour des siècles obscurs qui sont aux sources même de la pensée.
J'ai toujours été stupéfait de l'aisance avec laquelle ils s'adaptent à ce qui les intéresse: ils lisent mes cartes (...), et sont capables d'en dresser...
Ils ont gardé en fait, par respect et intimité avec la nature, la communication sensorielle de l'univers et l'esprit communautaire, ces qualités que nous avons perdues et qui, dans le nouveau monde de demain, s'avéreront indispensables.
Une société se développe avec des chances historiques et géographiques différentes, mais nul ne peut savoir quand ce développement est achevé. (...) Et il est vraisemblable que ces peuples du passé constituent déjà une part des chances de notre avenir, à nous Occidentaux, appelés, dans la crise majeure que nous connaissons, à vivre un pluriculturalisme, du fait de l'immigration, conséquence de la profonde crise démographique que nous subissons.
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)
Auschwitz ne se regarde pas plus en face que l'Eternel. (...) Il y a un reste d'inintelligibilité, auquel Lanzmann, comme Wiesel, tient comme à une certitude et un dogme au sens propre du mot.
Auschwitz est "un mystère qui nous dépasse et nous subjugue".
(Du héros à la victime: la métamorphose contemporaine du sacré. François Azouvi. Gallimard 2024)
Les Brésiliens se moquent parfois des Indiens, mais ils leur doivent beaucoup. Sans les Indiens, qui connaissent si intimement la forêt, les Portugais n'auraient pratiquement pas pu s'installer au Brésil.
(Aimables sauvages. Francis Huxley. Plon 1980)
Les arbres de la montagne s’attirent les attaques ; la graisse combustible se voit brûlée ; le cannelier comestible est écorcé ; l’arbre dont la laque est utilisable subit l’incision. Tout le monde connaît l’utilité de l’utile, mais personne ne connaît l’utilité de l’inutile.
Connaître l’action de l’homme, c’est essayer de préserver ce que son intelligence ne peut connaître par ce qu’elle connaît.
« Ce que l’homme sait n’égale pas ce qu’il ignore. »
« Ne vous croyez pas maître de votre corps, car l’âge ne peut être repoussé et le temps ne peut être retenu. Croître et décroître, s’emplir et se vider, finir et recommencer, voilà le cycle du monde. »
(Oeuvre complète. Tchouang-tseu. Gallimard 1969)
Terrassement, canaux, bassins de rétention, ingénierie hydraulique, champs surélevés… l’inventivité des anciens Andins en matière d’exploitation et de mise en valeur des ressources agraires force l’admiration…
(Les Incas. Peter Eeckhout. Taillandier 2024)
Dans le mouvement de la danse chacun agite une branche de feuillage, comme si le bosquet sacré où les femmes tiennent leurs réunions privées s’était transplanté sur la place publique. On abandonnera ce rameau sur les toitures des cases environnantes lors des temps de repos et quand toute réjouissance aura cessé. (…) Un chant en langue archaïque, construits sur trois brefs fragments repris à trois parties, évoque d’une manière monotone le thème de la douleur. La répétition semble ne devoir jamais finir. Elle s’impose avec une puissance insidieuse qui renforce l’effet physique d’une chorégraphie elle-même interminable et sans diversité. Je ne peux douter qu’une telle pratique ne soit à la longue efficace ; une véritable préparation opératoire qui fait perdre à la clitoridectomie son caractère effrayant. Nous venons de retrouver des procédés équivalents grâce au traitement psychologique et à la gymnastique qui préludent à l’accouchement sans douleur. S’il est un progrès possible en matière de maîtrise et d’utilisation du corps, c’est auprès des civilisations les moins aidées par les instruments dus à l’imagination et au savoir-faire technique qu’il nous faut en découvrir le secret. Cela devrait nous inciter à moins de présomption, en nous montrant que nous n’avons prospecté – et avec quel inquiétant succès ! – qu’un secteur limité des activités humaines. Des manipulations, des thérapeutiques aux détours et aux effets insoupçonnés, nous sont proposées par des hommes trop commodément renvoyés au rayon de la sauvagerie parce que leurs mains restent vides d’outils complexes et leur ciel non embrumés par la fumée des usines.
Leur culture ne manque pas de contrastes remarquables : pauvres d’outillage, ces hommes ont réussi à s’implanter dans des pays peu fertiles et accidentés, à concevoir des techniques agricoles fondées sur les céréales (…) ; dépouillés et nus, ces paysans ont su édifier une architecture moins fragile que celle des peuples nègres d’apparence moins archaïque.
Les aventures que le paysan noir accepte de courir sont celles de l’esprit, mais par des voies que je me trouvais incapable d’emprunter. La passion des connaissances révélées, à l’occasion d’épreuves exigeant une abdication totale du corps et de la pensée, ne pouvait se substituer en moi à la passion de la rigueur et de la lucidité.
(…) [le Noir] cherche à se faire reconnaître en tant que sujet de l’histoire après avoir été longtemps un objet de troc ou un instrument tenu par des mains étrangères.
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)
« Mais aujourd'hui la nature de nos esprits civilisés est si détachée des sens, même chez le commun des hommes, par toutes les abstractions dont sont remplies les langues avec tous leurs mots abstraits, elle est si affinée par l’art d’écrire et spiritualisée pour ainsi dire par la pratique des nombres, puisque même le vulgaire sait compter et calculer, qu’il nous est naturellement refusé de pouvoir former la vaste image de cette femme que certains appellent la « Nature sympathique » (…) ; il nous est aujourd'hui de la même façon naturellement refusé de pouvoir entrer dans la vaste faculté imaginative de ces premiers hommes (…) nous pouvons à peine comprendre, et absolument pas imaginer, comment pensaient les premiers hommes qui fondèrent l’humanité païenne. » (Vico)
Quand un certain horizon sensible entre en crise, le risque se trouve en effet dans l’effondrement de toute limite ; tout peut tout devenir, ce qui revient à dire : le néant approche. (…) la magie devient la restauratrice des horizons en crise. Et, avec la démiurgie qui lui est propre, elle récupère au profit de l’homme le monde en train de se perdre.
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)
Darell Posey (1985) a précisément inventorié les espèces autour d’un grand village kayapo d’Amazonie méridionale et, sur une section de 3 km de chemin, il a repéré 185 arbres de 15 espèces différentes, près de 1500 plantes médicinales et 5500 plantes comestibles.
Posey (1985) a observé les Kayapo dans le Xingu supérieur de l’Amazonie créant des îles forestières, où 95 % des espèces sont identifiées comme utiles, et plantant des arbres dans des champs d’âges différents pour attirer le gibier.
En Amazonie, les bosquets, et par conséquent les forêts culturelles, sont généralement composées de diverses espèces, qui peuvent être liées à l’évitement des risques. (…) Une plus grande confiance dans la disponibilité des ressources est liée à la biodiversité, où la variation de la productivité annuelle d’une espèce peut être équilibrée par d’autres espèces utilisées.
Soudain, l’une des meilleures réponses à la question épineuse de savoir comment « sauver l’Amazonie », en termes de conservation et de développement, est fournie par ses peuples autochtones, qui ont mis au point des technologies forestières et de zones humides fonctionnant avec l’environnement naturel et non contre lui.
(Archéologie de l’Amazonie. S. Rostain C. J. Betancourt. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme 2025)
Les Tehuelches possèdent un système numérique assez évolué. Même les enfants savent compter d’un trait de un à cent…
(Une race qui disparaît. Ramon Lista. Interfolio 2019)
Si les Éthiopiens, aux confins du monde, dans cet îlot d’âge d’or où ils ont le privilège d’habiter, restent d’entre tous les humains les plus proches encore des dieux par leur éclatante beauté physique, la bonne odeur qu’ils dégagent, leur exceptionnelle longévité, c’est que leur régime alimentaire ignore les céréales et qu’ils tiennent le blé pour une sorte de fumier.
L’adepte qui a su rendre présents ses dieux à son corps sera donc comme eux (…). Il lira en lui-même les écritures sacrées, coalescences du souffle primitif…
Un culte doit être rendu aux diverses parties du corps qui, dans cette vision non dualiste de la réalité, sont conçues simultanément comme autant de puissances et de qualités psychiques.
(Corps des dieux. SSLD Malamoud/Vernant. Gallimard 1986)
On sent que ce bonheur, cette joie de vivre si manifestes sur les personnages des fresques sont faits de maîtrise et de coexistence dominée entre le monde souterrain et celui du soleil. C’est en Crête que cohabitaient les deux êtres les plus opposés par leurs symboles et leurs fonctions : le Minotaure et Icare, le monstre chthonien et l’homme ailé, le cauchemar de l’homme-taureau et le rêve de l’homme-oiseau.