… les soldats et le capitaine qui s'étaient installés dans ce palais eussent été davantage occupés à rechercher le trésor de Motecuhzoma, et le saint prêtre avec eux, plutôt qu'à lui enseigner la doctrine et les articles de la foi. (…) j'ai reçu confirmation du soin et de l'acharnement qu'on mit à rechercher la chambre du trésor royal, jusqu'à ce qu'un jour l'opiniâtreté de leur convoitise leur fit remarquer une petite porte basse (…) ils arrivèrent dans une belle et grande salle au milieu de laquelle se trouvait un amoncellement d'or, de bijoux et de pierres précieuses (…) il ne s'agissait pas de richesses acquises par Motecuhzoma ou dont il pût jouir, car c'était le trésor que tous les rois ses ancêtres avaient accumulé et dont le nouveau roi ne pouvait disposer (…) En sorte que ce qu'on conservait dans cette chambre était comme le trésor de la ville et le signe de sa grandeur.
Il y avait aussi dans cette pièce une pile de très belles étoffes et de toilettes de femme ; il y avait, accrochés au mur, des armes, des insignes et des boucliers, finement ouvragés et peints de diverses couleurs ; il y avait des vases d'or, des plats et des écuelles fabriqués à leur façon, où les rois mangeaient et, en particulier, deux immenses plats creux d'or massif, ciselés avec art, aussi grands que de grands boucliers (…) Il y avait aussi beaucoup de tasses, avec ou sans pieds, qui servaient à boire le cacao et étaient façonnées et ouvrées dans l'or massif comme celles qu'on fait avec les calebasses ; il y avait dans les coins de grandes quantités de pierres précieuses…
Cholollan (…) était considérée comme une cité sainte par les Mexicains. Le grand temple était consacré à Quetzalcoatl (…) [elle] offrait le panorama éblouissant d'une multitude de temples spectaculaires qui avaient fortement étonné Cortès : « je garantis à Votre Altesse que j'ai compté du haut d'un temple quatre cents et quelques tours dans cette ville…
(La Conquête. Récits aztèques. Georges Baudet et Tzvetan Todorov. Seuil 1983)


Nous suivions la route d'Iztapala, lorsque nous vîmes tant de cités et de bourgs bâtis dans l'eau, et sur la terre ferme d'autres grandes villes, et cette chaussée si bien nivelée qui allait tout droit à Mexico, que nous restâmes ébahis d'admiration. Nous disions que cela ressemblait aux demeures enchantées, décrites dans le livre d'Amadis, à cause des grandes tours, des temples et des édifices bâtis dans l'eau, tous de chaux et de pierre. Quelques-uns même de nos soldats se demandaient si cette vision n'était pas un rêve.
« … il y avait des soldats qui, ayant été en beaucoup d'endroits du monde, et à Constantinople et dans toute l'Italie et à Rome, dirent que place si bien alignée et ordonnée, de telle dimension et de si nombreux peuple, ils ne l'avaient onques vue. »
Une telle description qui se fonde sur l'observation directe faite du haut du temple de Tlatelolco est d'autant plus précieuse que, deux ans plus tard, il ne subsistera rien de ce spectacle qu'avaient eu le privilège de voir les conquistadores.
(Mexica. Henri Stierlin. Imprimerie nationale)


Cette idéologie [des conquérants arya] est donc faite de contrastes organisés ; loin de tendre à l'uniformité, elle repose sur le postulat – ou sur la donnée expérimentale – que la vie de l'Univers, comme celle des groupes humains, requiert l'ajustage de forces antagonistes, solidaires par leur antagonisme même, et qui, pour tenir leur place dans la synthèse, doivent d'abord se conformer jusqu'au bout à leur essence.
(Mythes et dieux des Indo-Européens. Georges Dumézil. Flammarion)


Les sculpteurs de Palenque sont un magnifique exemple du haut degré de perfection où étaient arrivés les primitifs artistes mayas qui, tant du point de vue du dessin qu'à celui de la perspective, surpassèrent ceux d'Egypte et de Mésopotamie.
En des temps où la plus grande partie de l'Europe était encore barbare et même sauvage, la région environnant l'Usumacinta et ses affluents était, du Chiapas au Honduras, couverte de villes… (Georges Raynaud)
On peut donc, en toute certitude, considérer les premiers établissements des Mayas en cette région comme antérieurs, de plusieurs siècles peut-être, à l'ère chrétienne. (Georges Raynaud)
L'astronomie était fort avancée pour l'époque, car ils savaient calculer, aussi bien que leurs contemporains d'Europe, les révolutions du Soleil, de la Lune et de Vénus, les phases de ces deux derniers astres et les éclipses des deux premiers. Diverses constellations (…) étaient classées et nommées. La numération écrite, vigésimale, égalait à très peu près la nôtre et avait réalisé avant nous ce grand progrès, le zéro. (Georges Raynaud)
(Légendes du Guatemala. Miguel Angel Asturias. Folio 1953)


En 1617, une expédition atteignit le pays des Mojos, où furent découverts de grands villages de quatre cents maisons (…), ainsi que des champs de culture étendus traversés par de larges routes, sur lesquelles quatre cavaliers avaient suffisamment d'espace pour monter au galop.
(Ecrits d'Amazonie. Alfred Métraux. CNRS Editions 2013)


Avant de se mettre en route, les braves se rassemblaient et s'enquéraient de la direction à prendre auprès d'anciens qui dessinaient des cartes dans le sable mentionnant collines, vallées, points d'eau et rivières. Dodge rapporta qu'un groupe de pillards comanches, qui étaient tous âgés de moins de dix-neuf ans et n'avaient jamais mis les pieds au Mexique, parvint à rejoindre Monterrey (Mexique) depuis Brady's Creek (Texas) – c'est-à-dire plus de cinq cents kilomètres – sans se tromper une seule fois et en s'aidant uniquement des instructions qu'ils avaient reçues.
(L'empire de la lune d'été. SC Gwynne. Albin Michel 2012)


… sans les mythes, les légendes, les contes, et tout ce qui est inséparablement associé dans la vie mentale et en particulier dans les émotions des primitifs, en un mot sans la tradition, il serait tout à fait impossible de rendre compte d'une expérience mystique (…). Mais la tradition, à son tour, implique la vie en société, et que ce soit une société d'hommes, c'est-à-dire que ses membres pensent et parlent, de sorte que chaque génération soit capable de transmettre à la suivante le précieux patrimoine reçu par elle de la précédente.
… dans l'activité humaine qui poursuit des fins positives, un facteur spirituel est aussi important qu'un facteur physique. Nous pouvons appeler cela religion. Toutes les phases de la vie de l'indigène en sont imbues… L'attirail du chasseur, ses vêtements, ses ornements, selon la représentation qui en est impliquée dans la croyance indigène, sont quelque chose de spirituel aussi bien que de pratique dans leur pouvoir d'agir.
… la magie (…) n'est pas une invention humaine. De temps immémorial, elle fait partie du patrimoine que se transmettent les générations successives. Comme les institutions sociales proprement dites, elle a été créée, pendant la période mythique, par les héros civilisateurs et fondateurs. De là son caractère sacré.
« … nous pouvons admettre que la ligne de démarcation entre la magie et le bon sens reste vague, et que l'indigène parfois ne sait de quel côté il se trouve, mais que, néanmoins, il regarde ce qui est magique comme formant une catégorie à part, et ses pratiques magiques comme quelque chose qu'il exécute au-dessus, pour ainsi dire, de son travail ordinaire de cultivateur. » (FE Williams)
(L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs. Lucien Lévy-Bruhl. Dunod 2014)


Si par la fiction nous parvenons à capturer les racines sauvages, invisibles dans la vraie vie (…), pourquoi se soucier des vérités de surface ?
(Les chroniques de Zhalie. Yan Lianke. Philippe Picquier 2015)


Les rois de Babylone, sédentarisés depuis des siècles, rappelaient leurs origines tribales lors du culte de leurs ancêtres, évoquant certains d'entre eux qui, au IIIème millénaire, sont connus pour avoir été des nomades (…). Les nomades de Mésopotamie pratiquaient une vie mixte entre nomadisme et sédentarité.
(Les nomades et semi-nomades. Nele Ziegler. Dossiers d'archéologie novembre 2016)


A travers le temps et les civilisations, on observe que seules les croyances et les lieux de culte ont une durée de vie qui peut dépasser même celle de la civilisation qui les a bâtis. (…) est-il inimaginable de voir la perpétuation d’une même croyance, qui naît au Néolithique dans les premières sociétés agricoles, perdure durant l’âge du Bronze et le Premier âge du Fer, puis s’épanouit durant le Second âge du Fer…
(Quand le défunt échappe à la nécropole. Delattre, Auxiette, Pinard. Editions universitaires de Dijon 2018)


Plus les années avancent, plus je m’approche des Orientaux de la vieille école. J’aime leur détachement des choses terrestres, leur perpétuelle rêverie, leur amour du silence et de la méditation. (…) Nous, Occidentaux, payons trop cher les bénéfices matériels qui dérivent des inventions modernes (…) Le matérialisme contemporain, si brillant, si commode qu’il apparaisse, m’invite de plus en plus à me réfugier dans le passé.
(Loti en Amérique. Bleu autour. Mai 2018)


Une des raisons d’être du mythe est d’apporter dans notre expérience du monde la force du passé. Le décalage temporel apparaît essentiel dans la mesure où celui-ci garantit à ceux qui adhèrent au mythe la permanence du monde (…). Le présent ne cesse de s’évanouir dans le passé, ajoutant de la continuité à la continuité, sans interruption ou irrégularité. Comme la médecine moderne le ferait avec le corps humain (Foucault, 1963), la mythologie définit donc un idéal, un univers modèle, en bonne santé (…). C’est ce qui la fonde à régenter les rapports physiques et moraux de la société où elle se déploie. L’univers ne serait cependant pas perçu comme statique, mais toujours en perpétuel recommencement, suivant un cycle qu’un rien suffirait à faire basculer dans l’inconnu. Le monde serait alors action, mobilité, et nécessiterait un effort constant pour résister à sa dissolution. (…) Un rituel ne servirait donc pas tant à renouveler le monde qu’à en éviter sa dislocation, rendant l’Homme indispensable à la bonne marche de celui-ci et continuant l’œuvre de la mythologie, qui fabrique de la continuité et de la cohérence à l’échelle de l’Homme, par d’autres moyens.
(Cosmogonies. Julien d’Huy. La Découverte 2020)


... une dame sauvage qui se peignait avec un peigne d'or.
(Croyances, mythes et légendes des pays de France. Paul Sébillot. Omnibus août 2002)


... la puissance symbolique et politique des bouffons rituels qui, sous leur apparence de monstres facétieux, dont le comportement transgresse toutes les normes sociales, jouent en réalité un rôle de médecins, de gardiens des traditions et d'éducateurs des enfants, auxquels ils apprennent les chants sacrés et les mythes.
Car ils parlaient comme le font les simples d'esprit et les fous, en commentant ce qui se trouve sous leurs yeux, et ils devinrent les préposés et les nourriciers, et en même temps les sages et les interprètes, des anciennes danses dramatiques (...). 
[Ils] ont tout l'air d'idiots, ou de gâteux ou de vieilles biques redevenues jeunes, aussi inconstants que le rire, saisis par de nouvelles pensées à la vue du moindre détail qui volette autour d'eux. (...) Et ils sont les oracles de toutes les anciennes paroles dotées de significations profondes.
... les langues originelles de l'homme, pour le moins variées, sont nées jadis déjà ordonnées et constituées avant même leur naissance, comme le sont aujourd'hui les enfants des hommes.
... la société primitive, loin d'être mue par des instincts, des superstitions et des proscriptions absurdes, apparaît-elle sous une forme rationnellement définie par un réseau de signes.
(Tenatsali ou l'ethnologue qui fut transformé en Indien. CNRS Editions 2022)


... dans sa thèse portant sur cette tradition de repeint des images rupestres, Katharine Sale a pu montrer qu'en certains endroits elle s'est poursuivie de manière ininterrompue durant les six mille dernières années au moins.
(La caverne originelle. Jean-Loïc le Quellec. La Découverte 2022)


Quand on partage un bien matériel, on le divise. Quand on partage un bien immatériel, on le multiplie.
(Idriss Aberkane)


... les enfants demeurent les soutiens les plus chaleureux de la tradition: "Semblables aux sauvages, ce sont des personnes respectueuses, voire des vénérateurs, de la coutume; et dans leur communauté indépendante, le folklore et le langage de base semblent à peine changer de génération en génération." (Iona et Peter Opie)
(L'aube des mythes. Julien d'Huy. La Découverte 2023)


Un homme est plus apprécié pour l'étendue de son savoir que pour la quantité de ses biens.
(Le souffle du mort. Dominique Sewane. Plon 2020)


Le passage, clairement indiqué dans le mythe, de l'animalité à l'humanité s'opère donc par l'abandon de l'habitat pré-humain, du terrier, et par l'ascension de l'obstacle qui sépare le monde animal inférieur (le bas) du monde humain de la surface (le haut): l'acte de "naissance" des premiers Guayaki fut une montée qui les sépara de la terre. (...) La femme hisse l'enfant, l'arrachant ainsi à la terre où il était laissé à gésir: métaphore silencieuse de cet autre lien que l'homme a tranché, il y a quelques instants, de son couteau de bambou. La femme libère l'enfant de la terre, l'homme le libère de sa mère. Texte et image, le mythe d'origine et le rituel de naissance se traduisent et s'illustrent l'un l'autre, et les Guayakis, pour chaque nouveau-né, répètent sans le savoir le discours inaugural de leur propre histoire dans ce geste qu'il faut lire comme on écoute une parole. (...) pour quitter la terre, les Aché mythologiques durent passer par l'élément liquide: "... Le chemin des premiers ancêtres des Guayakis fut une eau jolie pour sortir et s'en aller sur la terre grosse... "
"Au commencement, les Mbya et les Guayaki vivaient ensemble sous le gouvernement de Pa'i Rete Kwaray, le Dieu au Corps de Soleil. Un jour les Guayaki apparurent complètement nus à la danse rituelle; Pa'i Rete Kwaray, furieux, les apostropha, jetant sur eux sa malédiction, et les dispersa à travers la forêt. C'est pour cette raison qu'ils ont vécu errants et sauvages jusqu'à présent."
Les Guayaki ne sont pas, pour les Mbya, des gens de culture différente, car il ne peut y avoir de différence dans la culture, ils sont au-delà des règles, fors le sens et hors la loi, ils sont Les Sauvages: même les dieux leur sont contraires.
... il faut, ascétiquement, contraindre le corps, lui faire violence, il faut qu'il porte en lui la marque de la culture, la preuve que son émergence de la nature est irréversible…
Les Aché ne s'en lassent pas du baréka. On ne leur demande pas autre chose, et c'est ce qu'ils aiment par-dessus tout. Ils sont de la sorte, et sous ce rapport, en paix avec eux-mêmes. Pas de division intérieure, nulle rancoeur pour troubler leur âme. Ils sont ce qu'ils font (...). Prisonniers d'un destin, peut-être: mais au regard de quoi?
(Chronique des Indiens Guayaki. Pierre Clastres. Plon 1972)


Les charmes, transmis en secret d'angakkoq à angakkoq, relèvent sans doute d'une langue archaîque proto-esquimaude. Ils viennent du fond des âges. Les chasseurs savaient alors parler aux bêtes ...
Hier et jusqu'en 1955 environ, une société d'entraide et de collectivisme était encore tout entière sous le signe de lois antiques révérées, de règles religio-écologiques: leur principe fondamental étant la jouissance en commun de la nature, en accord avec elle, et la préservation d'un héritage historique et culturel.
(Les derniers rois de Thulé. Jean Malaurie. Plon 1989)


Car ces amateurs d'art exotique ont oublié que, pour les colons, l'Africain était d'abord un ennemi domestique. (...) Ils narguent ces lieux saints de la culture avec leurs miroirs où tout s'inverse et susurrent à l'oreille de leurs prédateurs devenus victimes consentantes: "Et si nous étions les vrais, les authentiques et vous les pâles copies?"
(Cinq tambours pour deux serpents. Mireille Aïn. Plon 2022)


Dans les trois vallées du nord-ouest Pakistan, une poignée "d'infidèles" rejouent depuis des temps immémoriaux la victoire de la vie sur la mort, jouissent de son immédiateté sans avoir imaginé que l'espoir d'éternité pouvait être rejeté à la fin de l'Histoire.
(Solstice païen. Loude, Lièvre, Nègre. Editions Findakly 2007)


… les chemins que l’on parcourt traversent des territoires profondément imprégnés de la mémoire collective, où les humains ne sont qu’un des composants actifs, en interaction permanente avec le reste de l’univers.
Cette cour a marqué l’imaginaire des conquistadores car elle contenait, à échelle réduite ou réelle, des représentations en or de « tout ce que contenait le Tahuantinsuyu », c’est-à-dire des plantes (maïs et autres), des animaux (lamas, alpagas), etc. Tout a évidemment été fondu très rapidement par les Espagnols, de même que les plaques en or qui décoraient les murs et les joints d’argent dont les blocs de l’appareil étaient sertis.
(Les Incas. Peter Eeckhout. Taillandier 2024)


La maladie et son traitement se rejoignent à la charnière des mondes naturel et culturel. La ruse et l’erreur permettent donc qu’une maladie passe du monde des animaux à celui des hommes à travers une double articulation : d’une part l’araignée, qui peut vivre près ou loin des hommes et qui tisse comme eux ; d’autre part la femme, qui a pénétré en territoire animal. C’est là qu’a lieu la première rencontre, tandis que la deuxième se déroule au village, territoire des hommes. Chaque fois, le malentendu se produit durant la communication entre les deux territoires.
Pendant la première partie de la danse, il se transforma en mime. Tel un sorcier, il prenait tour à tour des formes animales et humaines (…). Les dons exceptionnels de ce cultivateur, qui ignore la danse professionnelle, font de lui le gardien inconscient d’une culture fragile, trop facile à briser.
(La danse de l’araignée. Alexander Alland. France Loisirs 1984)


Mes carnets foisonnent de ces notations prises au vol. (…) On n’exagère pas la signification de tels gestes, de telles attitudes, en les reliant à une ample philosophie vécue presque quotidiennement. (…) C’est par eux, plus que par les manifestations matérielles singulièrement fragiles dans le monde négro-africain, que les civilisations s’expriment comme par un langage. Si l’on essaie de concevoir leur rôle dans des groupes sociaux sans archives, (…) on s’aperçoit qu’ils sont pour une part la mémoire de ces sociétés. Ils marquent l’homme dès sa première enfance. Ils assurent une continuité. (…) Cet humble tissu de la vie quotidienne a tenu malgré les déchirures qu’ont faites les anciennes guerres tribales et les conquêtes coloniales. Il est un peu le drapeau des civilisations qu’aucune défaite ne saurait détruire.
Lorsque le royaume de Dahomey s’écroulait sous la poussée des expéditions coloniales françaises, il entraînaient inéluctablement dans sa chute une partie des activités artistiques liées aux systèmes politique et religieux qui le supportaient. On a fait le compte des richesses passées : statuettes de cuivre moulées à la cire perdue ; sculptures sur bois, trônes royaux et statues à placage de cuivre ou d’argent ; bas-reliefs d’argile se succédant sur les murs des bâtiments royaux ; tentures composées d’étoffes à appliques.
Contre un mur du temple, une énorme jarre semble à l’abandon, (…) son goulot supporte une tête d’animal légendaire, à large gueule ouverte, qui sert à l’écoulement. La stylisation de ce motif étonne, inquiète. Elle suggère quelque parenté (…) avec les fragments de terre cuite ayant servi à identifier, en des régions voisines, la Culture Nok pourtant antérieure de deux millénaires.
(Afrique ambiguë. Georges Balandier. Plon 1957)


Au lieu de la possession incontrôlée, de la perte de tout horizon d’une présence à soi, on a ici un « esprit » que la présence a appris à percevoir comme altérité, mais une altérité culturellement signifiante et opérante, qui viendra quand on l’appellera et qui fera ce que le chamane lui demande de faire.
L’âme se « perdrait » vite si une création culturelle, se référant à une tradition accréditée, ne permettait de redresser l’échine qui ploie sous l’anéantissement de la présence.
… la présence d’une trame de motifs et de représentations traditionnels, de rites et de pratiques (…) aident à interpréter (…) et, peut-on dire, à lire dans le chaos menaçant un univers de formes culturellement signifiantes : tout cela arrête effectivement la dissolution [de la présence au monde], possède une réelle efficacité salvatrice. L’être-là sort du conflit « un en plusieurs », ou « plusieurs en un », mais tel que l’un ne se perde plus dans les plusieurs, et que plusieurs obéissent à l’un.
… ces diverses techniques [visant à affaiblir ou à atténuer la présence unitaire] peuvent alterner et se combiner de diverses façons, avec un art consommé du fonctionnement psychique. Art qui s’est formé à travers l’expérience de plusieurs générations, en fixant dans des schèmes traditionnels les inventions individuelles mûries dans l’infinie variété des innombrables drames existentiels.
(Le monde magique. Ernesto De Martino. Bartillat 2022)


La carte autochtone est donc polymorphe et métamorphe puisque fondée sur le parcours. Le chemin arpenté, et non pas la barrière ethnique, dessine la patrie. (…) Loin du concept occidental focalisé sur les marqueurs immobiliers, leur science cartographique conçoit un paysage dynamique bouillonnant de vie. Leurs cartes indiquent ainsi les espaces de terres noires fertiles utiles à l’agriculture, les coins à poissons, lieu d’abreuvement des animaux, les plantes utiles, les sources de sel, gisement d’argile colorante ou pour la poterie, etc.
Darell Posey (1985) a précisément inventorié les espèces autour d’un grand village kayapo d’Amazonie méridionale et, sur une section de 3 km de chemin, il a repéré 185 arbres de 15 espèces différentes, près de 1500 plantes médicinales et 5500 plantes comestibles.
La gestion de « paysages culturels » repose avant tout sur la reconnaissance et la volonté des peuples indigènes. Il faut se souvenir que ces paysages sont gérés et protégés en tant que patrimoine commun par les autochtones, de génération en génération. Amy Strecker (2018) cite ainsi le chef maori Ngati Tuwharetoa de Nouvelle-Zélande affirmant que « ces montagnes sacrées ne doivent appartenir à personne et sont pourtant pour chacun ». C’est dans ces lieux que sont gravées l’Histoire et la mémoire des peuples indigènes.
… la recherche de corrélations entre l’histoire de l’occupation des sites archéologiques et les occupations autochtones actuelles doit tenir compte du modèle multiethnique et multilinguistique qui est devenu prédominant dans diverses parties de l’Amazonie à partir du Xe siècle au moins.
Les premiers récits historiques attestent l’omniprésence des réseaux routiers dans toute l’Amazonie. Ils sont mentionnés depuis le récit du XVIe siècle du frère Gaspar de Carvajal, qui a observé de larges routes menant des villages riverains vers l’intérieur. Plus tard, au XVIIIe siècle, l’explorateur Antonio Pires de Campo a décrit une vaste population habitant la région, avec des villages reliés par des routes droites et larges, constamment nettoyées. Plusieurs récits historiques dans les Llanos de Mojos de Bolivie décrivent des routes surélevées reliant les villages et les champs cultivés.
Dans le sud de l’Amazonie, les premiers récits ethnohistoriques (1600-1750) décrivent les Baurès du Guaporé moyen, les Pareci du cours supérieur de la rivière Tapajos et les Teréna/Guana du cours supérieur de la rivière Paraguay, comme des populations nombreuses et densément peuplées, avec des installations et des travaux agricoles compliqués et une organisation sociopolitique régionale.
Les échanges entre la côte pacifique, les Andes et l’Amazonie sont évidents à diverses périodes et dans différentes cultures archéologiques. L’archéologie précolombienne a démontré que les modèles de frontières et d’isolement entre ces environnements sont des perceptions occidentales erronées (…). Les sociétés autochtones ont établi des relations commerciales et sociales pendant des milliers d’années, échangeant des objets, des technologies et des idées.
(Archéologie de l’Amazonie. S. Rostain C. J. Betancourt. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme 2025)


Les vieillards constituent donc une sorte d’archive des évènements du peuple tehuelche depuis son origine mythique jusqu’à nos jours.
(Une race qui disparaît. Ramon Lista. Interfolio 2019)


Ce sont de grands espaces qu’ouvre ce chant dans la mémoire, celui des montagnes insoumises, des déserts orientaux (…). C’est cette mémoire-là qu’on retrouve en ces chants kelftiques, en ce lyrisme inné qui fait parler entre elles les montagnes, pleurer les aigles et les rochers, gémir les fleuves. Et je suis sûr que la façon dont chante Angéliki est elle aussi mémoire de la gorge et des lèvres, celle que ne peut restituer aucun Conservatoire.
(L’été grec. Jacques Lacarrière. Plon 1975)